Le régime des retenues pour faits de grève dans les services publics.

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Explorer : # grève # fonction publique # retenue sur salaire

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La grève dans nos services publics ne cessera jamais de susciter les débats. La discussion récente sur le service minimum n’a pas démenti cet état de fait.

Aujourd’hui, le Président de la République envisage l’avenir de la fonction publique sous le sceau du contrôle de la dépense publique, ce faisant, d’une réduction significative des effectifs (22700 postes concernés en 2007) et souhaite, également, aboutir rapidement au démantèlement des régimes spéciaux de retraite.

Comme les usagers ont pu, récemment, en faire l’expérience, de telles initiatives ne peuvent aboutir sans les mouvements sociaux dont notre pays s’est rendu coutumier dès lors que des réformes d’envergure sont envisagées.

La grève au sein de nos services publics pose, donc, encore nombre de difficultés.

Des difficultés d’ordre théorique qui, naturellement, ont fait coulé beaucoup l’encre d’imminents intervenants sur la matière.

Mais également, on l’oublie trop souvent, de grandes difficultés pratiques pour les services RH de nos entités publiques qui demeurent tenus d’opérer une retenue sur le traitement des fonctionnaires grévistes.

Les retenues sur traitement pour faits de grève place, en effet, l’autorité administrative au cœur d’une problématique complexe. Certes, la logique voudrait que la retenue soit proportionnelle à la durée de l’absence comme c’est le cas en droit du travail. Cependant, la retenue sur traitement dans la fonction publique répond à une autre logique.

La retenue constitue, en effet, une mesure comptable. Le Conseil Constitutionnel a pu, ainsi, juger que « le mécanisme de retenue sur la rémunération, en cas d’interruption du service ou d’exécution des obligations du service qui n’est au demeurant pas limité au cas de grève, se réfère aux règles de la comptabilité publique relatives à la liquidation du traitement qui est dû à ces personnels après service fait, est ainsi une mesure de portée comptable et n’a pas, par elle-même, le caractère d’une pénalité financière » (Décision n° 87-230 DC).

L’article 4 de la loi du 29 juillet 1961, rétabli en 1987, dispose, quant à lui, que « l’absence de service fait, pendant une fraction quelconque de la journée, donne lieu à une retenue dont le montant est égal à la fraction du traitement frappée d’indivisbilité (…). »

Le décret du 6 juillet 1982 ajoute que « (…) chaque trentième est indivisible. »

C’est un amendement parlementaire (dit « amendement Lamassoure ») au projet de loi portant diverses mesures d’ordre social du 30 juillet 1987 qui rétablit la situation antérieure à celle prévalant avant la loi du 19 octobre 1982. Le Conseil Constitutionnel (décision n° 87-230 du 28 juillet 1987) a estimé conforme à la Constitution le rétablissement de la règle du trentième indivisible en cas de grève dans les administrations de l’Etat et dans les établissements publics de l’Etat à caractère administratif.

En vertu de la règle de trentième indivisible, la retenue est au minimum égale à un trentième du traitement. Elle se calcule en multipliant le trentième du traitement par le nombre de jours de grève.

La retenue est calculée sur l’ensemble des rémunérations, c’est-à-dire en plus du traitement, l’indemnité de résidence et les primes et indemnités qui « suivent le traitement » (Conseil d’Etat, 23 avril 1975, « Min. Econ. Fin. c. Debacq et autres »).

La retenue est un effet de la grève. Etant un droit (Constitution, préambule 1946 « Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent »), la grève (quand elle est licite) ne peut donner lieu à des sanctions disciplinaires.

