Cet objectif est en lien avec les engagements pris par les Etats concernant le droit fondamental à l’eau potable et à l’assainissement. Le présent article fait le point sur ce droit, en examinant successivement :
La protection internationale du droit à l’eau et à l’assainissement ;
Le cadre européen du droit à l’eau et à l’assainissement ;
Le droit à l’eau et à l’assainissement en France.
La protection internationale du droit à l’eau et à l’assainissement.
Les droits de l’Homme font l’objet d’une protection internationale, spécialement dans le cadre des Nations Unies. C’est ainsi qu’ont été adoptés la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et diverses conventions protectrices des droits humains.
Concernant l’eau et l’assainissement, la situation mondiale reste préoccupante.
C’est pourquoi des dispositions spécifiques complémentaires ont été prévues.
Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies a adopté une résolution [1] intitulée « Le droit de l’Homme à l’eau et à l’assainissement ». Elle note qu’environ 884 millions de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et que plus de 2,6 milliards de personnes n’ont pas accès à des services d’assainissement de base. Cela provoque chaque année la mort de près de 1,5 million d’enfants de moins de 5 ans.
La résolution « reconnait que le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’Homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’Homme ». Elle demande aux États d’intensifier leurs efforts pour fournir une eau potable et des services d’assainissement qui soient accessibles et abordables pour tous.
La résolution [2] adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 18 décembre 2013 rappelle « que le droit à l’eau potable et à l’assainissement en tant que droit de l’Homme découle du droit à un niveau de vie suffisant et est inextricablement lié au droit au meilleur état de santé physique et mentale possible, ainsi qu’au droit à la vie et à la dignité ».
Une nouvelle résolution, intitulée « Les droits de l’Homme à l’eau potable et à l’assainissement », est adoptée le 17 décembre 2015 [3]. Elle explicite le contenu de ces droits :
« le droit de l’homme à l’eau potable doit permettre à chacun d’avoir accès sans discrimination, physiquement et à un coût abordable, à un approvisionnement suffisant en eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques », « le droit de l’Homme à l’assainissement doit permettre à chacun, sans discrimination, d’avoir accès physiquement et à un coût abordable, à des équipements sanitaires, dans tous les domaines de la vie, qui soient sans risque, hygiéniques, sûrs, socialement et culturellement acceptables et gages d’intimité et de dignité ».
On retiendra de ces définitions que le droit à l’eau et à l’assainissement contient principalement les éléments suivants :
Disponibilité : l’eau doit être suffisante pour les usages personnels et domestiques de chaque personne (boisson, lavage du linge, préparation des aliments, hygiène) ;
Qualité : l’eau doit être salubre et exempte de tout élément dangereux pour la santé ;
Accessibilité : l’eau et les installations d’assainissement doivent être accessibles physiquement et financièrement pour tous, sans discrimination, notamment à l’égard des groupes à risque ou marginalisés, des femmes et des enfants ;
Participation : les populations locales et les parties concernées doivent être informées et consultées sur les solutions permettant d’offrir un accès durable à l’eau potable et à l’assainissement.
Le cadre européen du droit à l’eau et à l’assainissement.
La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (dite Convention européenne des droits de l’homme) ne mentionne pas expressément le droit à l’eau et à l’assainissement.
Dans un arrêt du 10 mars 2020 [4], la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la requête de personnes vivant dans des campements non autorisés de Roms en Slovénie. Les requérants reprochaient à l’État de ne pas leur avoir fourni d’accès à l’eau et à l’assainissement en violation des dispositions des articles 3 (traitements inhumains), 8 (respect de la vie privée) et 14 (discrimination) de la Convention. La Cour rejette la requête. Elle relève (au point 116) que l’accès à une eau potable sûre n’est pas en tant que tel un droit protégé par l’article 8 de la Convention.
