La notion de troubles anormaux de voisinage.
Le principe gouvernant les troubles anormaux du voisinage a été posé par la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation le 19 novembre 1986 : « Nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».
D’ailleurs, récemment, la loi du 15 avril 2024 a créé un article 1253, inséré dans le Code civil : « Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte. »
Les troubles anormaux du voisinage correspondent à des nuisances qui excèdent les troubles raisonnablement attendus du voisinage. Ils sont produits par une personne ou par les choses ou animaux dont elle est responsable, et qui causent un préjudice aux personnes se trouvant à proximité.
Plusieurs conditions doivent être réunies pour pouvoir qualifier des nuisances subies de troubles anormaux de voisinage :
La constatation d’un trouble nécessairement anormal ;
Un rapport de voisinage ;
Un préjudice ;
Un lien de causalité entre le trouble anormal et le préjudice.
Concernant le trouble :
Le trouble se définit comme une nuisance, une gêne portée à l’usage ou à la jouissance d’un fonds.
Pour être qualifié de trouble anormal de voisinage, le trouble doit donc présenter un caractère anormal, c’est-à-dire excéder les nuisances courantes du voisinage.
L’anormalité d’un trouble est une question qui est laissée à l’appréciation des juges qui étudient la situation en fonction des circonstances de l’espèce et des preuves apportées. (Civ. 3e, 3 nov. 1977)
Généralement, pour être considéré comme anormal, le trouble est continu ou très répétitif et suffisamment grave. Le trouble constitue alors le fait générateur de responsabilité.
Il faut également savoir qu’il n’est pas nécessaire qu’une faute soit commise, la seule anormalité du trouble suffit.
À propos du type de troubles, il peut s’agir de nuisances visuelles, sonores, olfactives.
Concernant le rapport de voisinage :
Un voisin est défini comme celui qui occupe, à quelque titre que ce soit un immeuble situé à proximité d’un autre immeuble d’où émane le trouble. Il n’est pas nécessaire d’occuper le fonds contigu pour être considéré comme victime de troubles anormaux du voisinage, il faut certes une proximité mais qui peut être appréciée largement et donc ne pas être immédiate.
Concernant le préjudice et le lien de causalité :
L’article 1240 (anciennement article 1382) du Code civil prévoit la responsabilité civile pour faute, y compris en cas de nuisances causées à autrui : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
L’article 9 du Code de procédure civile dispose que « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »
En conséquence, la charge de la preuve du préjudice subi du fait du trouble anormal de voisinage incombe au demandeur. En effet, c’est celui qui prétend subir un trouble causant un préjudice qui est chargé d’en apporter la preuve, par tous moyens.
Néanmoins, la victime ne doit pas prouver la faute de l’auteur du trouble, mais seulement le fait que le trouble est anormal car il dépasse, par son intensité, les troubles normaux de voisinage.
Le préjudice peut être économique, esthétique, moral, de jouissance etc.
De plus, il est absolument primordial d’établir un lien de causalité entre le trouble anormal et le préjudice, c’est-à-dire qu’il faudra apporter la preuve que le préjudice subi par la personne lésée a été causé par le trouble anormal de voisinage.
Si le juge conclut à un trouble anormal de voisinage, il sanctionnera l’auteur des troubles et pourra ordonner la cessation du trouble et indemniser la victime de son préjudice.
À savoir que l’action en responsabilité extracontractuelle fondée sur un trouble anormal de voisinage se prescrit par cinq ans, selon l’article 2224 du Code civil, à compter du jour de la connaissance des premiers troubles.
Application au cas de nuisances causées par une pompe a chaleur.
S’il n’existe aucune loi décrivant l’obligation de respecter une certaine distance entre l’installation d’une pompe à chaleur et les propriétés voisines, les bruits de voisinage sont, eux, soumis à des règles spécifiques.
Il est courant que les pompes à chaleur causent des bourdonnements, des vibrations, des nuisances sonores dans le voisinage.
Dans le cas où vous subissez des troubles anormaux liés à l’installation par vos voisins d’une pompe à chaleur, plusieurs solutions s’offrent à vous :
Concernant les démarches à suivre :
Dans un premier temps, il convient de tenter de régler ce différend amiablement avec votre voisin, vous y serez contraint de toutes les manières puisque depuis le 1ᵉʳ octobre 2023 ce règlement amiable est obligatoire en matière de troubles anormaux de voisinage.
Pour cela, et dans un premier temps, vous pouvez adresser une lettre recommandée avec accusé de réception au propriétaire de la pompe à chaleur dans laquelle vous énoncez vos demandes à ce propos et laissez un délai raisonnable de réponse et d’action à votre interlocuteur. Vous pouvez aussi faire appel à un médiateur ou à un conciliateur de justice.
Précision importante : une tentative de conciliation préalable est indispensable avant toute saisine du juge.
Vous pouvez saisir un conciliateur de justice (gratuit) en suivant ce lien : https://www.conciliateurs.fr/
À titre d’exemple, il est parfois possible de réduire les nuisances sonores par le biais de la construction de mur antibruit avec des matériaux qui permettent d’atténuer les sons. Un accord amiable du litige pourrait ainsi être trouvé en ce sens en dehors d’un tribunal.