L’agent qui n’effectue, donc, pas son service fait l’objet d’une retenue opérée sur sa rémunération. Cette retenue n’est pas une sanction mais la conséquence du fait qu’il n’a pas travaillé.
Appliquée avec quelques disparités, le régime juridique des retenues s’est progressivement consolidé jusqu’à la loi n° 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs dont l’article 10 rappelle le principe de base : « La rémunération d’un salarié participant à une grève, incluant le salaire et ses compléments directs et indirects à l’exclusion des suppléments pour charges de famille, est réduite en fonction de la durée non travaillée en raison de la participation à cette grève. ».
L’arrêt du Conseil d’Etat « Omont » en date du 7 juillet 1978 constitue un élément fondamental du régime des retenues appliquées aux fonctionnaires grévistes. Il a, en effet, fixé les bases d’une réglementation stricte.

Auparavant circonscrite à la situation particulière des enseignants, la jurisprudence « Omont » a connu une consécration réglementaire par l’édiction de la circulaire du 30 juillet 2003 relative à la mise en œuvre des retenues sur la rémunération des agents publics de l’Etat par le Ministère de la Fonction Publique, de la Réforme de l’Etat et de l’Aménagement du Territoire. Cette dernière reprend clairement le considérant de principe de cette jurisprudence pour l’appliquer à l’ensemble des fonctionnaires de l’Etat.

Concernant la fonction publique territoriale et hospitalière, les retenues ne sont organisées par aucun texte. On en déduit qu’elles doivent être proportionnelles à la durée de la grève.

Dans un premier temps, la jurisprudence a considéré que la retenue ne devait porter que sur la rémunération de ceux des jours compris dans un préavis de grève durant lesquels l’agent avait des cours à assurer concernant le cas des enseignants grévistes (Conseil d’Etat, 15 décembre 1967, « Danchin »). La décision du Conseil d’Etat du 7 juillet 1978, « Omont » (Rec. CE, p. 304) retient, aujourd’hui, l’approche suivante du décompte des jours de grève : en l’absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues à opérer sur le traitement mensuel d’un agent public s’élève à autant de trentièmes qu’il y a de journées comprises du premier jour inclus au dernier jour inclus où cette absence de service fait a été constaté, même si, durant certaines de ces journées, cet agent n’avait, pour quelque cause que ce soit, aucun service à accomplir.

Selon la circulaire du 30 juillet 2003, le calcul peut porter sur des jours au cours desquels l’agent n’était pas soumis à des obligations de service (jours fériés, congés, week-ends). Cela s’explique, par exemple, dans le cas d’un week-end, lorsque l’agent a fait grève le vendredi et le lundi, auquel cas la jurisprudence conduit à procéder à la retenue de deux trentièmes à raison du samedi et dimanche. Par ailleurs, les jours de grève ne peuvent en aucun cas être considérés comme des jours de congé ou des jours relevant de l’aménagement et de la réduction du temps de travail (ARTT). Il ne saurait, donc, y avoir compensation des jours de grève par l’octroi de jours de congé.

Cette circulaire qui interprète de façon rigoureuse la jurisprudence « Omont » a été édictée durant les importants mouvements sociaux du printemps 2003, ce qui peut expliquer sa sévérité.

Pour autant, la doctrine a contesté le bien fondé juridique d’une telle rigueur. Ainsi, le Professeur Melleray a fustigé « l’absence d’unité », « la sévérité » et « le profond décalage avec les pratiques des différentes administrations » du régime des retenues pour faits de grève. Il insiste, particulièrement, sur l’inadéquation de la solution radicale de l’arrêt « Omont » avec la façon concrète dont les fonctionnaires font grève (Fabrice Melleray, « Les retenues pécuniaires pour fait de grève dans les services publics », AJDA, 22 septembre 2003, p. 1648).

Aussi, pour contourner l’application de cette réglementation rigoureuse, les syndicats ont eu l’idée de poser des préavis de grève de 24 heures renouvelés si besoin est. Ce procédé permet de contourner les effets de la jurisprudence « Omont » en partitionnant la période de grève. C’est dans le cadre particulier de ces préavis de 24 heures renouvelés que le régime des retenues soulève d’incontestables difficultés d’interprétation.

