Le principe non bis in idem en droit français : où en est-on ?

Par Manon Vialle, Juriste.

124240 lectures 1re Parution: Modifié: 13 commentaires 4.98  /5

Explorer : # principe non bis in idem # cumul des peines # droit pénal

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 dispose que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ».
Dans le même esprit de sécurité juridique, la locution latine non bis in idem signifie : « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits ». C’est un principe de la procédure pénale en France (article 368 du code de procédure pénale) qui est présent à tous les niveaux de notre système juridique.

-

De nombreuses sources juridiques européennes et internationales concordent sur ce principe. L’article 4 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des Droits civils et politiques de 1966, l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen [1] consacrent ce principe. La France n’est donc pas le seul pays à appliquer ce principe. Mais comment est-il utilisé en droit interne ?

1. Les conditions d’application de ce principe :

Le principe se déduit de l’article 6 du code de procédure pénale qui fait de la chose jugée une cause d’extinction de l’action publique. L’article 6 du CPP dispose que « l’action publique pour l’application de la peine s’éteint par la mort du prévenu, la prescription, l’amnistie, l’abrogation de la loi pénale et la chose jugée. »

Se pose alors la question de savoir si, pour des crimes ou délits commis en France qui supposent le recours à l’application de plusieurs droits (droit pénal et droit de la santé par exemple), on peut attribuer plusieurs peines à une même personne ? Oui, le cumul des peines est possible mais sous réserve de l’application du principe non bis in idem.

De plus, la présence de nouveaux faits ou d’un vice de procédure ne remet pas en cause l’application de ce principe. En effet, la réouverture d’un procès peut avoir lieu en cas de vice de procédure ou si des faits « nouveaux ou nouvellement révélés sont de nature à affecter le jugement intervenu » [2].
Suite à la réouverture d’un procès, le principe est toujours de mise.

2. Des difficultés à appliquer ce principe.

Au niveau de son application territoriale :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat » [3].
De plus, même si des jugements ont autorité de chose jugée à l’étranger, le jugement en France n’est pas contraire à ce principe puisque ce sont deux Etats différents. Voici quelques exemples de jurisprudence très parlants.

L’arrêt du 17 mars 1999 [4] précise que lorsqu’un étranger a commis en France un crime et a été condamné définitivement dans son pays pour cette infraction à la suite d’une « dénonciation officielle des faits par les autorités judiciaires françaises, l’action publique en France n’est pas éteinte par la chose jugée ». L’auteur peut donc être jugé pour le même crime en France.

L’arrêt du 23 octobre 2013 [5] dispose qu’en dehors des cas où un texte spécial en dispose autrement, (…) les décisions rendues par les juridictions pénales étrangères n’ont pas, en France, l’autorité de la chose jugée, lorsqu’elles concernent des faits commis sur le territoire de la République. Il convient de préciser que les peines ne se cumulent pas en terme de durée. En effet, en raison du principe de nécessité des peines, « le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne peut dépasser le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues » [6].

Le 20 février 2018, un arrêt a été rendu par la CEDH au sujet de la célèbre affaire opposant le père de Kalinka Bamberski à Dieter Krombach [7]. Le requérant (Dieter Krombach) accusé du meurtre de la jeune fille en 1982, dénonçait une violation de son droit de ne pas être jugé deux fois pour les mêmes faits (en France et en Allemagne) alors qu’il avait eu un non-lieu par une cour allemande. L’attendu dispose que « les poursuites à l’encontre du requérant ont été conduites par les juridictions de deux États différents. Par conséquent, l’article 4 du Protocole n° 7 ne trouve pas à s’appliquer ».

Pour résumer, les décisions rendues par les juridictions pénales étrangères n’ont pas, en France, l’autorité de la chose jugée. Par conséquent, rien ne s’oppose à ce que la France juge la personne étrangère ayant commis sur le sol français des faits délictueux.
S’il y a eu un jugement des mêmes faits à l’étranger, le jugement en France n’est pas contraire au principe non bis in idem à condition que les faits aient été commis en France. Dans le cas contraire, l’article 113-9 du code pénal s’applique [8].

