La maxime latine “Nemo plus juris ad alium transferre potest quem ipse habet” signifie qu’il est impossible de transférer plus de droits que l’on en possède.
Elle met en exergue un principe fondamental du droit, selon lequel la validité d’un transfert dépend directement de la titularité des droits sur l’objet.
En effet, pour vendre un bien, il faut en être le propriétaire, conformément à l’article 544 du Code civil.
Cette maxime soulève un questionnement lorsqu’il s’agit du transfert de la propriété d’un bien jeté ou abandonné. Une question importante se pose : peut-on réellement aliéner le bien jeté ou abandonné par son propriétaire ? La question paraît simple, mais elle soulève d’énormes enjeux juridiques bien complexes.
La problématique des biens meubles, jetés ou abandonnés revêt une dimension pratique majeure dans notre monde actuel, où l’économie circulaire se développe. Par exemple, les marchés d’occasion sont souvent remplis de biens dont la traçabilité reste floue. De même, le marché numérique pose également de nombreux défis juridiques avec des biens virtuels parfois abandonnés sur des plateformes en ligne. Dans cette logique, l’analyse juridique de cette situation devient impérative afin de garantir la sécurité des transactions et d’éviter les conflits.
La vente d’un bien se définit comme le transfert du droit de propriété. Mais, qu’en est-il lorsque le bien a été jeté ou abandonné par son propriétaire ?
Selon les termes de l’article 1599 du Code civil, la vente du bien d’autrui est nulle.
La vente d’un bien jeté ou abandonné subira-t-elle la même sanction ? Une telle vente est-elle possible ? Existe-t-il une distinction entre une chose jetée par son propriétaire et une chose abandonnée ? Sur qui pèse la charge de la preuve de l’abandon d’une chose ? Qu’en est-il de la situation où un propriétaire jette une chose : cette dernière, récupérée par un tiers, pourrait-elle être vendue à son ancien propriétaire ?
Ces questionnements invitent à une réflexion approfondie sur les frontières qui peuvent exister entre le droit de propriété et les conditions du transfert de ce droit. De manière simple, il convient de déterminer dans quelle mesure un bien jeté ou abandonné par son propriétaire peut-il faire l’objet de transfert du droit de propriété relatif à ce bien mobilier.
Dans le cadre de cet article, le bien immeuble ne sera pas étudié, car ces derniers appartiennent à l’État selon le Code général de la propriété des personnes publiques.
L’intérêt de cette question est d’abord théorique en abordant les grands principes du droit des biens et ensuite pratique en traitant les enjeux économiques qui peuvent en découler. Ceci permettra de comprendre le cadre juridique des biens jetés ou abandonnés qui peuvent faire l‘objet d’une réutilisation.
Pour répondre à la problématique de notre sujet, nous analyserons d’abord le statut juridique du bien jeté ou abandonné. Ensuite, ce statut juridique, bien que flou, permet d’étudier la possibilité de la vente d’un tel bien avec ses limites.
Si la vente d’un bien jeté ou abandonné est admise avec des limites (II), c’est en raison du statut juridique qu’a ce bien par rapport à l’article 544 du Code civil qui définit le droit de propriété (I).
I) Le statut juridique d’un bien jeté ou abandonné : une chose laissée pour une nouvelle appropriation.
Lorsqu’un bien est jeté ou abandonné, il acquiert un statut particulier dans le droit des biens : il devient une chose susceptible d’appropriation par un tiers (A). Il conviendra de voir les implications juridiques de l’occupation de la chose abandonnée (B).
A) La notion de bien jeté ou abandonné.
Un bien mobilier jeté ou abandonné acquiert le statut de chose susceptible d’appropriation, c’est-à-dire une chose dépourvue de propriétaire et laissée pour une nouvelle occupation.
Si les biens jetés peuvent être différenciés quant à l’intention du propriétaire, des biens abandonnés, il n’en reste pas moins que ces deux notions sont juridiquement considérées dans la même catégorie : les Res derelictae.
En effet, d’un point de vue non juridique, jeter un bien n’est pas tout à fait synonyme de l’abandonner.
Quand un bien est jeté, l’intention première du propriétaire est de s’en débarrasser en le traitant comme un déchet.
