1/ La qualification du trouble anormal de voisinage.
Les deux premières questions qui se posent en la matière sont : qu’est-ce qu’un trouble et qu’est-ce qui est anormal. Malgré la consécration législative du trouble anormal de voisinage par la loi du 15 avril 2024 que l’on détaillera infra, les deux questions restent entières.
En effet le nouvel article 1253 du Code civil fait état de
« trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage ».
Mais cette normalité n’est absolument pas définie, aucun critère objectif n’est énoncé. La définition et l’appréciation de la normalité appartiennent donc au juge qui devra dire si nous sommes en présence d’un trouble anormal ou pas, ce dans tel ou tel cas.
Le juge doit en conséquence prendre en compte les circonstances concrètes de temps et de lieux pour caractériser l’anormalité ou non d’un trouble de voisinage. Il devra préalablement caractériser l’existence même du trouble. Il convient de rappeler que selon une position ancienne de la Cour de cassation, les juges ne peuvent pas baser leurs décisions sur des considérations générales [1].
Il est admis qu’intrinsèquement le voisinage crée des désagréments inhérents à la vie en communauté dont le seuil de tolérance doit être acceptable.
Seule l’anormalité du trouble permet le bien-fondé de l’action. En conséquence, les juges devaient rechercher un caractère excessif du trouble au regard des inconvénients normaux de voisinage pour recevoir l’action du voisin mécontent. Le législateur a consacré cette approche prétorienne.
2/ Le fondement juridique du trouble anormal de voisinage. De l’article 544 du Code civil à l’article 1253 du Code civil.
La notion de trouble anormal du voisinage a été initialement dégagée à partir de l’article 544 du Code civil.
Ce dernier dispose :
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».
Cette disposition générale qui avec l’article 545 du Code civil consacre l’importance en droit français de la propriété a été maintenue par le législateur.
Ce dernier par le biais de la loi du 15 avril 2024 a créé un article 1253 inséré dans le sous-titre II sur la responsabilité extracontractuelle du Code civil.
Ce nouveau texte dispose :
« Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.
Sous réserve de l’article L311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal ».
Le législateur marque ainsi sa prise de conscience d’une question qui impacte la vie de nombreux citoyens et génère un contentieux exponentiel. Cela étant cette évolution législative a pris naissance dans un contexte particulier à savoir celui des rapports entre néo-ruraux et agriculteurs.
Ce contexte a donné lieu à la loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes française [2]. L’article 1253 du Code civil est le prolongement de ce mouvement législatif qui s’inscrit dans la volonté de réduire le champ d’application de l’action pour troubles anormaux du voisinage.
L’article 1253 du Code civil fait expressément référence à cette volonté de protection du monde agricole puisqu’il renvoie à l’article L311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime marquant la primauté de l’antériorité agricole sur le trouble anormal créé.
Mais cette cause d’exonération liée à l’antériorité de l’activité à l’origine du trouble a déjà été elle-même limitée dans un arrêt du 23 mai 2024 par la Cour de cassation [3].
La Cour de cassation considère que la préoccupation n’est pas une protection absolue, ce dans le cadre de l’article L112-6 du Code de la construction et de l’habitation dont se prévalait l’auteur du trouble. Cette solution est transposable à l’article L311-1-1 du Code rural et de la pêche maritime.
Enfin concernant le fondement juridique de la notion, il est besoin de préciser que la Cour de cassation a jugé que la restriction apportée au droit de propriété par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage ne constitue pas une atteinte disproportionnée au droit protégé par l’article 1er de la CEDH [4].
3/ La réparation du trouble anormal de voisinage.
La Cour de cassation a jugé de manière constante que la responsabilité de l’auteur d’un trouble anormal de voisinage est étrangère à la notion de faute. Ainsi le demandeur à l’action doit seulement prouver l’existence d’un trouble anormal de voisinage sans démontrer une faute de son voisin indélicat.
De plus les dispositions légales n’excluent pas l’existence de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage [5].
L’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal de voisinage constitue une action en responsabilité extracontractuelle dont la prescription est de cinq ans.
Autre point procédural, une telle action doit depuis le 1ᵉʳ octobre 2023 être précédée sous peine d’irrecevabilité de l’action d’une tentative de règlement amiable.
Le législateur n’a pas prévu expressément un mode de réparation spécifique. La Cour de cassation a toujours laissé toute latitude au juge du fond pour apprécier les mesures propres à faire cesser le trouble anormal de voisinage [6].
La mesure la plus communément utilisée est l’obligation de faire cesser le trouble sous astreinte financière par jour de retard jusqu’à la cessation du trouble. Mais cela peut aussi être une condamnation à des dommages-intérêts correspondant à la dépréciation vénale d’un bien immobilier affecté par les troubles dont il s’agit.
Quoiqu’il en soit, il est notable que l’introduction du nouvel article 1253 du Code civil ne règle aucune des questions posées par la notion de troubles anormaux de voisinage et que le contentieux généré par celle-ci ne va pas diminuer.