Le droit de vote constitue l’un des mécanismes essentiels d’expression de la citoyenneté, protégé par l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, par l’article 3 du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et érigé, en droit interne, en principe à valeur constitutionnelle [1]. Dès lors, tout individu qui remplit les conditions prescrites pour l’exercice de ce droit doit pouvoir exprimer sa volonté à chaque scrutin. En théorie donc, la condition carcérale ne devrait pas représenter un frein ni même un obstacle à l’exercice de ce droit.
C’est donc quelques mois après que Valéry Giscard d’Estaing a affirmé que « La prison, c’est la privation de la liberté d’aller et venir, et rien d’autre » [2], que le droit de vote des détenus a été reconnu.
Une loi du 31 décembre 1975 est ainsi venue modifier l’article L71 du Code électoral, prévoyant alors que :
« Peuvent exercer, sur leur demande, leur droit de vote […] II. - Les électeurs appartenant à l’une des catégories ci-après, qu’ils se trouvent ou non dans leur commune d’inscription le jour du scrutin : […] 9° Les personnes placées en détention provisoire et les détenus purgeant une peine n’entraînant pas une incapacité électorale » [3].
Par conséquent, et comme tout citoyen, chaque détenu n’ayant pas été condamné à la perte de ses droits civiques doit pouvoir exercer son droit de vote. Il convient de s’interroger sur l’effectivité et les modalités de ce droit, qui a longtemps été restreint (I), mais qui a récemment bénéficié d’une extension (II).
I. Une limitation traditionnelle du droit de vote des personnes détenues.
Classiquement, l’incarcération ne permettait que deux modalités d’exercice du droit de vote, qui était en ce sens très contraint. Les détenus ne pouvaient voter que par procuration ou en se rendant directement dans un bureau de vote, ce déplacement pouvant être effectué en vertu d’une permission de sortir. En pratique donc, ce droit se trouvait largement limité, supposant pour la population pénale de s’inscrire préalablement sur les listes électorales, soit de la commune de leur domicile, soit de la commune dans laquelle se trouve l’établissement pénitentiaire [4] mais également qu’ils y aient résidé six mois, excluant de fait les personnes incarcérées pour de courtes périodes. Par ailleurs, et surtout, nombre de détenus se trouvaient confrontés à la difficulté de connaître une personne à qui remettre leur procuration. Enfin, ceux qui souhaitaient se rendre à l’urne devaient se voir accorder une permission de sortir, or son octroi n’intervient pas de plein droit. À cela s’ajoutent un manque d’information et la complexité des démarches administratives d’inscription sur les listes électorales, si bien que le taux de participation électorale de détenus n’a pas dépassé les 2% lors de l’élection présidentielle de 2017 [5].
En conséquence donc, les personnes incarcérées n’exerçaient traditionnellement que très rarement leur droit de vote, soit en raison d’un désintérêt pour la vie publique soit qu’ils en étaient empêchés - et c’est bien là que réside toute la problématique - à cause d’obstacles administratifs ou matériels.
Ce n’est finalement que très récemment que les pouvoirs publics ont pris acte des difficultés d’exercice de son droit de vote par la population pénale, représentant une large part de l’électorat.
II. Une extension récente du droit de vote des personnes détenues.
En 2019, le législateur a réinstauré une possibilité de vote par correspondance pour les seules personnes détenues dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Ainsi, à titre expérimental, celles-ci ont pu voter depuis leur établissement pénitentiaire à l’élection des représentants au Parlement européen, portant le taux de participation à 8% de l’ensemble de la population pénale, soit quatre fois plus qu’à l’élection présidentielle de 2017 [6].
Cette nouvelle modalité d’exercice de leur droit de vote par les détenus apparaît donc comme un succès, si bien qu’elle a ensuite été généralisée par la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, celle-ci insérant un article L12-1 au Code électoral.
Ce texte nouvellement créé prévoit notamment que les personnes détenues souhaitant voter par correspondance sous pli fermé « sont inscrites dans la commune chef-lieu du département ou de la collectivité d’implantation de l’établissement pénitentiaire, dans un bureau de vote correspondant à la circonscription ou au secteur qui comporte le plus d’électeurs inscrits sur les listes électorales », mettant ainsi en place un dispositif électoral décentralisé.
La loi du 6 novembre 1962 modifiée relative à l’élection du président de la République au suffrage universel prévoit quant à elle la possibilité pour les détenus de voter par correspondance au scrutin présidentiel, mais avec un acheminement des votes au sein d’un bureau unique et donc centralisé [7].
Par ailleurs, sauf en cas d’intention de vote par correspondance, l’article L12-1 du code électoral permet une dérogation en matière d’inscription sur les listes électorales, les détenus pouvant être inscrits sur la liste de leur commune de naissance ou sur la liste de la commune de naissance ou d’inscription actuelle ou passée de leurs ascendants, conjoints ou parents jusqu’au quatrième degré. Cette dérogation apparaît opportune, écartant tout critère de résidence ou de domiciliation, là où de nombreux détenus n’auraient eu pour possibilité que de s’inscrire sur les listes de leur lieu d’incarcération, parfois bien loin de leurs attaches personnelles et pouvant notamment engendrer un désintérêt pour des élections locales.
Donnant plus de portée encore au droit de vote des détenus, celui-ci a été inscrit dans le code de procédure pénale dans un chapitre VII bis intitulé « Du droit de vote des personnes détenus » et comprenant les articles R57-7-95 à R57-7-97.
Sur le plan symbolique au moins, la création de ces articles confirme la volonté de maintenir les droits civiques des détenus, évitant leur désinsertion excessive de la société civile.
En ces temps d’élection présidentielle, il reste désormais à espérer que les efforts de facilitation de l’exercice du droit de vote des détenus aient pu être perçus comme tels et se traduisent par un accroissement de son exercice par les intéressés.