Comment mettre fin au bruit excessif d’une activité artisanale ?

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # troubles de voisinage # responsabilité extracontractuelle # preuve acoustique

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Dans cet article, l'auteur présente un cas où des voisins se plaignent du bruit excessif généré par une activité artisanale, en l'occurrence une boucherie-traiteur. Les plaignants ont obtenu une ordonnance du tribunal pour faire réaliser une expertise afin de prouver les nuisances sonores. Suite au rapport d'expertise, ils ont poursuivi la boucherie et les propriétaires en justice et ont obtenu gain de cause partiellement. Le tribunal a ordonné à la boucherie de réaliser des travaux pour réduire les bruits et a accordé aux plaignants une indemnisation pour préjudices moraux et de jouissance. Le tribunal a également souligné l'importance de fournir des preuves solides et objectives pour étayer les demandes.
Description rédigée par l'IA du Village

Un charcutier-traiteur de marchés exploitait, au sein de sa propre maison, une activité commerciale de plus en plus importante. Des voisins mécontents du bruit que cette activité générait, avaient saisi le Tribunal judiciaire de Bobigny [1]. Par son jugement du 23 octobre 2023, le tribunal a rappelé les conditions exigées pour que soit caractérisé un trouble anormal de voisinage ainsi que l’importance de disposer en la circonstance de preuves précises et objectives, notamment une expertise judiciaire contradictoire.

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I. Présentation de l’affaire.

1° Les faits.

Monsieur et Madame X., propriétaires et occupants d’une maison, se plaignaient de bruits en provenance de l’activité de charcutier-traiteur exerçant sur les marchés, exploitée par la sarl Z. et exercée au sein de la maison située à côté.

Les demandeurs faisaient état d’importantes nuisances sonores liées, tout d’abord, au fonctionnement des machines, des ventilateurs, des groupes frigorifiques ainsi que des camions frigorifiques utilisés dans le cadre de l’activité exploitée par la sarl Z.

Ces nuisances se traduisaient par des bruits de moteurs, de compresseurs, de ronronnements et de souffles d’air.

La sarl Z possédait deux camionnettes ainsi que trois camions réfrigérés, utilisés tous les dimanches pour le chargement et le déchargement de marchandises à destination du marché du dimanche, et ce depuis l’année 2021.

Monsieur et Madame X. observaient chaque semaine que les défendeurs utilisaient un camion le mardi, deux camions les autres jours de la semaine et jusqu’à trois camions le dimanche, en plus des deux camionnettes.

S’ajoutait à ces troubles, l’existence de bruits liés à la manutention de la marchandise lors du chargement et déchargement des véhicules de livraison, aux chocs de la vaisselle et des couverts lors de leur nettoyage, à l’utilisation d’un karcher ainsi qu’à des claquements de portes.

Par ailleurs, ces nuisances se traduisaient également par l’existence de bruits aériens liés aux voix et aux cris du personnel de la sarl Z.

Ces bruits, d’une forte intensité, se manifestaient aux heures d’ouverture de la sarl Z., soit du mardi au dimanche et ce dès 5 heures du matin.

La réalité et l’intensité de ces nuisances avaient été confirmées par plusieurs procès-verbaux de constat d’Huissier, par un rapport de mesures acoustiques établi par le Bureau d’Etudes Techniques (BET) ainsi que par une attestation de témoin.

Ainsi, l’intensité des nuisances était telle qu’elle empêchait les demandeurs de jouir sereinement de leur bien immobilier et dégradait leur santé, ainsi que celle de leurs enfants, notamment par des troubles du sommeil.

2° La procédure.

Afin de faire établir la réalité des nuisances dont ils se disaient victimes, Monsieur et Madame X. avaient sollicité une expertise en référé au visa de l’article 145 du Code de procédure civile devant le Président du Tribunal judiciaire de Bobigny.

Par ordonnance de référé du 31 mars 2021, le Président du Tribunal judiciaire de Bobigny avait fait droit à la demande de Monsieur et Madame X.