Au niveau du cumul des sanctions pénales et autres :

Comme évoqué en amont, le cumul de diverses sanctions est possible. Par exemple, le cumul des sanctions pénales et disciplinaires est admis en droit français. Dans un arrêt de la chambre criminelle du 27 juillet 2016 [9], cette possibilité est clairement établie. Voici l’attendu : « un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme (…), pour les mêmes faits, peuvent faire l’objet de poursuites lorsque les faits commis ont pour objet de tromper, par des manœuvres frauduleuses, des organismes d’assurance maladie pour en obtenir des sommes indues ».
Le cumul des sanctions est donc possible lorsque celles-ci sont infligées à l’issue de poursuites différentes en application de corps et règles distincts [10]. En l’espèce, les articles L.145-2 du code de la Sécurité sociale et L.4124-6 du code de la santé publique ne protègent pas les mêmes intérêts sociaux. La cour de cassation ne retient donc pas le non-respect de ce principe.

Cependant, le cumul ne peut pas se faire de manière automatique. En effet, il faut confronter le principe non bis in idem à chaque cas juridique. Par sa décision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a rendu impossible le cumul des poursuites administratives et pénales en matière boursière, que les premières poursuites aient ou non abouti à une condamnation. Dans l’affaire EADS, le Conseil constitutionnel a jugé non conforme le cumul des poursuites en matière de manquement (administratif) ou délit (pénal) d’initiés.
En effet, des poursuites ne peuvent être engagées ou continuées au pénal, si les mêmes auteurs sont déjà poursuivis pour les mêmes faits devant la commission des sanctions de l’AMF, et inversement [11].

La jurisprudence nous permet donc de mieux appréhender ce principe qui reste délicat dans son application aujourd’hui.

Manon VIALLE, Avocat

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

586 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[2Article 4 du protocole 7 additionnel de la CEDH.

[3Article 4 du protocole 7 additionnel de la CEDH.

[4Arrêt crim, 17 mars 1999.

[5Arrêt crim 23 octobre 2013 n°13 8349, Bull. crim. n° 201.

[6site du Conseil constitutionnel.

[7Arrêt - CEDH, 20 févr. 2018, n° 67521/14, Dieter Krombach c. France.

[8Article 113-9 du code pénal : Dans les cas prévus aux articles 113-6 et 113-7, aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.

[9Arrêt crim, 27 juillet 2016, n°16-80.694.

[10QPC du 24 juin 2016 n°2016-545 et 2016-546.

[11Décision n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015 + arrêt crim, 20 mai 2015 n°13-83.489.

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • Bonjour, vous avez relevé les contours de la règle non bis in idem.
    Peut on l’appliquer à une personne qui a purgée une peine pour un crime qu’elle n’a pas commis, celle ci condamnée par exemple pour le meurtre de X. Mais qui à sa sortie de prison ambitionne vraiment de hôter la vie et passe à la matérialisation de crime sur la personne de X ? Sera t’elle jugée une deuxième fois ? Quelles seraient les raisons ?

  • par Luiz , Le 25 juin 2019 à 10:37

    Bonjour,

    Je suis chef d’entreprise, l’une de mes salariées m’a détournée de l’argent et ce depuis 2014. M’en étant rendue compte sur 2017, je n’ai pu l’incriminer que sur les années 2015-2016-2017.
    Le Tribunal Prud’homale nous a donné raison et a ordonné l’exécution provisoire totale du jugement (nous rembourser) Nous voulons maintenant l’emmener au pénal pour l’année 2014 et lui demander de payer des intérêts pour les préjudices subis (elle a manipulé et user de stratagème auprès de toute l’équipe) cependant l’avocat du pénal nous a ressorti cette notion de non bis in idem.
    N’avons nous aucun recours pour l’année 2014 ? (préjudice le plus élevé)
    Merci à vous

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27868 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs