A l’occasion de l’une de ces affaires, qui opposait un photographe travaillant notamment pour les maisons de vente Camard, Artcurial et Bergé à la société Artprice, la Cour de cassation a rendu le 31 janvier 2018 un arrêt qui semble clore le débat (Cass., 1ère civ., 31 janvier 2018, n° 16-25291).
S’il est désormais clair que la reproduction non autorisée de photographies de catalogues de vente peut constituer une contrefaçon et donner lieu à indemnisation, il convient de revenir sur la jurisprudence en la matière pour déterminer les conditions de cette protection (I), ainsi que sur l’évaluation du préjudice lorsque l’existence d’une contrefaçon est reconnue (II), les enjeux financiers pouvant être importants.
I. Les conditions de la protection des photographies de catalogue de vente
a) Une protection loin d’être systématique
L’article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit l’existence d’un droit d’auteur sur « toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination », ce qui inclut bien évidemment les photographies. L’existence de cette protection suppose toutefois que l’œuvre soit considérée comme originale, c’est-à-dire, selon une jurisprudence constante, qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.
Dans ce cadre, la protection des photographies publiées dans les catalogues de vente ne relève pas de l’évidence. En effet, la raison d’être première de ces photographies est de mettre en valeur un objet d’art proposé à la vente, qu’il s’agisse d’un tableau, d’une sculpture, d’un vase ou encore d’un tapis. Ces photographies se distinguent donc en principe par un parti pris de neutralité, dans la mesure où elles doivent attirer l’attention non sur la personnalité du photographe mais sur les caractéristiques de l’objet photographié.
De manière logique, les sociétés de résultats d’enchères assignées en contrefaçon se sont appuyées sur le caractère supposément neutre de ces photographies afin de contester l’originalité des photographies litigieuses et justifier ainsi l’absence d’autorisations du photographe pour reproduire ces photographies sur leurs sites.
La société Artprice, poursuivie par le photographe Stéphane Briolant pour avoir reproduit sans autorisation dans sa base de données de résultats d’enchères des photographies d’objets d’art réalisées par ce dernier pour la maison de vente Camard, soutenait ainsi dans son pourvoi en cassation que l’intervention du photographe « ne visait qu’à représenter, de la façon la plus fidèle et détaillée possible, l’objet photographié » (Cass., 1ère civ., 31 janvier 2018, n° 16-25291).
b) Les hypothèses dans laquelle l’originalité peut être admise
Le pourvoi d’Artprice a été rejeté par la Cour de cassation dans sa décision du 31 janvier 2018, qui a ainsi validé le raisonnement des juges de la Cour d’appel de Paris. Cette juridiction a en effet développé dans une série d’arrêts rendus depuis 2013 une jurisprudence reconnaissant que des photographies destinées à des catalogues de vente peuvent être considérées comme des œuvres originales au sens du droit d’auteur lorsque le photographe a effectué des choix esthétiques arbitraires traduisant l’empreinte de sa personnalité.
La Cour d’appel de Paris a rappelé dans son arrêt du 30 septembre 2016 la manière dont elle apprécie l’originalité. Elle a précisé que le fait qu’une photographie soit réalisée pour un catalogue de vente n’est pas pertinent pour cet examen, pas plus que l’originalité ou non de l’objet photographié lui-même.
L’approche privilégiée en la matière par les juges est donc très casuistique : le juge doit examiner séparément chaque photographie et « apprécier comment le photographe a appréhendé son sujet » (CA Paris, 30 sept. 2016, n° 15-05886).
L’originalité de certaines des photographies de M. Briolant a pu être reconnue en raison de choix de la part de celui-ci dans la disposition des objets photographiés, de la réalisation d’un travail sur la lumière et les ombres ainsi que d’un travail de post-production visant notamment à retravailler les contrastes et à modifier la colorisation.
En pratique, bien que le type d’objet photographié soit indifférent pour le raisonnement des juges, il semble plus facile de démontrer l’existence de choix esthétiques pour des photographies d’objets en trois dimensions tels que des sculptures ou des vases, qui permettent un jeu sur les ombres et le rendu des volumes, que pour des photographies frontales d’objets tels que des tableaux, où la sensibilité du photographe semble plus difficilement pouvoir s’exprimer. M. Briolant avait ainsi spontanément écarté les réalisations dans lesquelles il avait effectué un travail purement technique "consistant à photographier les objets de face, ainsi les photographies de tapis et de tableaux" (CA Paris, 30 sept. 2016, n° 15/05886).
En toutes hypothèses, toute utilisation de photographies originales sans autorisation préalable sera donc sanctionnée.
II. L’évaluation du préjudice
a) Une distinction en fonction des types d’atteinte
L’article L 111-1 du Code de la Propriété intellectuelle dispose que le droit reconnu à un auteur sur son œuvre « comporte des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ». La contrefaçon peut donc résulter soit d’une atteinte aux droits patrimoniaux, qui incluent en particulier le droit de reproduction de l’œuvre, soit d’une atteinte aux droits moraux, qui comprennent notamment le droit à la paternité ainsi que le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre. Ces différents chefs de préjudice font l’objet d’une évaluation distincte.
Dans l’affaire opposant Stéphane Briolant à Artprice, les atteintes aux droits patrimoniaux étaient constituées par la reproduction non autorisée, sur la base de données de résultats d’enchères d’ Artprice, de 720 photographies d’objets publiées dans des catalogues de vente. Les atteintes aux droits moraux provenaient d’une part de l’absence de mention du nom du photographe sur la base de données d’ Artprice, ainsi que du fait d’avoir coupé et parfois modifié 52 des photographies originales de M. Briolant.
b) Le mode de calcul des dommages-intérêts
Le montant des dommages-intérêts alloués dépend bien évidemment du nombre de photographies contrefaites. Il peut également dépendre des barèmes indicatifs établis par l’ADAGP, des prix auxquels le photographe accorde généralement le droit de reproduire ses photographies dans des ouvrages d’art ainsi que de sa notoriété. Après avoir combiné ces différents paramètres dans son calcul du préjudice, la Cour d’appel de Paris a ainsi condamné la société Artprice à verser au photographe la somme de 57 600 euros au titre de l’atteinte au droit de reproduction et la somme de 10 800 euros au titre de l’atteinte aux droits moraux pour la reproduction non autorisée de 720 photographies (CA Paris, 30 sept. 2016, n° 15-05886).
Dans les hypothèses où l’existence d’une contrefaçon est reconnue par les juges, les montants alloués pour réparer les différentes atteintes portées aux droits du photographe peuvent être spectaculaires lorsque la contrefaçon porte sur un grand nombre de photographies. Ainsi, dans une précédente affaire, Artprice avait été condamnée à verser au photographe 544 298 euros au titre des droits patrimoniaux et 100 000 euros au titre du droit moral pour la reproduction non autorisée de plus de 8000 photographies (CA Paris, 26 juin 2013, Stéphane B. et SVV Camard et associés c/ Artprice.com).
Dans une affaire similaire, la société de résultats d’enchères Artnet avait quant à elle été condamnée par la Cour d’appel de Paris à verser au même photographe plus de 700 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon et de parasitisme (CA Paris, 10 mars 2015, Stéphane B. c/ Artnet France et Artnet Worldwide Corporation).
La reproduction non autorisée de photographies de catalogue de vente est donc susceptible de constituer une contrefaçon si l’originalité des photographies est reconnue. Les dommages et intérêts peuvent être conséquents lorsque les reproductions concernent un grand nombre de photographies. La détermination de l’originalité des photographies étant parfois délicate et l’approche des juridictions étant très casuistique, il incombe aux acteurs concernés de faire preuve de vigilance à ce sujet, notamment en concluant un contrat en amont de tout litige.
A la suite d’un accord récemment trouvé entre deux sociétés de gestion collective de droits d’auteur (l’ADAGP et la SAIF), des agences de photographie et de certaines maisons de ventes volontaires, une rémunération spécifique sera versée aux photographes pour la reproduction de leurs œuvres dans les catalogue de vente.