La répétition des préavis de 24 heures et la prétendue distinction entre journées normalement travaillées et journées de repos

Sur la base de l’hypothèse d’un préavis de 24 heures que l’on renouvellerait à échéance, on pourrait alléguer d’une distinction entre journées normalement travaillées et journée de repos.

En effet, si la retenue est envisageable lorsque l’agent n’a aucun travail à accomplir, elle devrait l’être, également, lorsque l’agent, dans une situation sur trois jours (grève-travail-grève) a un service à accomplir. En bref, pour démontrer l’obsolescence de la réglementation, on pourrait aller au bout de la logique de sévérité de la circulaire de 2003 en considérant qu’une retenue serait possible même lorsque l’agent a repris effectivement son service entre deux jours où il était gréviste.

Ce raisonnement ne saurait, évidemment, prospérer : la grève répond à une démarche positive de l’agent. L’interprétation du service fait dépend du comportement de l’agent. L’expression du comportement de l’agent résulte soit du refus des obligations de service, soit en l’absence d’obligation de présence, d’une manifestation de volonté.

Si, sur trois jours, l’agent, après avoir fait grève, revient à son service le second jour et se remet en grève le jour d’après, de par sa manifestation de volonté, l’agent ayant répondu à ses obligations de service, il serait illégal et inique de lui retenir un trentième pour le jour où il a effectivement tenu son service en application pure et simple de la règle du service fait.

En conséquence, si l’agent est présent pour effectuer son service en manifestant sa volonté de ne pas faire grève entre deux préavis de 24 heures, la jurisprudence « Omont » ne s’appliquera pas pour cette journée travaillée car tout service fait doit être rémunéré. Le fait positif que constitue la reprise du travail arrête le décompte de la retenue.

A contrario, si l’agent est en repos ou en congé, son absence est, de fait, constatée même si l’agent n’avait aucun service à accomplir car il ne peut pas manifester sa volonté de ne plus faire grève. De la sorte, la retenue est inéluctable pour chaque jour de repos jouxtant un autre jour de grève.

Il est, aujourd’hui, entendu que la retenue doit concerner toute la durée de la grève, y compris les périodes pendant lesquelles l’enseignant n’a aucun cours à assurer. C’est là l’application stricte de la jurisprudence « Omont ».

Les périodes grève sont, donc, considérés, comme un tout et les jours, qu’ils soient fériés ou non, où l’agent n’avait aucun service à effectuer, sont pris en compte au même titre que les autres jours de la période de grève pour le calcul de l’assiette de la retenue.

Un régime qui ne contrevient ni à la liberté de faire grève des agents à temps partiel ni au droit des fonctionnaires à des congés rémunérés

Dans le cadre de ces préavis de 24 heures répétés, les syndicats n’ont pas manqué de soutenir que l’application stricte donnée par la circulaire de 2003 contrevient, à la fois, à la liberté des agents à temps partiel de faire grève et au droit des fonctionnaires à des congés rémunérés.

Selon l’article L.521-6 du Code du Travail, l’exercice du droit de grève ne saurait donner lieu de la part de l’employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunérations et d’avantages sociaux.

La circulaire de 2003 serait discriminatoire en particulier pour les agents travaillant à temps partiel mais également envers ceux qui ont des jours de repos dans leur cycle de travail.

Toutefois, le travail à temps partiel est théoriquement réparti sur l’ensemble de la semaine. L’hypothèse concernant les agents à travaillant à temps partiel ou ceux qui ont des jours de repos dans leur cycle de travail relève des modalités d’aménagement du temps de travail des agents et non à proprement parler du régime de travail à temps partiel. On pourrait, donc, considérer qu’il serait même contraire au principe d’égalité de traiter différemment les agents selon les modalités d’organisation du temps de travail auxquelles ils demeurent soumis.

