Prescription de l'action publique des délits d'urbanisme : entre droit commun et spécificités jurisprudentielles. Par Pierre Gagnoud, Docteur en droit.

Prescription de l’action publique des délits d’urbanisme : entre droit commun et spécificités jurisprudentielles.

Par Pierre Gagnoud, Docteur en droit.

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La loi du 27 février 2017, qui a réformé le droit de la prescription de l’action publique, a porté sa durée en matière délictuelle de 3 à 6 ans, aggravant ainsi incontestablement la répression des délits d’urbanisme au même titre que ceux de droit commun définis par le Code pénal.
Toutefois la prescription des délits d’urbanisme est encore largement imprégnée par leur spécificité sur le plan matériel et juridique, soutenue par une jurisprudence complexe et inventive.

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1- Les questions juridiques qui entourent la prescription de l’action publique dans le domaine du droit pénal de l’urbanisme, ne sont pas fondamentalement différentes de celles qui occupent les autres champs de la délinquance, en raison de l’existence d’un durée légale commune à l’ensemble des infractions délictuelles. Les fondements généraux de ce mécanisme visant à l’oubli sont identiques [1], même s’il est cependant incontestable qu’au-delà de leur dimension souvent technique, parfois formelle, les délits d’urbanisme répondent à des enjeux toujours plus prégnants en terme de protection de l’environnement, des territoires et des populations.

2- La loi du 27 février 2017 [2], qui a modernisé le droit de la prescription, a porté sa durée en matière délictuelle de 3 à 6 ans, aggravant ainsi incontestablement leur répression. N’opérant aucune distinction entre les délits d’urbanisme et ceux de droit commun, la loi a néanmoins consacré dans le code de procédure pénale [3] certaines solutions dégagées par la jurisprudence en matière d’infraction occulte ou dissimulée, lesquelles ne sont pas étrangères à la nature spécifique des délits réprimés par le code de l’urbanisme ou le code de la construction et de l’habitation.

3- Plus encore que dans d’autres champs du droit pénal spécial, la prescription occupe en pratique une place centrale dans la répression des délits d’urbanisme quel que soit le stade de la procédure pénale. La charge de la preuve de l’absence de prescription de l’action publique incombe toujours au ministère public [4]. Et s’il s’agit d’une exception péremptoire et d’ordre publique devant être soulevée d’office par la juridiction de jugement, ce terrain est évidemment occupé en premier lieu par la défense, qui ne se prive jamais de l’investir à tout moment de la procédure, y compris devant la Cour de cassation et même si elle n’a pas été soulevée avant toute défense au fond.

4- S’il faut reconnaître que le rallongement récent des délais de prescription de l’action publique en matière délictuelle a sans aucun doute objectivement modifié la donne, l’efficacité de la règle d’urbanisme demeure relative [5] à de nombreux égards, d’aucuns n’hésitant pas à déplorer que le travail des autorités en charge de la verbalisation et des poursuites revienne le plus souvent à courir une course rapide avec un boulet au pied. En effet, la spécificité des infractions à l’urbanisme rend toujours leur constatation, leur poursuite et leur répression plus complexes (I), conduisant la jurisprudence, puis le législateur à en entraver les effets à des fins répressives dictées par l’intérêt général (II).

I- Une prescription facilitée par leur nature spécifique.

5- Par leur nature spécifique qui constitue autant d’entraves factuelles et juridiques à leur répression, les délits d’urbanisme demeurent tout à la fois des infractions cachées difficiles à constater (A) et des infractions quasi-instantanées difficile à poursuivre (B).

A- Des infractions cachées.