Toutefois, l’eau est un élément vital pour l’être humain. Le manque d’accès persistant à l’eau potable peut avoir des conséquences néfastes pour la santé et la dignité humaine et porter atteinte à la vie privée et à la jouissance du domicile. Il n’est donc pas exclu qu’en fonction des situations et des circonstances spécifiques, l’Etat puisse se voir imposer en la matière des obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention.
Dans l’Union européenne, selon le principe 20 du socle européen des droits sociaux,« toute personne a le droit d’accéder à des services essentiels de qualité, y compris l’eau l’assainissement (…). Les personnes dans le besoin doivent bénéficier d’un soutien leur permettant d’accéder à ces services » [5].
La directive cadre sur l’eau [6] précise : « L’eau n’est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu’il faut protéger, défendre et traiter comme tel ».
La question du droit à l’eau et à l’assainissement a fait l’objet de la toute première initiative citoyenne européenne.
L’initiative citoyenne européenne « L’eau, un droit humain » (Right2Water) [7] a été lancée en 2012 par EPSU, fédération européenne des syndicats des services publics. Elle a recueilli plus de 1,8 million de signatures. Elle demandait notamment que « les institutions européennes et les Etats membres soient tenus de faire en sorte que tous les habitants jouissent du droit à l’eau et à l’assainissement » et que « l’Union européenne intensifie ses efforts pour réaliser l’accès universel à l’eau et à l’assainissement ».
A la suite de cette initiative, la directive eau potable a fait l’objet d’une refonte en 2020. La nouvelle directive [8] comporte des dispositions visant à améliorer l’accès aux eaux destinées à la consommation humaine.
L’article 16 de la directive 2020/2184 dispose que les Etats membres « prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés ». Les Etats membres doivent :
identifier les personnes n’ayant pas accès ou ayant un accès limité aux eaux destinées à la consommation humaine, y compris les groupes vulnérables et marginalisés ;
évaluer les possibilités d’améliorer l’accès à l’eau de ces personnes ;
informer ces personnes des possibilités de connexion à un réseau de distribution ou d’autres moyens d’accès à l’eau ;
prendre des mesures afin de garantir l’accès à l’eau pour les groupes vulnérables et marginalisés.
En outre, pour promouvoir l’utilisation de l’eau du robinet, les Etats membres veillent à ce que des équipements intérieurs et extérieurs soient installés dans les espaces publics, sous certaines conditions.
Par ailleurs, la directive définit au niveau de l’Union les exigences minimales auxquelles devraient satisfaire les eaux destinées à la consommation humaine. La France ne respecte pas certaines de ces normes, ce qui lui a valu récemment une mise en demeure de la Commission européenne [9].
Concernant l’assainissement, la directive 91/271/CEE modifiée définit des règles à l’échelle de l’Union pour la collecte, le traitement et le rejet des eaux urbaines résiduaires [10].
Le droit à l’eau et à l’assainissement en France.
La pandémie de coronavirus a rappelé à quel point l’eau était essentielle pour la santé. « Se laver régulièrement les mains » est le premier geste de prévention préconisé par les autorités sanitaires pour lutter contre la propagation des virus.
Pourtant, en France, « aujourd’hui encore, en 2021, 235 000 personnes sont privées d’un accès permanent à l’eau. Ce n’est pas acceptable, et nul ne peut s’y résoudre.
Nous avons encore du travail pour assurer à chacun l’accès à l’eau potable et à l’assainissement » [11].
La situation est particulièrement critique dans les départements et régions d’Outre-mer (DROM), ce qui a amené l’Etat à lancer en 2016 le plan Eau Dom « afin d’améliorer le service rendu aux usagers en matière d’eau potable et d’assainissement » [12].
L’article 1er de la loi n°92-3 du 3 janvier 1992 sur l’eau énonce : « L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. (…) L’usage de l’eau appartient à tous dans le cadre des lois et règlements (…) ».
Ce texte est devenu l’article L210-1 du Code de l’environnement. Il a été complété par la loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA), qui dispose : « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
Selon les travaux préparatoires de la LEMA, cette nouvelle disposition avait pour but de fournir « un cadre législatif dans lequel s’inscriront les diverses dispositions prises pour la mise en œuvre du droit à l’eau ».