En faisant application de la même règle à tous les agents quelles que soient les modalités d’organisation de leur temps de travail, le régime des retenues pour faits de grève ne semble pas méconnaître le principe général du droit posé par l’article L.521-6 du Code du Travail.

Egalement, l’agent en congé de cycle ou à temps partiel, par exemple, qui n’a pas manifesté sa volonté de reprendre le travail, ne saurait prétendre que, durant sa journée de congé où il n’est pas, bien entendu, en obligation de présence, il ne faisait pas grève.

Si la grève suppose une manifestation de volonté, la reprise de fonction implique également la manifestation de volonté de l’agent de cesser de faire la grève. La reprise de fonction peut constituer, en elle-même, cette manifestation de volonté mais, dans le cas où l’agent n’a pas d’obligation de présence (lorsqu’il est en congé de cycle par exemple), sa volonté de reprendre ses fonctions, qui correspond à sa volonté de ne plus faire grève, ne peut évidemment être transmise à l’administration puisqu’il est absent. Dès lors, l’autorité administrative est fondée de considérer que l’agent est toujours en grève et peut prévoir une retenue sur rémunération pour fait de grève.

Cela d’autant plus que la jurisprudence considère que lorsque l’administration demande aux personnels de remplir des était faisant apparaître s’ils ont ou non participé à une grève, et qu’elle répute grévistes ceux qui ne les ont pas remplis, il appartient aux agents concernés de prouver leur non-participation à la grève (Conseil d’Etat, 31 mai 1974, « Arcangeli »).

La circonstance selon laquelle les préavis en question de 24 heures se suivent et qu’il faudrait, de la sorte, les apprécier un par un pour ce qui concerne les retenues pour faits de grève, constitue un procédé destiné à contourner l’application de la jurisprudence « Omont ».

Elle ne doit pas dissimuler l’évidence selon laquelle plusieurs préavis de grève de 24 heures qui se suivent conduisent de facto à déterminer une grève de plusieurs jours, donc à une période de grève considérée comme un tout par la jurisprudence et dont l’autorité administrative est en mesure d’estimer qu’elle sera reconduite par chaque agent qui s’y associe dès le départ à défaut d’une démarche positive de reprendre leur fonction.

Dès lors, en faisant application de la jurisprudence « Omont », il y a lieu de considérer que la ou les journées chômées entre deux grèves de 24 heures peuvent mener pour l’agent ayant participé à la première journée de grève, à une retenue à la fois pour cette journée mais, également, pour la ou les journées de congés qui suivent étant entendu qu’une seconde journée de grève jouxte ces jours de repos et présume de la participation de l’agent déjà gréviste.

Certes, cette interprétation peut paraître, à maints égards, excessivement rigoureuse. Elle ne répond pas à toutes les interrogations dans l’hypothèse où l’agent, qui en congé entre deux jours de grève, manifeste sa volonté de se désolidariser du mouvement auquel il avait adhéré le jour de son congé.

Egalement, elle pose une interrogation sur la possibilité qu’une note de service prise en application de la circulaire de 2003 puisse opèrer des retenues pour faits de grève correspondant à des jours pour lesquels aucun préavis de grève n’a été déposé par les organisation syndicales. Ce qui serait manifestement illégal (comme a pu déjà le juger le Tribunal Administratif de Nantes le 29 décembre 2006 concernant une note de service de La Poste prise en application de la circulaire de 2003).

Mise à part ces quelques réserves, l’application réglementaire de la jurisprudence « Omont » paraît conforme à l’idée que l’on devrait se faire du droit de grève. Un droit qui ne saurait être perçu comme un droit statutaire comme les autres. Comme l’affirme, avec à propos, le Professeur Chapus, le droit de grève demeure un « droit de révolte » qu’il ne revient pas à l’Etat d’encourager en légitimant une certaine déresponsabilisation de ses fonctionnaires.

P-A Zalcberg

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