Si les Etats se sont toujours intéressés tant à la surface, au sol et au sous-sol des océans, le corpus de droit en vigueur visant leur protection résulte d’une prise de conscience tant scientifique, économique qu’éthique.
En premier lieu, la première menace à l’environnement - et l’environnement marin en particulier - est la pollution [2]. Aux pollutions océaniques [3], telluriques [4] et atmosphériques [5], s’ajoutent des risques liés aux méthodes d’exploitation, comme des pratiques de pêche destructrices et de nouvelles menaces, telles que la prolifération de matières plastiques ou le changement climatique [6].
En deuxième lieu, et d’un point de vue économique, l’océan fait vivre une grande part de la population mondiale. On estime que plus de 60% de la population mondiale vit en zone côtière. 3,8 milliards de personnes résident à moins de 150 km du rivage [7], de sorte que les pêches et l’aquaculture sont un important pourvoyeur de moyens de subsistance. Par ailleurs, les pêches et l’aquaculture jouent un rôle fondamental dans le maintien de la sécurité alimentaire mondiale et la consommation mondiale d’aliments aquatiques est de nouveau en hausse [8].
En troisième lieu, et d’un point de vue éthique, voire philosophique, l’on a pu observer, depuis les années 70, le glissement d’une conception anthropocentrée vers une approche écocentrée du droit, notamment par l’appel - controversé - à une reconnaissance de la personnalité juridique aux éléments naturels [9].
L’UNOC 3, le rendez-vous du bilan sur les avancées pour la protection des océans.
Le rappel de ces enjeux et fondements met en exergue la nécessaire coopération interétatique pour la protection des espaces maritimes. En ce qui concerne l’ordre juridique international, la protection de la mer a une origine coutumière, c’est-à-dire que les premières règles ont émergé sur la base d’une pratique convergente, répétée et constante des Etats. Par exemple, le droit d’accès au port de l’Etat côtier d’un navire en détresse, pour y faire des réparations urgentes ou bien pour assurer la survie de ses passagers, est une règle coutumière.
À partir du XXᵉ siècle, les sources du droit de la mer se sont diversifiées, au travers de traités bilatéraux ou multilatéraux. Dans un objectif de codification de ces règles coutumières, plusieurs conférences internationales se sont succédées [10].
La Troisième Conférence des Nations unies sur le droit de la mer a mené à l’adoption de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) ou Convention de Montego Bay du 10 décembre 1982, entrée en vigueur le 16 novembre 1994, réunissant aujourd’hui 170 parties, à l’exception remarquée des Etats-Unis, qui dispose pourtant du plus grand domaine maritime mondial. Si cette Convention codifie en partie des règles coutumières, elle consacre des règles et des mécanismes nouveaux, étant même qualifiée de « Constitution pour les océans » [11]. La CNUDM crée également le Tribunal international du droit de la mer, dont la jurisprudence participe à l’interprétation des règles de droit en la matière. Ceci étant rappelé, le droit de la mer émane également de traités spécifiques, universels ou régionaux, portant sur des zones maritimes particulières [12] ou des problèmes particuliers intéressant le milieu marin [13].
Concrètement, la CNUDM définit ou précise les différents espaces maritimes, au sein desquels s’exercent des compétences étatiques différenciées [14]. En ce qui concerne l’ordre juridique régional, en particulier celui de l’Union européenne, l’on retient que cette dernière a ratifié la CNUDM en 1998, laquelle fait « partie intégrante de l’ordre juridique communautaire » [15] et constitue, à ce titre, une source du droit de l’Union européenne [16].
Le droit de la mer intéresse la compétence exclusive de l’Union européenne, en matière de pêche, ainsi que ses compétences partagées en matière de transport, de sécurité maritime et de protection de l’environnement. En ce qui concerne l’ordre juridique interne, les régimes encadrant les activités de recherche, d’exploration de ces espaces et d’exploitation de leurs ressources restent répartis entre divers textes législatifs et réglementaires, codifiés ou non [17].
Néanmoins, l’ordonnance n°2016-1687 du 8 décembre 2016 relative aux espaces maritimes relevant de la souveraineté ou de la juridiction de la République française (JORF n°0286 du 9 décembre 2016) [18] modernise, à la lumière de la CNUDM, les dispositions relatives à nos espaces maritimes et introduit de nouvelles dispositions pénales et répressives.
L’UNOC 3, le rendez-vous du bilan des défis à relever pour la protection des océans.