6- Des constatations matérielles complexes. La constatation des infractions à l’urbanisme est rendue peu aisée par leur caractère le plus souvent dissimulé. Qu’il s’agisse de constructions sans permis, sans autorisation, en violation du plan local d’urbanisme ou d’un plan de prévention des risques naturels, pour ne citer que les exemples les plus abondants, leur lieu de commission se cantonne au domaine privé, dont des pans entiers échappent au regard extérieur depuis la voie publique, particulièrement pour les terrains isolés ou d’une surface conséquente. S’il faut reconnaître que ces infractions cachées le sont en réalité de moins en moins, en raison de l’irruption des images satellites en libre accès, l’exploitation de ces dernières demeure limitée en raison d’un système figé de datation et de leur définition limitée en zone rurale. Et lorsqu’on envisage les aménagements intérieurs réalisés par hypothèse à huis-clos, la question de la preuve devient alors quasiment insoluble, même si les travaux d’une certaine ampleur requièrent toujours une certaine forme d’extériorisation par la mise en place d’un chantier et l’apport de matériaux.

7- L’absence de victime directe. Même si l’exercice des droits reconnus à la partie civile est désormais largement conféré aux associations de protection de l’environnement agréées et aux communes, le ministère public n’ayant plus le monopole de l’action publique en la matière [6], les infractions d’urbanisme ne génèrent que marginalement de victimes ayant personnellement souffert du dommage causé directement par l’infraction au sens de l’article 2 du code de procédure pénale. C’est dire qu’en l’absence d’intérêt juridique, patrimonial ou moral du voisinage à agir, ne serait-ce que par une simple plainte ou dénonciation auprès des services de l’État de la direction départementale des territoires, les chances de voir appelée l’attention de l’autorité habilitée à constater ces infractions en dehors de l’initiative de ses propres agents est quasi nulle. Par ailleurs, seules les communes les plus importantes disposent d’agents assermentés aguerris à cette matière et les forces de sécurité intérieure mobilisées pour l’essentiel sur leurs missions traditionnelles de lutte contre la délinquance générale ne s’y intéressent guère en dehors des sollicitations ponctuelles du parquet.

8- Des moyens d’investigations essentiellement non coercitifs. Les délits d’urbanisme n’étant pas passibles de peine d’emprisonnement, l’enquête de flagrant-délit n’est pas applicable et le mis en cause ou les témoins récalcitrants ne peuvent être contraints de comparaître par la force publique. En outre, il était déjà acquis en jurisprudence que le droit de visite exercé par les agents compétents sur le fondement de l’article 461-1 du code de l’urbanisme ne pouvait s’exercer de manière coercitive, même si la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel avaient pu laisser subsister une marge d’incertitude quant à l’exigence d’un consentement explicite [7]. En tout état de cause, s’il leur était interdit de pénétrer sur une propriété privée et a fortiori dans un domicile ou ses abords immédiats, il leur était loisible de procéder à des constatations et photographies depuis la voie publique [8]. La loi du 23 novembre 2018 [9] portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique n’a pas bouleversé l’économie de ce texte, qui dispose que les fonctionnaires habilités peuvent visiter les lieux accueillant ou susceptibles d’accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux afin de vérifier que ces dispositions sont respectées et se faire communiquer tous documents se rapportant à la réalisation de ces opérations. En revanche, la loi a complété le dispositif afin, tout à la fois, de l’adapter à la nouvelle durée légale de prescription délictuelle, de s’assurer du respect du principe de proportionnalité et de garantir sa conformité à la convention européenne des droits de l’homme [10].

Le droit de visite et de communication prévu au premier alinéa du présent article s’exerce jusqu’à six ans après l’achèvement des travaux [11], uniquement entre 6 heures et 21 heures et, en dehors de ces heures, lorsque ces lieux sont ouverts au public. Les domiciles et les locaux comportant des parties à usage d’habitation ne peuvent cependant être visités qu’en présence de leur occupant et avec son assentiment. Si la contrainte psychologique inhérente à la présence de représentants de forces de l’ordre ou d’agents assermentés et à la menace de poursuites pour délit d’obstacle [12] est le plus souvent de nature à favoriser l’esprit de collaboration de l’occupant des lieux, les refus ne sont pas rares et de nombreuses portent restent closes. En la matière, force est de reconnaître que le meilleur moyen de défense n’est pas l’obstruction frontale, mais le silence et l’inaction. Lorsque l’accès à un domicile ou à un local comprenant des parties à usage d’habitation est refusé ou que la personne ayant qualité pour autoriser l’accès ne peut être atteinte, les visites peuvent être autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention [13]. Si cette disposition dérogatoire constitue une avancée notable dans la recherche de la preuve, elle ne devrait être utilisée que dans les dossiers les plus lourds et semble, à ce jour, ne pas avoir fait l’objet d’une véritable appropriation par les services compétents.