A l’issue des opérations d’expertise, l’Expert judiciaire avait rendu, le 3 mars 2022, son rapport définitif.

Sur le fondement de ce rapport d’expertise, Monsieur et Madame X. avaient alors assigné la sarl Z. et Monsieur et Madame Y., propriétaires de la maison où était exploitée l’activité, devant le Tribunal judiciaire de Bobigny et sollicitaient leur condamnation, in solidum, à :

  • faire réaliser, à leurs frais, par un Bureau d’Etudes Techniques (BET) en acoustique compétent, une étude réparatoire complète et détaillée aux fins de déterminer les travaux nécessaires pour mettre fin aux nuisances sonores subies par Monsieur et Madame X. ; étant précisé que cette étude devrait, tenir compte des préconisations de l’Expert judiciaire à savoir :
    • la suppression de l’ancienne porte à commande manuelle
    • ainsi que la réalisation d’une couverture acoustique de l’aire extérieure utilisée pour le stationnement des camions et de chargements des marchandises, en prolongement des locaux de l’atelier.
  • faire réaliser, à leurs frais, par un BET en acoustique, une mesure de réception pour s’assurer qu’il était définitivement mis fin aux nuisances subies par Monsieur et Madame X.
  • fermer, de manière définitive, leur établissement s’ils n’obtenaient pas les autorisations de travaux nécessaires auprès du service de l’urbanisme compétent pour la réalisation des travaux préconisés par le BET
  • fermer leur établissement le temps de la réalisation des travaux préconisés par le BET
  • indemniser Monsieur et Madame X. au titre de leur préjudice de santé, de leur préjudice moral et de leur préjudice de jouissance
  • indemniser Monsieur et Madame X., au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, comprenant les frais et honoraires d’avocat, les frais d’huissier de justice et ceux liés à l’intervention du BET, ainsi que les entiers dépens, comprenant les frais d’expertise et les frais d’huissier de justice pour la signification de l’assignation en référé-expertise et celle de l’assignation au fond.

3° La décision du juge.

Par un jugement rendu le 23 octobre 2023, le Tribunal judiciaire de Bobigny a fait partiellement droit aux demandes de Monsieur et Madame X. et a enjoint à la sarl Z. et Monsieur et Madame Y., « dans un délai de quatre mois à compter de la signification du présent jugement sous peine, passé ce délai, d’une astreinte provisoire de 500 euros par jour pendant une durée de deux mois :

  • à faire réaliser, à leurs frais, les travaux permettant au local commercial exploité par la sarl Z. de respecter la réglementation en vigueur en matière de bruits, avec notamment la suppression de l’ancienne porte à commande manuelle et la réalisation d’une couverture acoustique de l’aire extérieure utilisée pour le stationnement des camions de marchandises et le chargement des marchandises en prolongement des locaux de l’atelier
  • à faire contrôler par un bureau d’études techniques en acoustique, à leurs frais, à leur initiative et à l’issue des travaux, la conformité du local commercial à la réglementation en vigueur en matière de bruits, notamment depuis le domicile de Monsieur et Madame X ».

Monsieur et Madame X. ont, toutefois, été déboutés de « leurs demandes tendant à la réalisation d’une étude technique acoustique préalable aux travaux, à la fermeture de l’entreprise exploitée par la sarl Z. pendant la durée des travaux, à la réparation du préjudice de santé, et à la réparation de la résistance abusive ».

Le Tribunal judiciaire de Bobigny a, également, déclaré irrecevable

« la demande présentée par Monsieur et Madame X. tendant à la fermeture de l’entreprise exploitée par la sarl Z. en cas de refus des travaux par le service de l’urbanisme ».

Le juge de première instance a, cependant, condamné les défendeurs, in solidum, à payer à Monsieur et Madame X. « les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement :

  • 2 500 euros à chacun au titre du préjudice moral
  • 7 800 euros au titre du préjudice de jouissance ».

