La Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mars 2017 a posé comme règle que : « Une sanction disciplinaire autre que le licenciement ne peut être prononcée contre un salarié par un employeur employant habituellement au moins vingt salariés que si elle est prévue par le règlement intérieur prescrit par l’article L 1311-2 du Code du travail ».
Cette règle, qui est la mise en application logique de l’article L 1321-1 du même code qui dispose que « le règlement intérieur est un document écrit par lequel l’employeur fixe exclusivement ….3°…. la nature et l’échelle des sanctions applicables dans l’entreprise » n’est pas nouvelle, puisqu’elle avait déjà été affirmée par un précédent arrêt de la chambre sociale en date du 26 octobre 2010.
Il avait néanmoins fallu près de quarante ans pour que la cour de cassation reconnaisse ainsi la portée de cette disposition du Code du travail. Le fait qu’elle la réaffirme tout en lui apportant une restriction, confirme l’importance qui s’attache à cette règle susceptible de s’appliquer fréquemment et de soulever des difficultés de mise en œuvre.
On peut d’abord s’arrêter sur le périmètre d’application de la règle, pour faire deux observations.
En premier, l’arrêt du 23 mars pose formellement comme première condition d’application que la règle s’applique lorsque l’entreprise ou l’établissement atteint un seuil habituel d’au moins vingt salariés.
Prise littéralement, cette affirmation pourrait conduire à penser que la règle est liée à un seuil d’effectif minimum, en deça duquel, elle ne serait pas applicable.
Ce serait certainement une interprétation erronée, alors que la règle résulte simplement du fait que la mise en place d’un règlement intérieur est obligatoire à partir de ce seuil d’effectif conformément à l’article L 1311-2, et que tout employeur atteignant ce seuil doit donc en avoir mis un en place.
Cette interprétation liant l’obligation à l’effectif aurait d’ailleurs pour conséquence qu’un employeur ayant comme il en a le droit, mis en place un règlement intérieur alors même que n’atteignant pas l’effectif requis, n’y serait pas obligé, ne se verrait pas appliquer cette règle.
Cette interprétation qui conduirait à appliquer au règlement intérieur une dualité de régimes, selon qu’il serait obligatoire ou simplement facultatif n’est pas concevable.
Ceci donc conduit à considérer qu’elle s’applique, dès qu’il y a un règlement intérieur ou que l’effectif de vingt salariés est atteint, ce qui rend sa mise en place obligatoire.
Seuls donc échappent à cette règle, les employeurs qui n’ont pas de règlement intérieur et qui n’y sont pas tenus faute d’atteindre l’effectif prévu.
Dans tous les autres cas, les sanctions applicables doivent être prévues par le règlement intérieur et il est interdit d’en prononcer une qui ne le serait pas.
Une conséquence de cette règle doit être soulignée : c’est qu’elle s’applique non seulement à l’hypothèse d’un règlement intérieur, incomplet ou défaillant ab initio, mais qu’elle peut résulter également d’une nullité ou d’une inopposabilité du règlement intérieur, toutes ces situations ayant pour effet commun de neutraliser le pouvoir disciplinaire de l’employeur.
La seconde observation s’attache à une autre limite du périmètre de l’obligation, résultant d’une précision apportée par l’arrêt du 23 mars.
Même lorsque les conditions d’effectif ci-dessus sont réalisées ou qu’il existe un règlement intérieur, cette règle ne s’applique pas au licenciement qui reste donc toujours possible.
Cette solution sur la justification de laquelle la Cour ne donne aucune explication, est difficile à comprendre en Droit comme en fait, d’autant qu’elle conduit à une situation paradoxale :
L’employeur en défaut qui éventuellement n’a pas de règlement intérieur alors qu’il devrait en avoir un, se trouve ainsi conduit, à prendre à priori légalement comme seule et unique sanction possible le licenciement quand bien même il ne l’aurait pas souhaité, faute de pouvoir notifier une sanction moindre.
Il est utile ensuite de revenir sur une difficulté de mise en œuvre de cette règle que l’on explique par le souci de prévisibilité pour le salarié des sanctions encourues en cas de faute, ce qui implique que l’employeur doive prévoir lui aussi les sanctions qu’il se réserve de prendre à l’égard des salariés fautifs.
La difficulté résulte d’abord du fait que l’employeur souhaite souvent prendre à titre de sanction, une mesure qui peut être très variée et lui paraît adaptée aux circonstances, ce que la définition de la sanction donnée par l’article L 1331-1 du Code du travail, l’autorise à faire.
Cette définition met en œuvre comme seule caractéristique, ensemble un comportement fautif du salarié dont l’existence doit être objectivement établie pour que la mesure puisse être justifiée, et l’appréciation a priori, de façon subjective par l’employeur du caractère fautif de ce comportement qui permet de qualifier cette mesure.
Cette définition qui donne un aspect exclusivement subjectif à la sanction – la réaction écrite - quelle qu’elle soit - de l’employeur à un comportement du salarié qu’il considère comme fautif, donne lieu, on le sait, à de nombreuses difficultés dans sa mise en œuvre.
Si en effet, il y a des mesures dont le caractère de sanction est évident, sans qu’il soit besoin de sonder les états d’âme de l’employeur parce que constituant ce que l’on pourrait par rapprochement avec le droit pénal, qualifier de « sanctions par nature », telles l’avertissement, le blâme, la mise à pied disciplinaire ou la rétrogradation, il en est d’autres, et ce sont paradoxalement les plus graves, qui ne deviennent des sanctions que parce que l’employeur les utilise – sanctions par l’usage - pour sanctionner un comportement qu’il estime fautif.
Ce sont par exemple, la mutation et surtout, le licenciement, mesures qui peuvent relever selon les cas, soit du pouvoir de direction soit du pouvoir disciplinaire, la qualification éventuelle de sanction résultant exclusivement de la volonté de l’employeur, appréciée le cas échéant par le juge.
Mais, la souplesse de la définition donnée par l’article L 1331-1 ne s’arrête pas là, puisqu’elle s’étend à « toute mesure » prise par écrit qui peut devenir une sanction, et être légalement prononcée comme telle dès lors qu’elle n’est ni discriminatoire, ni pécuniaire, ni spécialement interdite par un texte, ce qui signifie que le domaine potentiel des sanctions est ouvert et très vaste.
On sait quelles difficultés de qualification ce texte a soulevées, conduisant le juge à voir des sanctions dans une lettre voire un email de mise en garde (SOC 26 mai 2010) ou encore dans une demande écrite d’explications adressée au salarié dans le cadre d’une procédure conventionnelle d’enquête (SOC 19 mai 2015).
Ces sanctions parfaitement conformes selon la jurisprudence à la définition ci-dessus, ont seulement pour conséquence, en application de la règle « non bis in idem » que l’employeur ayant épuisé même inconsciemment son pouvoir disciplinaire, ne peut plus sanctionner la faute du salarié.
Mais, à cette difficulté de qualification « immédiate » qui doit conduire l’employeur à être très circonspect dans son propre comportement à la suite d’une faute du salarié qu’il entend sanctionner, s’en ajoute une autre résultant de la règle que nous examinons.
Pour que la sanction soit régulière, il faut donc que l’employeur anticipant, ait mentionné la mesure considérée dans la liste des sanctions prévues par le règlement intérieur, à défaut de quoi, la mesure qualifiée par l’employeur ou le juge de sanction, devrait être considérée comme nulle.
L‘employeur a donc intérêt à prévoir néanmoins un éventail de sanctions le plus large possible pour se réserver le maximum de possibilités de sanctions.
Pour autant, cette prévision illimitée est quasiment impossible.
Ceci conduit malgré l’ouverture du texte de l’article L 1311-1 dans sa définition de la sanction, à en restreindre l’application à des mesures suffisamment prévisibles, pour pouvoir par anticipation, figurer dans la liste des sanctions prévues par le règlement intérieur, pour que les sanctions prononcées soient régulières.
Il résulte donc du rapprochement des deux textes que la règle posée par l’article L 1321-1 du Code du travail réduit singulièrement et malgré la définition large de l’article L 1311-1, le domaine des sanctions qui peuvent en pratique être régulièrement prononcées par l’employeur qui doit donc d’abord pour cette raison, faire très attention, dans l’usage de son pouvoir disciplinaire et le choix de la sanction qu’il prononce.
Il faut ajouter pour terminer que si dans l’arrêt du 26 octobre 2010 précité, la mise à pied disciplinaire dont la durée n’était pas fixée par le règlement intérieur, devait selon la Cour être annulée, on doit penser que l’email de mise en garde ou la lettre de demande d’explications évoqués plus haut tombaient certainement sous le coup de cette règle de l’article 1321-1 du Code du travail.
Pour autant, cette règle qui aurait pu entrainer l’annulation par le juge du fond, ou la remise en état antérieur par le juge des référés, n’a pas été appliquée parce que le salarié ne l’a pas demandée.
Il faut en effet rappeler qu’en présence d’une sanction irrégulière, le salarié a le choix, soit de la faire annuler, soit comme dans les deux cas précédents d’en tirer comme conséquence la nullité de la sanction subséquente, en l’espèce un licenciement, en application de la règle non bis in idem.
Quel que soit le choix du salarié, l’employeur est plus ou moins mais toujours perdant … Il doit donc être d’autant plus circonspect.