Mais lorsque le propriétaire abandonne un bien, son intention est de ne plus se considérer comme propriétaire, sans toutefois avoir l’idée d’en faire un déchet. Cette différence fondamentale s’appuyant sur l’analyse de l’intention du propriétaire n’est pas juridiquement appréciée, car les deux faits ont une seule conséquence juridique au regard du droit des biens : la perte du droit de propriété pour une nouvelle occupation.
Ainsi, jetés ou abandonnés, ils sont tous traités comme res derelictae.
Les res derelictae sont les choses abandonnées, les détritus ou les débris que l’on a délibérément jetés avec l’intention de les faire acquérir par le premier venu.
Un bien jeté ou abandonné perd son statut juridique de bien et est considéré comme une chose. En effet, l’appropriation est une opération juridique qui permet à une chose d’être considérée comme un bien, puisque le bien est défini comme une chose susceptible d’appropriation. À titre illustratif, les choses sans maître deviennent des biens dès leur appropriation. On peut citer le cas d’un gibier, de poissons et des produits de fonds marins. Ainsi, lorsqu’un bien est jeté ou abandonné, on assiste à l’inversion de l’opération : il reprend automatiquement son statut de chose susceptible d’appropriation.
Au vu de ce qui précède, il convient d’affirmer que le fait de jeter ou d’abandonner un bien traduisant l’anéantissement du droit de propriété sur ce dernier a pour conséquence de laisser ce bien pour une nouvelle appropriation, en effet, par le jeu de l’occupation.
B) Les implications juridiques du jet ou de l’abandon d’un bien : l’occupation comme mode d’appropriation.
Par un mécanisme similaire à la possession décrite par l’article 2276 du Code civil, l’occupation peut être le mode d’acquisition de la propriété d’une chose sans propriétaire. En effet, on acquiert la propriété d’une chose en l’occupant. Cette dernière consiste à l’appréhension effective d’une chose qui n’appartient à personne.
Ainsi, un Res derelictae, défini comme une chose délibérément jetée avec l’intention de le faire acquérir par le premier venu, deviendra objet de droit de propriété de la personne qui l’occupe à nouveau.
L’occupation de la chose ayant cessé d’être appropriée permet d’en devenir le nouveau propriétaire.
Laissé par le propriétaire pour une nouvelle appropriation, le bien jeté ou abandonné, devenu juridiquement une chose, redevient à nouveau un bien dès lors qu’une nouvelle personne l’occupe.
Le tiers, nouvel occupant du bien mobilier jeté ou abandonné, devenant propriétaire, peut dès lors disposer des droits qu’il détient sur ce dernier. Ce droit étant simplement le droit de propriété, lui permet de jouir et de disposer du bien de la manière la plus absolue, pourvu qu’il n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. Ainsi, ce droit de propriété lui permet de vendre ce bien autrefois jeté ou abandonné.
Le bien jeté ou abandonné, occupé par un tiers, peut faire l’objet d’une vente. Ainsi, à la question de savoir si un bien jeté ou abandonné peut-il faire l’objet d’une vente, la réponse est affirmative dans la mesure où ce bien se trouve occupé par une nouvelle personne.
Toutefois, une telle vente peut être limitée par des impératifs environnementaux quand il s’agit des biens de certaines natures tels que les biens hors d’usage et les déchets dangereux ou polluants.
II) La vente d’un bien jeté ou abandonné, une possibilité limitée par des impératifs environnementaux et sanitaires.
La vente d’un bien jeté ou abandonné peut être envisagée si certaines conditions juridiques sont remplies (A). Cependant, des limites importantes s’imposent, notamment lorsque des impératifs environnementaux ou des considérations de santé publique restreignent la possibilité de vendre certains types de biens (B).
A) La légalité de la vente d’un bien jeté ou abandonné.
Occupé, possédé de nouveau par un tiers, le bien mobilier jeté ou abandonné peut faire l’objet d’une vente. Lorsque la vente intervient à la suite d’une occupation, cette vente est légale. Ce bien peut même être vendu à l’ancien propriétaire en toute légalité, dès lors que l’ancien propriétaire ne conteste pas le droit de propriété que détient le nouvel occupant sur le bien.