En 2015, les États membres des Nations unies ont adopté l’Agenda 2030 pour le développement durable, notamment constitué de 17 objectifs thématiques parmi lesquels l’Objectif de développement durable (ODD) 14 : « conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».
L’UNOC n’est donc pas lié à un Traité spécifique, ni n’aboutira à la signature d’un tel texte, mais à une déclaration politique finale. En d’autres termes, les engagements volontaires des parties prenantes n’auront pas de valeur juridiquement contraignante.
Toutefois, cet événement met en lumière les actions entreprises par les Etats et les défis restant à relever.
Premièrement, les processus multilatéraux visant à une meilleure protection des océans doivent être accélérés.
Trois textes principaux pourraient faire l’objet d’avancées.
Tout d’abord, et récemment, l’Accord se rapportant à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale a été formellement adopté le 19 juin 2023 [19]. Son entrée en vigueur, qui dépend de sa ratification par au moins 60 Etats [20], constitue un enjeu majeur à l’approche de l’UNOC 3.
Si ce seuil ne sera pas atteint lors de l’UNOC 3, de très récentes ratifications sont à relever [21].
Ensuite, alors que les déchets plastiques représentent 85% des déchets marins et que les études sur l’impact de cette pollution sont alarmistes [22], des négociations sont en cours pour établir un instrument juridiquement contraignant relatif à la pollution plastique.
Si les 170 États réunis en Corée du Sud, en décembre 2024, ne sont pas parvenus à un accord, dans le délai de deux ans fixé par l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement de mars 2022, les négociations doivent néanmoins reprendre à Genève, en août 2025.
Enfin, un effort diplomatique important doit encore être mené pour rallier un nombre suffisant d’États permettant la mise en œuvre de l’Accord de l’OMC sur l’arrêt des subventions à la pêche illicite non déclarée et non réglementée et à la surpêche [23].
Deuxièmement, l’UNOC 3 met en lumière la nécessité d’une protection plus accrue des espaces maritimes, à commencer par les grands fonds marins. Ces derniers font l’objet d’une forte convoitise en raison de la présence de métaux rares, utiles à la fabrication de batteries électriques [24]. Cependant, les grands fonds marins, même si leur écosystème est encore peu connu, abritent des milliers d’espèces fascinantes ainsi que des ressources non renouvelables et jouent un rôle crucial dans des fonctions essentielles à la vie sur Terre. En présence d’un vide juridique sur l’exploitation de cette zone et en l’absence de consensus, la communauté scientifique, ainsi que plusieurs Etats, dont la France, plaident pour un moratoire sur l’exploitation minière pendant au moins dix à quinze ans [25].
Dans ce contexte, l’UNOC 3 doit être l’occasion de soutenir ce moratoire et de rappeler la priorité absolue donnée à une exploration avant tout scientifique. Plus globalement, une meilleure protection des océans doit passer par une accélération de la décarbonation du transport maritime, une généralisation des outils de gestion durable de la pêche et une réglementation internationale en matière de pollution sonore.
Troisièmement, les financements doivent être mobilisés pour conserver et exploiter de manière durable l’océan, les mers et les ressources marines. Concrètement, d’une part, il apparaît nécessaire d’investir des fonds, sous différentes formes, à des projets et des investissements durables dans le secteur maritime et côtier ; c’est ce qu’on appelle la Finance bleue [26].
D’autre part, la lutte contre la pêche illégale ou le narcotrafic, la surveillance des aires marines protégées, la sécurité des personnes en mer, et plus généralement les missions régaliennes en mer des Etats, nécessitent des moyens importants, à la fois financiers et humains et sont souvent insuffisants [27].
Au-delà des financements, la protection des océans soulève un enjeu majeur de gouvernance internationale.
Quatrièmement, des efforts plus importants doivent être engagés en termes de sensibilisation, d’éducation et de formation, à destination du public, des apprenants, mais également des salariés et employeurs du transport maritime et de la pêche. À ce titre, un effort diplomatique reste à faire en ce qui concerne la ratification de la Convention du Travail Maritime de 2006 et la Convention n°188 relative au travail dans la pêche de 2007 [28].
L’édifice juridique pour la protection des océans évolue par la prise en compte collective de certains enjeux. L’UNOC 3 n’est ni un commencement, ni une fin. Elle est une étape pour établir le bilan des avancées réalisées en matière de protection des océans et des efforts à déployer pour relever les défis auxquels les océans de la planète font face.