La sarl Z. ainsi que Monsieur et Madame Y. ont également été condamnés, in solidum, « aux dépens, en ce inclus les frais d’expertise judiciaire et les frais d’assignation en référé et au fond » ainsi qu’« à payer à Monsieur et Madame X. la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile », soit la quasi-totalité des frais d’avocat exposés par Monsieur et Madame X.

II. Observations.

La décision rendue par le Tribunal judiciaire de Bobigny est intéressante à deux égards notamment. Le Tribunal énonce tout d’abord les conditions exigées afin d’envisager la réparation du trouble anormal de voisinage en rappelant, néanmoins, que cette réparation peut être empêchée par la règle de l’antériorité (1°).

Il met en évidence ensuite la nécessité pour les parties de fonder leurs griefs ainsi que leurs demandes indemnitaires sur des éléments sérieux et objectifs (2°).

1° La réparation du trouble anormal de voisinage et la règle de l’antériorité.

La Cour de cassation a fondé la théorie des troubles anormaux de voisinage sur « le principe suivant lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » [2].

Dans la décision commentée, le Tribunal judiciaire de Bobigny a confirmé cette jurisprudence. Il est allé cependant plus loin, en énonçant les conditions de mise en œuvre de ce régime de responsabilité extracontractuel dans une situation de nuisances sonores générées par une activité commerciale. En effet, le tribunal a motivé sa décision en énonçant, tout d’abord, qu’

« est responsable de plein droit, indépendamment de toute faute, sur le fondement du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, celui qui est l’auteur d’un trouble excédant les inconvénients qu’il est habituel de supporter entre voisins, qu’il soit propriétaire occupant ou non, occupant non propriétaire avec ou sans titre, ou encore voisin occasionnel, tel l’entrepreneur qui réalise des travaux, sans possibilité, pour ledit voisin, de s’exonérer en tout ou partie de sa responsabilité à l’égard de son voisin en invoquant le fait d’un tiers, sauf à ce qu’il présente les caractères de la force majeure ».

Il ressort de cet attendu les éléments suivants :
- la personne victime de nuisances sonores n’a pas à démontrer que la personne à l’origine du trouble anormal de voisinage a commis une faute pour engager sa responsabilité extracontractuelle
- le trouble, pour être qualifié de « trouble anormal de voisinage », doit excéder les inconvénients qu’il est habituel de supporter entre voisins
- ce régime s’applique aussi bien au propriétaire occupant ou non qu’à l’occupant non propriétaire avec ou sans titre, ou encore au voisin occasionnel
- enfin, l’auteur du trouble ne peut s’exonérer en tout ou partie de sa responsabilité à l’égard de son voisin en invoquant le fait d’un tiers. Il le peut en présentant les caractères de la force majeure (c’est-à-dire que l’événement doit être imprévisible, irrésistible, et échapper au contrôle des personnes concernées).

Le tribunal judiciaire a rappelé, toutefois, que, même si le trouble anormal de voisinage est caractérisé, la réparation de ce trouble peut être empêchée si s’applique la règle de l’antériorité.

Ainsi, le tribunal a énoncé qu’

« il résulte en revanche des dispositions de l’article L113-8 - anciennement L112-16 - du Code de la construction et de l’habitation que les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’alinéation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».

Il ressort de cet attendu qu’une société peut opposer l’antériorité de son activité dès lors que la personne victime de nuisances sonores est devenue propriétaire et/ou occupant d’un bien immobilier après l’existence de l’activité litigieuse.

Cependant, cette activité doit s’exercer alors en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et se poursuivre dans les mêmes conditions depuis sa création.

En l’espèce, le Tribunal judiciaire de Bobigny a, dans un premier temps, écarté l’application de la règle de l’antériorité au motif que l’activité de la sarl Z. ne s’exerçait pas en conformité avec les dispositions réglementaires en vigueur. En effet, il a estimé que les conclusions concordantes du rapport d’expertise judiciaire et du rapport du BET démontraient

« que les bruits émanant tant du fonctionnement des équipements que de l’activité de la sarl Z. […] excédaient les seuils réglementaires prévus par le Code de la santé publique ».

