Quand les voisins et le bailleur d’un bar musical ont un intérêt commun à faire cesser les nuisances sonores.

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # trouble anormal de voisinage # responsabilité du preneur # expertise judiciaire

Dans cette affaire, un couple propriétaire d’une résidence secondaire au sein d’un immeuble est parvenu à obtenir la condamnation de la société exploitant un bar à tapas avec organisation d’évènements musicaux au rez-de-chaussée de la copropriété.

Ainsi, il a obtenu, en plus de la réparation de son préjudice, l’interdiction pour la société d’organiser des évènements musicaux sous astreinte et son obligation d’effectuer les travaux préconisés par des bureaux d’études spécialisés.

L’originalité de cette décision provient également du fait que le bailleur du bar, mis en cause par les voisins, a sollicité du juge qu’il soit ordonné à son locataire de faire effectuer les travaux préconisés par l’Expert acousticien, son intérêt étant que les nuisances sonores cessent réellement afin qu’il ne puisse plus être mis en cause à l’avenir.

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I. Présentation de l’affaire.

1. Faits.

Un couple propriétaire d’une résidence secondaire au sein d’un immeuble collectif du littoral subissait des nuisances sonores répétées en provenance d’un bar à tapas récemment installé dans les locaux situés au rez-de-chaussée de la copropriété.

L’exploitation de ce bar comprenait l’organisation régulière de concerts et la diffusion de musique amplifiée en soirée et la nuit, pouvant aller jusqu’à quatre évènements par semaine, sur de larges plages horaires.

2. Procédure.

Face à cette situation, le couple victime des nuisances sonores avait assigné en référé la société bailleresse ainsi que la société exploitante devant le Président du Tribunal judiciaire de Saint-Nazaire en sollicitant, à titre principal, la fermeture de l’établissement sous astreinte et, à titre subsidiaire, que le juge ordonne la réalisation d’une expertise judiciaire.

Le juge des référés avait fait droit à la demande d’expertise et avait débouté les victimes des nuisances sonores de leurs autres demandes.

Une fois le rapport d’expertise judiciaire rendu, le couple propriétaire avait assigné au fond la société bailleresse et la société exploitante dans le but d’obtenir la fermeture du local, la reconnaissance de l’existence des nuisances sonores et leur condamnation solidaire au dédommagement des préjudices subis.

La société bailleresse, elle, sollicitait qu’il soit interdit à sa locataire d’organiser des évènements musicaux et qu’il lui soit imposé de réaliser les travaux préconisés par l’expertise judiciaire. Elle rejoignait ainsi en partie le constat des voisins victimes de bruit.

3. Décision du juge.

Le juge a finalement rejeté la demande de résiliation du bail et d’expulsion de la société exploitante.

Cependant, il lui a ordonné de :

  • cesser les évènements musicaux sous astreinte de 3 000 euros par violation constatée,
  • faire réaliser une étude d’impact et une étude de structure,
  • faire réaliser les travaux que les études préconiseront,
  • faire effectuer un diagnostic acoustique de réception des travaux,
  • fournir une attestation de réglage et d’entretien d’un limiteur de pression acoustique.

S’agissant des préjudices, le juge a condamné la société exploitante à payer à la victime la somme de 7 000 euros mais il a rejeté sa demande tendant à ce que la société bailleresse soit condamnée solidairement avec la société exploitante.

Enfin, la société exploitante a également été condamnée à prendre en charge les dépens et à payer 5 000 euros aux victimes au titre de l’article 700 du Code de procédure civile (frais autres que ceux compris dans les dépens).

II. Observations.

Cette décision est intéressante à deux égards au moins.

D’abord, ce jugement rappelle l’obligation pour le juge de rechercher une solution proportionnelle au regard des intérêts en présence, ce qui l’empêche d’ordonner la fermeture d’un établissement pour des nuisances sonores qui ont désormais cessé.

Toutefois, il réaffirme le pouvoir de contrainte du juge civil qui lui permet d’interdire à la société exploitante d’organiser des concerts sous astreinte de 3 000 euros par violation constatée (1).

Enfin, le juge confirme la pleine responsabilité du preneur d’un local commercial s’agissant des nuisances sonores générées par son activité, dès lors que le bail consenti respectait lui-même le règlement de copropriété (2).

1. La disproportion de la condamnation à fermer l’établissement lorsque les nuisances ont cessé.

Le juge civil, une fois qu’il a constaté l’existence objective de nuisances sonores, est tenu de les faire cesser mais également de réparer l’intégralité du préjudice subi par les victimes.

Pour ce faire, il peut aller jusqu’à ordonner la cessation de l’activité en cause lorsqu’il n’existe pas de solution techniquement faisable ou financièrement réalisable permettant de mettre fin aux nuisances sonores.

Le juge civil est ainsi tenu de vérifier les intérêts en présence et les solutions techniques applicables pour rendre une décision proportionnée.

En l’espèce, il a commencé par rappeler que l’expertise judiciaire avait révélé des émergences globales (différence entre le bruit ambiant comprenant le bruit particulier en cause et le bruit résiduel en l’absence de ce bruit particulier) supérieures aux valeurs réglementairement tolérées, ce qui démontrait l’existence objective de nuisances sonores.

Il a ensuite souligné que la société exploitante n’avait pas respecté l’obligation faite aux établissements diffusant des sons amplifiés de manière habituelle de faire réaliser une Etude de l’Impact des Nuisances Sonores (EINS) et qu’elle n’avait pas non plus sollicité d’autorisation municipale.

Si l’objectivisation des nuisances sonores ne faisait donc pas de doute, le juge a toutefois pris la peine de constater que l’établissement avait cessé de lui-même d’organiser des évènements musicaux depuis plusieurs années au moment du jugement.

Il a également pris en compte les travaux réalisés par l’établissement pour insonoriser ses locaux et limiter les émissions sonores.

C’est en faisant la balance entre ces éléments qu’il a estimé que

« la résiliation du bail et l’expulsion du locataire apparaissaient des mesures disproportionnées compte tenu des manquements initiaux certes graves de la société […] mais dont il n’était pas contesté qu’ils avaient cessé ».

Bien que le juge ait estimé qu’une décision de fermeture de l’établissement eût été disproportionnée, il avait toutefois l’obligation de garantir aux victimes la cessation des nuisances sonores et le respect de la réglementation par la société exploitante.
Pour ce faire, il a choisi d’opter pour un mécanisme d’interdiction sous astreinte.

Ainsi l’établissement s’est vu interdire l’organisation d’évènements musicaux sous peine de devoir payer 3 000 euros par violation au bénéfice de la victime, et ce jusqu’à ce qu’il ait fait réaliser toutes les préconisations de l’expert judiciaire, à savoir faire réaliser une étude d’impact, une étude de structure, mais également les travaux prescrits par ces études et enfin, fournir une attestation de réglage et d’entretien du limiteur de pression acoustique.

Le juge civil a donc bien pris en compte l’existence objective des nuisances sonores, le comportement de l’établissement à l’origine des nuisances, mais aussi les travaux réalisés pendant ou depuis l’expertise afin de rendre une décision proportionnée à même de parvenir à la réparation du préjudice de la victime et à la cessation du trouble sans nécessairement mettre fin à l’exploitation de l’établissement.

2. Le preneur, seul responsable des nuisances qu’il génère dans l’exploitation de son activité.

Une fois la responsabilité de l’exploitant déterminée, se pose la question du partage de cette responsabilité avec le bailleur qui a mis à disposition le local en permettant, par conséquent, l’exploitation qui en est faite.

En l’espèce, la victime sollicitait une condamnation solidaire du bailleur et du preneur à lui indemniser les préjudices qu’il avait subis afin de pouvoir réclamer le paiement par la suite à l’un des deux indifféremment et ainsi maximiser ses chances d’être réellement payée in fine.

Le juge n’a pas fait droit à cette demande en considérant que le propriétaire ne pouvait pas être tenu responsable des nuisances générées par l’utilisation du local par son locataire.

En effet, il a considéré que le contrat de bail avait fait du locataire le gardien du bien et, par conséquent, le seul responsable des nuisances provoquées par l’usage du bien et de sa terrasse, ouverte en vertu d’une autorisation d’occupation du domaine public.

Cette solution n’a été possible que parce que le bail respectait le règlement de copropriété et notamment la destination de l’immeuble ainsi que les règles relatives à l’exploitation de locaux commerciaux en son sein. A défaut, le bailleur aurait pu engager sa responsabilité pour avoir donné à bail un local en violation des règles de copropriété.

En effet, dans le cas présent, le contrat de bail prévoyait notamment une clause selon laquelle

« le preneur devait prendre toutes précautions pour que l’exercice de son activité n’entraîne pour les autres occupants ou pour les voisins aucun trouble de voisinage et ce, paisiblement. Il doit notamment éviter bruit, odeurs et fumées ».

De la même manière, le bailleur, qui, tenu au courant des nuisances sonores subies par les copropriétaires du fait de l’exploitation du local qu’il avait donné à bail, aurait refusé d’agir contre son locataire sur la base du contrat de bail, aurait également pu engager sa responsabilité.

En l’espèce, le bail respectait le règlement de copropriété et le propriétaire semblait avoir agi à l’encontre de son locataire puisqu’il sollicitait du juge qu’il lui soit interdit d’organiser des évènements musicaux tant qu’il n’aurait pas fait réaliser les préconisations de l’expert judiciaire.

En conséquence, le preneur du bail était le seul responsable des nuisances générées par l’exploitation de son établissement.

Conclusion.

Ce jugement de première instance permet de rappeler l’important pouvoir du juge civil en matière de trouble anormal de voisinage puisqu’il doit garantir la cessation des nuisances par tous les moyens nécessaires et réparer le préjudice subi par les victimes, tout en s’attachant à rendre une décision proportionnée.

Il est également intéressant en ce qu’il réaffirme la responsabilité intégrale du preneur à bail s’agissant des nuisances sonores générées par l’exploitation de son activité, à l’exclusion de la responsabilité du bailleur, dès lors que le contrat de bail respectait lui-même le règlement de copropriété et que le bailleur n’avait pas agi de manière fautive.

Christophe Sanson
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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