B- Des infractions quasi-instantanées.

9- La date d’achèvement des travaux. Les délits de construction illicite échappent aux classifications traditionnelles. Ni véritables infractions instantanées puisque leur commission se poursuit pendant le temps des travaux, ni véritables infractions continues [14] puisque le point de départ de la prescription n’est jamais reporté à la cessation de la situation illicite, elles se distinguent également de la notion d’infraction permanente, infraction instantanée particulière dont les effets se prolongent dans le temps [15].

Une jurisprudence ancienne et constante considère que la prescription de l’action publique en matière de délits de construction illicite commence à courir à compter de l’achèvement des travaux [16]. Toutefois, l’interprétation relativement restrictive qui en est faite par la jurisprudence favorise en pratique la prescription. En effet, cette notion ne s’entend pas comme l’achèvement complet des travaux, mais comme le moment où l’ouvrage est en état d’être affecté à l’usage auquel il est destiné.

Cette notion relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, peu important d’ailleurs la date du dépôt éventuel de la déclaration d’achèvement des travaux [17]. Ainsi constituent par exemple des travaux d’achèvement, et non pas de simples aménagements, les travaux portant notamment sur la toiture, les portes, les fenêtres et les enduits ainsi que l’adjonction au bâtiment principal d’un garage et d’une terrasse [18], mais tel n’est pas le cas des travaux d’aménagement intérieur même relativement importants non soumis à permis de construire [19]. Le défaut d’achèvement d’un enduit extérieur n’empêchera pas la prescription de courir pour un simple mur d’enceinte, mais pas pour un garage ou une construction à usage d’habitation dans la mesure où il participe à l’étanchéité et la pérennité de l’ouvrage [20].

Par exception, la prescription des délits d’occupation illicite, tels le stationnement de résidence mobile de loisir ou de caravane, ne court qu’à compter du jour où la situation illicite a pris fin, l’infraction s’accomplissant de manière successive pendant toute la durée de l’utilisation du sol en méconnaissance du code de l’urbanisme [21].

II- Une prescription entravée par des nécessités répressives.

10- La nature juridique spécifique des délits d’urbanisme conduisant plutôt à en favoriser la prescription, la jurisprudence et la loi ont été amenées à bâtir des mécanismes destinés à en entraver ou en atténuer les effets à des fins répressives dictées par l’intérêt général. Leur prescription peut ainsi être interrompue dans des cas désormais définis par la loi (A) ou reportée dans une hypothèse singulière construite de manière prétorienne par la jurisprudence (B).

A- L’interruption de la prescription.

11- La distinction entre interruption et suspension. L’interruption de la prescription, qui anéantit le délai déjà parcouru rétroactivement et fait repartir un nouveau délai identique, ne doit pas être confondue avec la suspension de la prescription qui la bloque temporairement mais conserve la partie déjà écoulée [22], par exemple dans l’hypothèse où une médiation pénale a été ordonnée par le parquet afin de favoriser une régularisation juridique ou matérielle [23] ou en cas d’exception préjudicielle.

12- Les hypothèses définies par la loi. Aux termes de l’article 9-2 du Code de procédure pénale, le délai de prescription de l’action publique est interrompu par :
- 1° Tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l’action publique ;
- 2° Tout acte d’enquête émanant du ministère public, tout procès-verbal dressé par un officier de police judiciaire ou un agent habilité exerçant des pouvoirs de police judiciaire tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction ;
- 3° Tout acte d’instruction accompli par un juge d’instruction, une chambre de l’instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d’une infraction ;
- 4° Tout jugement ou arrêt, même non définitif, s’il n’est pas entaché de nullité.

13- Une liste non limitative. La loi du 27 février 2017 a inscrit dans le marbre, pour l’essentiel, la patiente construction jurisprudentielle relative aux actes généraux interruptifs de prescription de l’action publique, qui valait également dans le domaine des infractions aux code de l’urbanisme. Toutefois, il est probable que ce texte ne mette pas fin à toutes les interrogations et ne prive pas la jurisprudence de son rôle créateur, d’aucuns [24] ne manquant pas, à juste titre, de relever le caractère incomplet de la liste dressée par l’article 9-2 précité. Dans deux arrêts du 21 janvier 2020, la Cour de cassation, interprétant largement ces dispositions, semblait déjà confirmer que cette liste ne présentait pas de caractère limitatif [25], même si une lecture littérale, soutenue par une partie de la doctrine et l’esprit des travaux parlementaires, pouvait conduire à une interprétation restrictive [26]. Dans le domaine qui nous occupe et sans vouloir être exhaustif, sont notamment interruptifs de prescription un procès verbal établi par un agent assermenté ou un officier de police judiciaire tendant à la recherche ou la constatation de l’infraction dénoncée [27], un soit-transmis du parquet adressé aux fins d’enquête [28] ou aux fins d’audition du mis en cause ou d’un témoin. Il en est de même pour une transmission adressée pour compétence à un autre parquet [29], une invitation à remettre en l’état la construction litigieuse adressée au mis en cause par soit-transmis du procureur de la République [30] ou encore une demande de renseignement adressée par ce dernier à la direction départementale des territoires afin de vérifier la régularité des constructions litigieuse [31]. En revanche n’interrompt pas la prescription une sommation délivrée par un huissier de justice à la demande d’une commune et adressée au mis en cause afin de vérifier les conditions d’une régularisation et a défaut de remettre les lieux en l’état [32], ou une simple plainte [33] ne pouvant être qualifiée d’acte de poursuite.

14- La demande d’avis à l’administration. La question de la valeur interruptive d’une demande d’avis du parquet adressée à la direction départementale des territoires est d’autant plus importante, que cet avis est le préalable obligatoire à toute mesure de démolition ou remise en état des lieux ordonnée dans le cadre d’une poursuite pénale, selon les termes de l’article L 480-5 du Code de l’urbanisme. En outre, l’encombrement objectif de certains de ces services génère des délais de retour majoritairement supérieures à un an et pouvant atteindre jusqu’à deux ans dans les dossiers les plus techniques. Dans le silence des textes, la Cour de cassation considère depuis 2002 qu’une telle demande d’avis est bien interruptive de prescription, dès lors que le recueil de cet avis est obligatoire pour envisager une mesure de démolition [34] et que son contenu n’emporte aucune ambiguïté sur la volonté du ministère public d’envisager des poursuites [35]. En revanche ne constituent pas des actes interruptifs de prescription les réponses apportées par l’administration aux instructions et demandes du parquet [36].

B- Le report de la prescription.

15- La notion prétorienne d’entreprise unique. En présence d’une série de constructions réalisées dans une logique d’ensemble sur une très longue période de temps, une approche par trop rigoriste consistant à analyser isolément chacune d’entre elles et déterminer ainsi leur date d’achèvement respective, pourrait conduire à constater que leur immense majorité est couverte par la prescription de l’action publique. Afin de répondre à des situations objectivement choquantes de « grignotage » empirique de l’espace par des travaux successifs dépourvus de toute autorisation administrative, et le plus souvent dans des zones non constructibles, voire des espaces protégés ou soumis à des risques naturels majeurs, la jurisprudence a eu recours à la notion d’entreprise unique afin d’analyser ces travaux comme un ensemble et une infraction unique et, dès lors, de repousser le point départ de la prescription à la date d’achèvement des travaux « dans leur ensemble ».
Cette notion fait l’objet d’une jurisprudence solidement établie de la Cour de cassation depuis un arrêt rendu le 19 janvier 1977 [37]. Ce qui importe finalement, c’est « l’unité du but poursuivi », l’existence « d’une même exploitation » ou encore d’une « entreprise unique ». On ne manque pas d’être frappé, à la lecture des nombreuses décisions rendues par les juridictions du fond et la chambre criminelle, par l’analyse in concreto des travaux réalisés afin de les inscrire dans une dynamique d’ensemble.

16- La notion d’entreprise unique a donné lieu à des applications nombreuses et variées.
Il a ainsi été jugé qu’il fallait « prendre en compte les travaux dans leur ensemble » pour une même opération composée de plusieurs constructions, édifiées progressivement sur une période 20 ans et sans permis de construire, par un club équestre sur un territoire classé zone naturelle dans les gorges de l’Ardèche [38]. Il en a été jugé de même pour un programme immobilier de 12 logements en plusieurs tranches [39], l’agrandissement successif d’une exploitation piscicole [40], l’aménagement d’une base de loisirs [41], d’un centre nautique [42] ou encore des travaux engagés de manière successive dans le lit d’une ravine [43]. S’il est vrai que ces affaires concernaient quasi-exclusivement des travaux entrepris par des sociétés civiles ou commerciales ou des personnes physiques exploitant une entreprise individuelle dans le cadre d’un projet immobilier d’ensemble, rien n’empêcherait que l’unicité du but poursuivi soit retenue à l’encontre d’un simple particulier. On mesure ainsi pleinement que la notion d’entreprise unique dépasse largement, par l’analyse du but poursuivi ou de l’unité d’exploitation, le critère traditionnel de divisibilité des travaux bien connu en droit de l’urbanisme, lequel conduit à rechercher si l’ouvrage ou l’ensemble immobilier projeté peut ou non apparaître techniquement, architecturalement et juridiquement viable et cohérent [44].

17- Les infractions occultes ou dissimulées. L’article 9-1 alinéa 3 du Code de procédure pénale, issu de la loi du 27 février 2017, dispose que

« le délai de prescription de toute infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où ces infractions sont apparues et ont pu être constatées dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l’exercice de l’action publique ».

Ce texte consacre la jurisprudence ancienne relative aux infractions clandestines, qui s’est développée principalement dans le champ des délits économiques et financiers ou portant atteinte à la probité [45]. Si les infractions à l’urbanisme sont souvent matériellement cachées, sont-elles pour autant des infractions occultes ou dissimulées pouvant justifier le report légal du point de départ de la prescription ?
Aux termes de la loi nouvelle, « est occulte l’infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l’autorité judiciaire » [46], c’est à dire celles qui sont clandestines par leur nature même [47]. En revanche « est dissimulée l’infraction dont l’auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte » [48]. Les délits d’urbanisme ne sauraient en aucun cas répondre à la définition très restrictive des infractions occultes.

En revanche la question n’a plus rien d’absurde si on les envisage à l’aune de la dissimulation, même si jusqu’à présent la jurisprudence s’y est toujours refusée. Comme une partie de la doctrine le fait remarquer [49], la réforme pourrait au moins sur certains points opérer une extension du domaine traditionnel des infractions dissimulées jusqu’à présent fixé par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Encore faudrait-il que l’acte de dissimulation traduise sans ambiguïté la volonté de l’auteur de cacher les faits délictueux, par exemple dans le domaine qui nous occupe, par l‘édification d’une palissade, d’une haie occultante ou de tout moyen propre à faire échapper les constructions illicites au regard des tiers et à des constatations depuis la voie publique.

Pierre GAGNOUD
Docteur en droit
Procureur de la République
près le tribunal judicaire de Carpentras

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Notes de l'article:

[1La doctrine considère généralement que les fondements de la prescription de l’action publique sont tout à la fois juridiques, moraux, procéduraux, probatoire et d’ordre pragmatique. En ce sens : E. Raschel, J. Cl. Proc. Pén. art. 7 à 9-3, fasc 20, action publique - prescription n° 9 à 16.

[2J. Leblois-Happe, La réforme de la prescription, enfin ! JCP G 2017, 424 ; A. Lepage et H. Matsolpoulou, la prescription de l’action publique entre pérennité et innovation, Dr. Pén. 2017 , dossier 2 ; J. Buisson, La réforme de la prescription en matière pénale par la loi n°2017-242 du 27 février 2017, Procédures 2017, étude 20.

[3Art 7 à 9-3 CPP

[4Cass. Crim 23 sept. 2014, Bull. Crim 2014 n° 197 ; J. Y. Maréchal, Charge de la preuve de la prescription de l’action publique, Lexis 360°, 6 nov. 2014.

[5J.-M. Février, E. Gouesse, Actualités du droit de l’urbanisme, J. Cl. Construction – Urbanisme n° 12 décembre 2014, étude 12.

[6La loi n°76-1285 de réforme de l’urbanisme du 31 décembre 1976 a mis fin à une jurisprudence bien ancrée de la Cour de cassation considérant que les infractions au code l’urbanisme avaient pour objet l’intérêt général et non les intérêts particuliers, même si le dommage que pouvait subir les parties était né du délit. V° : F. Archer, J. Cl. Construction – Urbanisme, Fasc 7-35 infractions pénales en matière d’urbanisme n°81 à 86.

[7En ce sens : J.-H. Robert, Trou de serrure, Droit Pénal sept. 1018, comm. 61.

[8Cass. Crim. 12 juin 2018 n° 17-85.826 D, juris-data 2018-0102257 (photographies prises à travers l’interstice d’un portail depuis la voie publique).

[9Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 dite loi ELAN.

[10V. Mikalef-Toudic, Urbanisme et vie privée : condamnation de la France par la CEDH par (à propos de CEDH 16 mai 2019, Habibi c. France req. N° 66554/14), Dalloz Actualité 14/06/2019.

[11Art. L461-2 C. Urb.

[12Ce délit prévu par l’article L 480-12 C. urb. est sanctionné de 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende.

[13Art. L 461-3 c. urb. La visite est effectuée en présence de l’occupant des lieux ou de son représentant, qui peut se faire assister d’un conseil de son choix ou de deux témoins.

[14L’infraction continue se caractérise par une persévérance de l’intention coupable tant que la situation illicite perdure (ex : délit de recel).

[15Si l’infraction permanente se commet en un instant et produit des effets dans le temps, la prescription commence à courir dès sa commission (ex : délit de bigamie).

[16Cass. crim. 23 juill.1973, Bull. Crim. 1973 n°338, JCP G 1973, IV, 335 ; Cass. crim. 17 juill. 1974, Gaz. Pal. 1974, 2, somm. p. 247 ; Cass. crim. 17 mars 1976, JCP G 1976, IV, 163 ; Cass. crim. 19 janv. 1982 RD imm. 1982 p. 441 comm. Roujou de Boubée ; Cass. crim. 19 mai 1992 Dr. Adm. 1992, comm. 447, Cass. Crim ; 20 mai 1992, JCP G 1992, IV, n° 2768 ; Cass. crim 18 déc. 2012 n°12-80.418 juris-data 2012-032433 ; Cass. crim. 27 mai 2014 n°13-80.574, Juris-Data n°2014-011391. Voir également : T. Fossier, J. Cl. Adm. Fasc 536, Permis de construire – contentieux judiciaire n°36 à 38.

[17Cass. crim. 16 janv. 2018 n°17-81.896

[18Cass. crim., 21 mars 1978 : Bull. crim. n°112 ; CA Aix-en-Provence, 7° ch., 7 févr. 1995, juris-data n°1995-042272

[19Cass. crim. 9 mai 2007 n°06-89.001 inédit ; Cass. crim., 16 mai 1974 : JCP G 1974, II, 17892, obs. Liet-Veaux ; Contra : Cass. crim 18 mai 1994, Bull. crim. 1994 n°197 (parement en pierres de la façade non achevé et travaux intérieurs de carrelage et de peinture ne font pas courir la prescription).

[20CA Toulouse 22 juin 2000 n°99/01143, Juris-Data n° 2000-130827.

[21Cass. crim. 30 sept. 1992, Bull. crim ; 1992 n° 300. V° aussi : P. Cornille, Pour fixer le point de départ du délai de trois ans de l’action publique, ne pas confondre le délit d’exécution et le délit d’occupation sans autorisation préalable, Revue construction - urbanisme n°7-8 juill. 2014, comm. 99.

[22B. Lapérou-Scheneider, J. Cl. Proc. Pén. Synthèse - Action publique et action civile, n°67 & 69.