Le tribunal a, dans un second temps, reconnu l’anormalité des troubles de voisinage que subissaient Monsieur et Madame X. en considérant que le fait d’enfreindre la réglementation en vigueur suffisait à caractériser ce trouble.

2° La nécessité de fonder les griefs et les demandes indemnitaires sur des éléments sérieux et objectifs.

Dans la décision commentée, le Tribunal judiciaire de Bobigny a également rappelé la nécessité pour les parties de fonder leurs griefs ainsi que leurs demandes indemnitaires sur des éléments sérieux et objectifs.

Le tribunal a, à ce titre, rejeté la demande indemnitaire de la sarl Z. et de Monsieur et Madame Y. en considérant que

« outre que les défendeurs ne précisaient pas le fondement de leur demande indemnitaire, force était de relever que les griefs qu’ils reprochaient à Monsieur et Madame X. reposaient pour l’essentiel sur leurs seules affirmations (mains-courantes, plaintes, mises en demeure) et que rien ne permettait d’imputer, avec la certitude requise en justice, les publications sur Facebook invoquées à Monsieur et Madame X ».

Cet attendu démontre la faible valeur accordée à certains modes de preuve. En effet, bien que la preuve soit libre en droit français et puisse être administrée par tous les moyens légaux, certaines preuves sont davantage considérées que d’autres. Il en va ainsi du rapport d’expertise judiciaire. C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il est fortement conseillé de la demander, au juge des référés, avant tout procès au fond.

Monsieur et Madame X. avaient fondé leurs griefs et demandes indemnitaires sur un rapport d’expertise judiciaire ainsi qu’un rapport de mesurage établi par un bureau d’études spécialisé en acoustique. Les conclusions de ces rapports, résultant de quatre campagnes distinctes de mesures acoustiques, ont suffi pour le tribunal à démontrer l’existence d’un trouble anormal de voisinage.

Ces preuves étaient, en effet, suffisamment claires et précises pour permettre au tribunal de statuer au fond. Le doute n’était donc plus permis. C’est pourquoi le juge de première instance a fait droit partiellement à leurs demandes en condamnant in solidum la sarl Z. et Monsieur et Madame Y. :

  • à la réalisation de travaux permettant au local commercial exploité de respecter la réglementation en vigueur en matière de bruits et au contrôle, à l’issue des travaux, de la conformité du local à la réglementation
  • au paiement de la somme de 2 500 euros à chacun au titre du préjudice moral, de la somme de 7 800 euros à chacun au titre du préjudice de jouissance, aux dépens ainsi qu’au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, soit la quasi-totalité des frais d’avocat exposés par Monsieur et Madame X.

Conclusion.

Dans son jugement du 23 octobre 2023, le Tribunal judiciaire de Bobigny a fait application de la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux de voisinage pour condamner la sarl Z. et Monsieur et Madame Y., responsables de nuisances sonores tenant à l’exploitation de la boucherie, à faire cesser les troubles constatés et indemniser les préjudices de Monsieur et Madame X.

Afin de déterminer si les nuisances sonores subies par Monsieur et Madame X. étaient ou non qualifiables de troubles anormaux de voisinage, le juge de première instance a, dans un premier temps, écarté l’application de la règle de l’antériorité et, dans un second temps, reconnu le caractère anormal du trouble en tenant compte de la précision et de l’objectivité des preuves apportées par les parties.

Par cette décision, le juge de première instance a, par ailleurs, rappelé l’intérêt de produire des constats techniques afin de démontrer la réalité des faits allégués ; ces derniers apportant davantage d’éclaircissements au juge sur la situation que les autres modes légaux.

On notera que le tribunal a accordé la quasi-totalité de l’indemnité au titre de l’article 700 (remboursement des frais d’avocat) que les demandeurs avaient sollicitée.

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[1Jugement du Tribunal judiciaire de Bobigny du 23 octobre 2023 (Ch. 6, sect. 4, n° 22/11513).

[2Civ. 2e, 19 novembre 1986, n° 84-16.379.

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