Droit de la consommation et pollution plastique : exemple d’action aux Etats-Unis.

Par Jacqueline Jamet, Docteur en Droit.

1213 lectures 1re Parution:

Explorer : # pollution plastique # pratiques commerciales trompeuses # recyclage # responsabilité des entreprises

La journée mondiale des droits des consommateurs (15 mars) a pour thème en 2021 la lutte contre la pollution plastique.
C’est l’occasion de faire le point sur une action judiciaire intentée aux États-Unis par une organisation environnementale contre des multinationales au sujet de leur responsabilité dans cette pollution.
Cette affaire mérite d’être suivie car l’Europe est aussi concernée.

-

Une organisation environnementale a engagé en février 2020 une action devant la justice californienne contre les grandes multinationales de l’industrie agroalimentaire et produits d’hygiène. Dans sa requête, l’association demande réparation pour les dommages causés par la pollution créée par leurs emballages en plastique. Elle invoque différents moyens juridiques, s’appuyant principalement sur le droit de la consommation. Décryptage.

Les parties au procès

L’action est intentée par une organisation à but non lucratif : Earth Island Institute (ci après Earth Island). Cette association finance différents projets pour la préservation des océans et des mammifères marins et la lutte contre la pollution plastique.

Les défendeurs sont des fabricants de produits alimentaires, de boissons, de produits ménagers, soins et hygiène, conditionnés dans des emballages plastiques. Ce sont des multinationales bien connues en Europe : Nestlé, PepsiCo, Coca-Cola, Mondelez International (notamment marques de biscuits Oreo, Ritz…), Mars, Danone, Procter & Gamble, Colgate-Palmolive, etc.

Les faits allégués

1) La requête reproche aux entreprises d’avoir créé les conditions de la pollution plastique. Cette pollution cause de graves dommages aux être humains, aux animaux et à l’environnement, comme le montrent de nombreuses études. Les scientifiques estiment qu’entre 8 et 20 millions de tonnes de plastique entrent dans l’océan chaque année. Le plastique ne disparait pas. Il se décompose en morceaux de plus en plus petits, les microplastiques, retrouvés notamment dans le système digestif des animaux marins et dans les réserves d’eau utilisées par l’homme.
Une part importante de cette pollution plastique peut être attribuée à quelques grandes entreprises qui utilisent des emballages en plastique, dont une grande partie à usage unique. Par exemple, les trois principaux utilisateurs mondiaux d’emballages en plastique (Coca-Cola, PepsiCo et Nestlé) contribueraient à 14 % de la pollution plastique des océans.

2) Il est reproché aux entreprises de mettre en avant le caractère recyclable du plastique. Or, sur l’ensemble des plastiques étiquetés comme recyclables, moins de 10% de ces articles sont effectivement recyclés. Les 90 % restants finissent dans des décharges, des incinérateurs ou polluent l’environnement. Ainsi, de nombreux consommateurs pensent à tort que les produits, étiquetés recyclables, sont recyclés.
De plus, alors que les débouchés pour les déchets plastiques à l’étranger sont de plus en plus restreints, les collectivités sont confrontées à des difficultés grandissantes et doivent supporter un coût élevé pour collecter et traiter ces déchets. Le recours accru à l’incinération est également dommageable pour la santé et l’environnement.

3) Les entreprises n’ont pas cherché de solutions alternatives au plastique. Elles choisissent d’utiliser le plastique car il leur coûte moins cher.

4) Par leurs campagnes de désinformation, les entreprises rejettent la responsabilité de la pollution sur les citoyens consommateurs. Elles laissent croire que le problème de la pollution serait réglé si les consommateurs mettaient leurs déchets dans la poubelle de recyclage. Ces campagnes ont pour but de freiner l’adoption de mesures de prévention des déchets plastiques contraignantes pour les entreprises [1].
Pour tenter de répondre aux préoccupations des consommateurs concernant les impacts environnementaux des produits, les entreprises prétendent que leurs plastiques sont recyclables et développent une communication marketing sur leurs engagements en matière d’emballages. Les entreprises utilisent un symbole de recyclage sur leurs produits (triangle avec trois flèches, appelé anneau de Möbius) dont la signification est trompeuse pour les consommateurs.

5) Enfin la requête démontre en quoi la pollution plastique porte atteinte aux intérêts du Earth Island Institute et du public en général. Earth Island consacre des ressources croissantes à des opérations de nettoyage des plages, d’assainissement des côtes et voies navigables touchées par la pollution plastique, et pour lutter contre les menaces pesant sur la faune marine.

Les moyens de droit invoqués

1) Sur les allégations et pratiques commerciales trompeuses

Earth Island soutient que les pratiques des entreprises violent la loi sur les recours des consommateurs (CLRA), incorporée au code civil de Californie. L’article 1770 prohibe 27 types de pratiques commerciales déloyales ou trompeuses.
En l’espèce, il est reproché aux entreprises d’avoir fait de la publicité mensongère et d’avoir trompé les consommateurs sur les caractéristiques, les utilisations ou les avantages des produits ainsi que sur leur qualité particulière.
Le requérant cite également l’article 17580.5 du California Business and Professions Code qui interdit toute déclaration environnementale (explicite ou implicite) fausse, trompeuse ou mensongère. Earth Island détaille en quoi les allégations des entreprises concernant le recyclage peuvent être considérées comme trompeuses, au sens de ce texte, par référence aux guides sur les allégations environnementales de la Federal Trade Commission (désignés dans la pratique "Green Guides").
Enfin, selon l’article 42355.5 du California Public Resources Code, les allégations de marketing environnemental doivent être justifiées par des preuves fiables afin d’éviter de tromper ou d’induire en erreur les consommateurs sur l’impact environnemental des produits en plastique.