[23Art. 41 CPP

[24J.-Y. Maréchal, Les actes interruptifs de prescription de l’action publique : le changement dans la continuité, Lexis-Nexis 14/02/2020.

[25Cass. crim. 21 janv. 2020 n°19-81.066 et 19-84.450, Juris-Data 2020-000644 et 2020-000647.

[26E. Molin, Soit-transmis des parquets aux administrations et prescription de l’action publique – avant et après la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, Procédures n°7, juill. 2018, étude 7, n°6 à 14.

[27Cass. crim. 15 mai 1973, n°71-93.648 P

[28Cass. crim. 17 déc. 2008 AJDA 2009, 725 ; Procédures 2009 n°92, obs. Buisson.

[29Cass. crim. 6 fév. 2007, D. 23007 AJ1016

[30Cass. crim. 13 janv. 2009 n°08-84.459, Juris-Data 2009-046822.

[31Cass. crim. 8 fév. 2005 n°04-82.714.

[32Cass. crim. 24 fév. 2015 n° 13-85.049

[33Cass. crim. 7 avr. 1992 Bull. Crim. n°39 ; Cass. crim. 1er mars 1993, Dr. Pén. 1993, comm. 166 obs. J.-H. Robert.

[34Cass. crim. 26 fév. 2002, Juris-Data n° 2002-013951, Procédures n°7, juill. 2002, n° 145, obs. Buisson.

[35Cass. crim 28 juin 2005, Bull. Crim n° 194 ; Procédures 2005 comm. 235 ; Dr. Pén. 2005 comm. 152, Maron ; Cass. crim. 22 fév. 2011 n°10-80.721, Juris-Data n°2011-005592 ; Cass. crim. 29 nov. 2011 n°11-84.234, Juris-Data n°2011-029424 ; Cass. crim. 12 déc. 2012, Bull. crim. n°278.

[36Cass. crim. 4 novembre 2014 n°13-85.379.

[37Cass. crim. 19 janv. 1977, n°76-93.166, Bull. crim n° 26 (surélévations successives du sol pour mettre hors d’inondation un terrain sur près de 10 ans).

[38Cass. crim 3 juin 1998, n° 97-83.167 (constructions métalliques et en béton s’échelonnant entre 1974 et 1994).

[39Cass. Crim. 19 avr. 2005 n°04-86661.

[40Cass. crim. 5 déc. 2006 n°06-82.459, inédit (travaux successifs d’affouillement de sols pour créer des étangs, d’édification d’un chalet en bois, de sanitaires, de plusieurs viviers et d’un clôture).

[41Cass. crim. 21 fév. 2012 n° 11-82.311 inédit (démolition d’une bâtisse, puis remblaiements successifs afin de mettre le terrain hors d’eau et de présenter un projet immobilier réalisable et cohérent).

[42CA Montpellier 15 janv ; 2004, 3° ch., n°104 (construction d’une terrasse de 150 m2 avec abri, mise en place de containers à usage de vestiaire et de club house, réalisation de marches en béton pour accéder à un ponton en bois, aménagement ayant débuté en mars 1997, achevés en septembre 1997 avec des améliorations du site jusqu’en juin 2000).

[43Cass. Crim. 12 juill. 2016 n° 15-87434 (ce chantier de 10 années avait débuté en 2004, été suivi d’une habitation effective à partir 2006, avec une poursuite de différents travaux d’aménagements successifs jusqu’en 2014).

[44Sur cette question : P. E. Durand, La divisibilité des ouvrages et des ensembles immobiliers en droit de l’urbanisme, Construction -Urbanisme n°3, mars 2006, étude 3.

[45Abus de biens sociaux, détournement de fonds, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, favoritisme.

[46Art. 9-1 alinéa 3 CPP.

[47Par exemple les délits d’atteinte à l’intimité de la vie privée ou de captation et enregistrement de données informatiques.

[48Art. 9-1 alinéa 4 CPP.

[49E. Raschel, art. préc, n° 125 ; L. Griffon-Yarka, Aspects pratiques de la réforme de la prescription pénale, Dr. Pén. mai 2017.

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