En effet, il peut exister un risque de contentieux sur cette vente. Qu’il soit vendu à une autre personne ou à l’ancien propriétaire, le bien mobilier jeté ou abandonné peut faire l’objet d’un contentieux relatif à la contestation de la nouvelle propriété et principalement à l’abandon du bien. L’ancien propriétaire peut contester l’abandon du bien pour faire tomber l’acquisition de la propriété par l’occupant.
D’abord, l’abandon est une notion difficile à définir. Toutefois, par quelques indices, on peut identifier l’abandon. Il faut d’une part l’élément matériel de l’abandon, notamment la perte du corpus (la dépossession matérielle de la chose) et d’autre part l’élément intentionnel de l’abandon (l’intention de ne plus s’en servir ou la renonciation du droit de propriété).
Ensuite, la notion de l’abandon reste vraiment difficile à prouver dans certaines circonstances et peut justifier la contestation par l’ancien propriétaire. À titre illustratif, l’élément intentionnel de l’abandon reste difficile à justifier en cas de catastrophe naturelle suite à laquelle l’ancien propriétaire est obligé de laisser le bien pour survivre. Laisse-t-il le bien en renonçant au droit de propriété ou laisse-t-il le bien pour survivre en vue de reprendre possession de son bien une fois l’événement passé ? Des exemples précis tels que l’inondation, la guerre sont des événements qui peuvent occasionner l’abandon d’un bien sans que l’ancien propriétaire ait l’intention de renoncer au droit de propriété qu’il exerce sur ce dernier. Ainsi, dans cette logique, l’ancien propriétaire peut contester son intention de renoncer à la propriété du bien pour une nouvelle occupation.
Enfin, dans l’hypothèse d’une contestation, une question fondamentale se pose sur la charge de la preuve. Selon la maxime “actori incumbit probatio”, la charge de la preuve incombe au demandeur à l’instance. En effet, l’article 1353 du Code civil pose le principe de la charge de la preuve selon lequel celui qui se prévaut d’un droit doit en rapporter la preuve. Dans notre hypothèse de contestation, il convient de dire que c’est d’abord à l’ancien propriétaire qui conteste l’abandon de rapporter la preuve que le bien n’a pas été volontairement abandonné et donc ne répond pas aux critères juridiques de l’abandon puisque c’est ce dernier qui a l’opportunité d’assigner le nouveau propriétaire. Ensuite, le nouveau propriétaire peut à son tour rapporter la preuve de l’abandon, notamment grâce à des indices factuels justifiant cette intention tels que le lieu d’abandon, l’existence ou non de la protection du bien et bien d’autres.
Au-delà de la contestation de l’abandon qui peut empêcher la vente du bien jeté ou abandonné, cette dernière peut également être empêchée par des impératifs de protection de l’environnement ou de santé publique.
B) Les limitations de la vente d’un bien jeté ou abandonné.
La protection de l’environnement et la préservation de la santé publique sont des impératifs qui peuvent justifier l’interdiction de la vente de certains biens jetés ou abandonnés de nature à polluer l’environnement ou à avoir une incidence sur la santé publique.
D’abord, ces impératifs imposent des dispositifs encadrant l’abandon d’un bien mobilier. Ainsi, l’abandon d’un véhicule automobile est bien encadré par [le Code de la route en son article L-325-1, l’abandon des déchets ordinaires par l’article L-541-1 du Code de l’environnement et l’abandon des déchets radioactifs par l’article L-542-1 du Code de l’environnement.
Ensuite, l’encadrement de l’abandon des biens de nature à polluer l’environnement ou à impacter de façon négative sur la santé publique a des répercussions juridiques sur l’abandon allant de la simple modalité d’abandon jusqu’à l’interdiction totale de l’abandon.
À ce titre, des exemples tels que le véhicule hors d’usage (article R-543-162 du Code de l’environnement), les déchets d’équipement électrique et électronique (article L-541-10-2 du Code de l’environnement). Ainsi, si l’abandon est interdit, la vente serait, par conséquent, elle aussi illégale, car l’occupation n’aura pas d’effet pour établir le nouveau droit de propriété.
Enfin, outre l’interdiction de vente de biens jetés ou abandonnés, les limitations s’inscrivent dans une logique plus large de protection de l’intérêt général.