Depuis lors, plusieurs propositions de loi ont été déposées tendant à garantir une mise en œuvre effective du droit humain à l’eau potable et à l’assainissement. Elles n’ont toujours pas abouti. La directive 2020/2184 devra également être transposée en droit français.
En l’état actuel, les conséquences pratiques du droit à l’eau peuvent être résumées comme suit.
L’interdiction des coupures d’eau et de la réduction de débit.
L’usage de l’eau potable est essentiel et ne peut être remis en cause. Le distributeur n’a pas le droit de couper l’eau ou de réduire le débit si un abonné ne paye pas sa facture.
L’interdiction des coupures d’eau pour les résidences principales a été consacrée par la loi n°2013-312 du 15 avril 2013, modifiant l’article L115-3 du code de l’action sociale et des familles (dite loi Brottes). Cette disposition a été déclarée conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel, qui relève :
« le législateur, en garantissant (…) l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent » [13].
La réduction du débit d’eau (lentillage) en cas de non-paiement des factures est également interdite [14].
Le droit à réparation en cas d’interruption du service ou de mauvaise qualité de l’eau.
Le service des eaux est responsable en cas de troubles causés aux usagers par des accidents de service (interruption de fourniture, variation de pression...). Le règlement de service, qui définit les droits et obligations du distributeur et des usagers, doit prévoir un droit à réparation en cas d’interruption du service ou de non respect de la qualité de l’eau. La Commission des clauses abusives l’a rappelé dans deux recommandations [15].
Lorsque l’eau délivrée n’est pas conforme aux exigences réglementaires, le distributeur peut être condamné à réparer le préjudice subi par les usagers [16].
Le droit à un logement décent
Le droit à l’eau et à l’assainissement fait partie de la notion de logement décent.
Le bailleur doit fournir au locataire un logement décent, ce qui comporte notamment des installations d’alimentation en eau potable, d’évacuation des eaux usées et des installations sanitaires [17].
L’accès à l’eau et à l’assainissement à un coût abordable
La loi sur l’eau de 2006 prévoit que l’accès à l’eau doit être garanti « dans des conditions économiquement acceptables par tous » [18]. Il résulte des travaux préparatoires de la loi que le droit à l’eau « ne suppose nullement la gratuité de l’usage de l’eau », mais l’accès à « des conditions acceptables par tous, usager, collectivité ou gestionnaire du service public de l’eau » [19].
La loi du 27 décembre 2019 autorise les services publics d’eau et d’assainissement « à mettre en œuvre des mesures sociales visant à rendre effectif le droit d’accéder à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions économiquement acceptables par tous » [20]. Elle prévoit que différentes mesures peuvent être envisagées, comme l’adoption de tarifs tenant compte de la composition ou des revenus du foyer, ou de tarifs incitatifs définis en fonction de la quantité d’eau consommée ou bien encore l’attribution d’aides.
Cette nouvelle disposition fait suite à l’expérimentation de la tarification sociale de l’eau et de l’assainissement, qui avait été prévue par la loi Brottes de 2013.
Notons que des associations d’usagers et de consommateurs mettent en garde contre des mesures stigmatisant des personnes en situation de fragilité économique. Elles préconisent la suppression pour tous de l’abonnement et des parts fixes dans les tarifs de l’eau et de l’assainissement, sources d’injustices pour les petits consommateurs et ceux qui s’efforcent de réduire leur consommation.
Pour la CLCV,
« les conditions d’accès aux services doivent être les mêmes pour tous, de façon à ce que chacun puisse bénéficier de la quantité d’eau nécessaire pour vivre dignement, sans avoir à justifier de sa situation pour bénéficier d’une aide. La loi permet la mise à disposition d’eau sans abonnement, avec une tarification progressive. Le droit commun pourrait également se traduire par le versement d’une aide aux ménages pour qui le coût de l’eau et de l’assainissement représente plus de 2% de leurs revenus » [21].