Il convient ensuite de prévenir la mairie afin de vous informer sur l’existence potentielle d’un arrêté relatif au bruit. S’il n’y en a pas, le maire peut d’ordonner, par un arrêté, de faire cesser les bruits gênant le voisinage.
Par ailleurs, il est nécessaire de faire constater ces nuisances par un huissier qui pourra évaluer l’intensité du bruit ce qui vous permettra d’ores et déjà d’avoir une preuve de la réalité nuisances subies.
Une évaluation objective des nuisances sonores peut être réalisée par un expert acoustique, qui mesurera les niveaux sonores et comparera les résultats aux normes acoustiques en vigueur. Cette évaluation permettra de déterminer si les bruits émis par la pompe à chaleur excèdent les seuils acceptables et constituent des troubles anormaux de voisinage.
En tout état de cause, et si toutes ces tentatives restent vaines, vous pouvez solliciter une expertise judiciaire auprès du président du Tribunal Judiciaire afin qu’un expert soit désigné pour évaluer les nuisances.
Une fois le rapport d’expertise rendu, vous pourrez engager une procédure judiciaire au fond afin de faire reconnaitre votre qualité de victime de troubles anormaux de voisinage et solliciter réparation de vos préjudices.
La représentation par avocat est obligatoire.
Cependant, cette procédure s’avère coûteuse car vous devrez avancer les frais d’expertise, les frais d’avocat etc si vous n’avez pas droit à l’aide juridictionnelle ou si vous n’avez pas d’assurance protection juridique.
En tout état de cause, la personne condamnée pour avoir causé des troubles anormaux de voisinage sera tenue d’indemniser le demandeur et donc de prendre à sa charge les frais d’expertise et tout ou partie de vos frais d’avocat, outre une condamnation au titre de dommages et intérêts.
Dispositions relatives aux bruits de voisinage.
Les nuisances sonores sont encadrées par des dispositions réglementaires du Code de la santé publique et par un décret du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage.
Ainsi, il résulte de l’article R1334-31 du Code de la santé publique que : « Aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité. »
De plus, l’article R.48-2 du Code de la santé publique dispose que « Tout bruit de voisinage lié au comportement d’une personne ou d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité pourra être constaté et sanctionné, sans qu’il soit besoin de procéder à des mesures acoustiques, dès lors que le bruit engendré est de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage par l’une des caractéristiques suivantes : la durée, la répétition ou l’intensité. »
Deux situations sont à distinguer :
D’abord le bruit ambiant qui comprend tous les bruits habituels et particuliers provenant d’une source proche ou éloignée. Dont les limites sont fixées ainsi : 25dBA fenêtres fermées & 30 dBA dans tous les autres cas.
Puis, l’émergence sonore qui correspond au dépassement sonore par rapport au bruit ambiant. La règlementation est la suivante :
De 7h à 22h : émergence maximale de 5 dBA par rapport au bruit ambiant.
De 22h à 7h : émergence maximale de 3 dBA par rapport au bruit ambiant.
Lors d’une étude acoustique, ces limites font office de référence afin de savoir si la nuisance invoquée excède le bruit ambiant normal. Mais il a déjà été jugé, notamment par la Cour d’Appel de Colmar le 28 avril 2022 (Cour d’appel - Colmar - 28 avril 2022 - 194/2022) que « le seuil légal d’émergence n’est pas dépassé en journée dans la chambre fenêtre ouverte, cette circonstance ne suffit toutefois pas à écarter tout trouble anormal, lequel résulte de l’installation de la PAC en limite de propriété et à proximité de la terrasse (3 mètres) ainsi que de la chambre à coucher des intimés ».
Par ailleurs, déjà en 1997, il avait été jugé que le bruit d’une pompe à chaleur alimentant un climatiseur, qui ne dépassait pas le seuil règlementaire, constituait néanmoins un trouble excessif en raison du caractère très calme du quartier et de sa proximité avec la voisine s’en plaignant (cour d’appel d’Aix-en-Provence du 23 septembre 1997, n° 95/22420).
On constate alors que les juges apprécient largement et sévèrement les troubles dans la mesure où un trouble peut exister même si le cadre règlementaire est respecté.
Plus récemment, le tribunal judiciaire de Pontoise a jugé le 8 septembre 2023 que les nuisances sonores générées par une pompe à chaleur rendent responsables les propriétaires de cet appareil des préjudices subis par le voisinage.
À ce titre, le juge pourra les condamner à déplacer la pompe à chaleur ou à réaliser des travaux permettant la cessation des nuisances et accordera des dommages et intérêts afin d’indemniser les préjudices résultant des nuisances subies.
En tout état de cause, il ne peut que vous être conseillé de consulter un avocat spécialisé en droit immobilier pour obtenir des conseils juridiques personnalisés et pour être assisté dans vos démarches amiables, administratives et judiciaires.