2) Sur la nuisance publique

La nuisance publique est un trouble qui affecte une communauté entière, le voisinage ou un nombre important de personnes (article 3480 du code civil de Californie).
Earth Island reproche aux entreprises d’avoir contribué à créer une nuisance en provoquant une pollution plastique des océans, des côtes et de la vie marine. Cette pollution affecte de manière substantielle et négative les intérêts du public dans son ensemble ; elle entrave notamment la libre utilisation des ressources naturelles, la jouissance des côtes et des océans.

3) Sur la garantie due par le vendeur

Le code de commerce uniforme, adopté par la Californie, contient des dispositions sur les garanties accordées à l’acheteur. Il prévoit notamment une garantie expresse du vendeur (article 2-313). Ainsi, une affirmation de fait ou la promesse faite par le vendeur à l’acheteur crée une garantie expresse de conformité du produit à cette promesse.
En l’espèce, selon le requérant, les déclarations sur la recyclabilité des produits constituent des affirmations de fait, pour lesquelles les entreprises sont tenues à une obligation de garantie. Or elles n’y ont pas satisfait puisque les produits ne sont pas recyclables comme annoncé.

4) Sur la responsabilité du fait des produits défectueux

Pour mettre en jeu la responsabilité du fait des produits défectueux le demandeur doit prouver le défaut du produit, le dommage et le lien de causalité entre le défaut et le dommage. Il s’agit d’une responsabilité sans faute (responsabilité stricte ou objective).
En droit des produits défectueux, un défaut concerne la fabrication, la conception ou les instructions / avertissement.
Earth Island considère que les produits présentent un défaut d’avertissement et de conception.

Concernant le défaut d’avertissement, les défendeurs savaient ou auraient dû savoir, sur la base des informations et des données scientifiques dont ils disposent, que l’emballage plastique est toxique et a des effets dévastateurs sur les océans et la vie marine. Les défendeurs n’ont pas averti de manière adéquate les consommateurs et le grand public des risques connus et prévisibles ainsi que des conséquences découlant de l’utilisation normale, prévue et prévisible des emballages plastiques des produits.

Quant au défaut de conception, les produits des défendeurs ne sauraient être considérés comme sûrs, par rapport à ce qu’un consommateur ordinaire attend, en raison des nombreux impacts environnementaux négatifs de l’emballage plastique. Les entreprises auraient pu atténuer ces impacts en adoptant des alternatives et pratiques connues et disponibles.

5) Sur la négligence

Earth Island s’appuie également sur la théorie de la négligence pour faire reconnaitre la responsabilité des entreprises. Il reprend les arguments précédemment évoqués sur le défaut de conception et d’avertissement des produits. En vertu de la théorie de la négligence, il faut en outre prouver que le défaut du produit était dû à la négligence du défendeur. En l’occurrence Earth Island s’évertue à démontrer que les défendeurs ont manqué à leur obligation de diligence raisonnable dans la conception des produits. Il leur est également reproché de ne pas avoir donné les avertissements qu’un professionnel raisonnable aurait dû prodiguer.

Où en est le procès ?

Earth Island a introduit son action devant la Cour supérieure du comté de San Mateo en Californie en février 2020. Il s’agit d’une juridiction relevant de l’Etat de Californie (par opposition aux juridictions fédérales).
En avril 2020, les défendeurs ont porté l’affaire devant la juridiction fédérale : la US District Court Northern District of California. Ils invoquent en effet la compétence des juridictions fédérales et l’application du droit fédéral en lieu et place du droit californien.
Par décision du 23 février 2021, la Cour fédérale (US District Court) a rejeté l’argumentation des entreprises. Elle considère que la requête de Earth Island n’est pas basée sur le droit fédéral. On n’entrera pas ici dans les détails de cette décision, qui touche aux domaines respectifs du droit fédéral et du droit des États.
L’affaire va désormais suivre son cours. Elle doit être jugée par la Cour supérieure du comté de San Mateo, selon la procédure de jugement par jury.

Références
Requête du Earth Island Institute https://www.earthisland.org/images/uploads/suits/2020-02-26_Earth_Island_Complaint_FILED.PDF
Décision US District Court Northern District of California 23 février 2021 https://www.earthisland.org/images/uploads/suits/2021-02-23_DKT_102_Order_Granting_MTN_to_Remand.pdf

Jacqueline Jamet, docteur en droit

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

0 vote

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Cette stratégie est également mise en œuvre en Europe. Voir notamment "Plastic pressure Industry turns up the heat to avoid plastics regulation spurred by public demand"https://corporateeurope.org/en/powe...

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs