« Indécentes », « humiliantes », « inacceptables », « honteuses ». Tels sont les qualificatifs attribués à des offres de reclassement proposées à des salariés concernés par une procédure de licenciement.
Par une loi du 18 mai 2010 (publiée au JO du 19 mai 2010, p.9209), le législateur a souhaité mettre fin à ces pratiques en complétant l’article L.1233-4 du Code du Travail.
Une application stricte de ce texte aboutissait en effet à des décisions totalement contradictoires et ubuesques, suscitant de vives réactions tant de la classe politique que des partenaires sociaux.
D’un côté, les tribunaux condamnaient les employeurs pour ne pas avoir proposé aux salariés concernés par une procédure de licenciement, des postes à l‘étranger assortis de salaires locaux, donc dérisoires en comparaison à leur rémunération perçue en France et à leur niveau de vie. Ce fut le cas notamment du fabricant de textile Olympia qui avait choisi, en concertation avec le Comité d’entreprise, de ne pas proposer de postes dans une usine en Roumanie moyennant un salaire brut de 110 euros par mois, jugés « indignes ». Cependant, la Cour d’appel de Reims a estimé que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation de reclassement et a octroyé des indemnités de près de 2,5 millions d’euros à 47 de ses salariés (CA Reims, 13 mai 2009, n°08-1098).
De l’autre côté, s’estimant liés à un strict respect de leur obligation de reclassement, des employeurs n’hésitaient pas à faire de telles offres. Dernière affaire en date : la société Carreman de Castres avait proposé à 9 salariés des postes en Inde, au salaire mensuel de 69 euros brut en contrepartie d’un travail effectué 6 jours sur 7. Condamné dans la presse, le dirigeant avait rétorqué « je suis conscient que c’est stupide mais c’est la loi qui est stupide » (la Dépêche du midi du 8 mai). Il faut croire qu’il a été entendu puisque c’est le député de la circonscription de Castres qui a déposé le projet de loi tendant à modifier la législation en vigueur.
1. L’obligation de reclassement
En application de l’article L.1233-4 du Code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel elle appartient.
Ce reclassement s’effectue par priorité sur un emploi relevant de la même catégorie que celle actuelle du salarié ou sur un emploi équivalent. Ce n’est que si aucun emploi de cette catégorie n’est disponible que, sous réserve de l’accord exprès du salarié, le reclassement s’effectue sur un emploi d’une catégorie inférieure.
La sanction est lourde dans la mesure où l’inobservation de cette obligation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, quel que soit le bien fondé du motif de ce dernier.
2. Le périmètre de l’obligation de reclassement
Avant tout licenciement, toutes les possibilités de reclassement doivent être recherchées :
en interne,
au sein de l’unité économique et sociale (Cass soc, 16 octobre 2001, n°99-44.037)
au sein du groupe auquel appartient l’entreprise, étant précisé qu’en matière de reclassement, le groupe se comprend comme un ensemble d’entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permet d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (Cass soc, 5 avril 1995, Bull civ V, n°123). Cette notion est donc déconnectée du groupe au sens capitalistique du terme.
La jurisprudence précise qu’en présence d’un groupe international, la recherche englobe toutes les entreprises situées à l’étranger (Conseil d’Etat, 14 février 2004), sous réserve que la législation locale ne fasse pas obstacle à l’emploi de salariés étrangers (Cass soc, 7 octobre 1998).
Par la suite, et faisant écho à certaines offres faites à l‘étranger pour des salaires dérisoires, une instruction du 23 janvier 2006 était venue condamner la pratique des employeurs visant à proposer des possibilités de reclassement qui seraient, de fait, inacceptables pour les salariés concernés. Selon cette instruction, l’application restrictive de l’article L.1233-4 du Code du travail méconnaît un principe fondamental du droit contractuel qu’est celui de l’exécution de bonne foi des relations contractuelles. Il était dès lors demandé aux Directions Départementales du Travail de retirer de telles propositions des plans de sauvegarde de l’emploi.
3. Nature des offres de reclassement
Selon l’article L.1233-4 du Code du travail, les offres doivent être :
écrites et précises (article L.1233-4 du Code du travail),
concrètes et individualisées (Cass. Soc., 26 septembre 2006),
détaillées : ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Lens a condamné une société à verser des indemnités aux salariés au motif que les propositions d’emplois en Turquie pour 230 euros par mois et au Brésil pour 350 euros par mois, n’étaient pas suffisamment détaillées.
L’employeur doit s’évertuer, par une recherche loyale et sérieuse, de proposer un poste en adéquation avec les aptitudes et les capacités du salarié et favoriser, au besoin, l’adaptation et la formation des salariés aux emplois disponibles susceptibles d’être offerts en reclassement (Cass soc, 18 février 1998).
Afin d’être plus efficace dans leurs recherches, certains employeurs avaient imaginé de recueillir par questionnaire les possibilités de mobilité géographique des salariés concernés par une mesure de licenciement ainsi que leurs attentes. Ce procédé a pourtant été invalidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mars 2009, qui a estimé que l’employeur ne peut restreindre le périmètre de ses recherches en fonction des souhaits exprimés par le salarié dans un questionnaire.
La Cour de cassation rappelle ici que l’obligation de reclassement du salarié est exhaustive : dans le respect de son obligation de bonne foi, l’employeur doit proposer l’ensemble des postes disponibles au salarié, sans se faire juge de la position de ce dernier. Il ne peut en effet se fonder sur des prises de position antérieures laissant présumer un refus de la part du salarié pour limiter ses recherches (Cass. Soc., 28 juin 2008).
En d’autres termes, le choix doit être laissé aux salariés, ce qui a eu pour effet d’étendre au maximum l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur.
4. Les nouvelles obligations en matière de reclassement à l’étranger
La garantie d’« une rémunération équivalente »
L’article L.1233-4 du Code du travail est complété de sorte que le reclassement ne peut s’effectuer que sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent « assorti d’une rémunération équivalente ».
Selon le rapport du Sénat, le texte devrait donc mettre fin aux offres jugées indignes car il est probable que le salarié déclarera « (…) qu’il ne souhaite pas partir à l’étranger ou être reclassé sur un poste dont la rémunération est inférieure à celle de son poste actuel ».
La loi instaure par conséquent une garantie pour le salarié quant à sa rémunération, garantie de portée limitée puisque, à titre subsidiaire, l’employeur est en droit de proposer un poste de catégorie inférieure.
Par ailleurs, cette notion de « rémunération équivalente » n’est pas précisée par les textes.
Une nouvelle procédure pour les offres de reclassement à l’étranger
Un nouvel article voit le jour (article L.1233-4-1 du Code du travail) obligeant l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient, implanté hors du territoire national, à respecter plusieurs étapes :
l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors du territoire national, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation.
Ainsi, le recours au questionnaire préalable pour les offres d’emploi situées à l’étranger est légalisé, contrairement à ce que préconisait la Cour de cassation.
La loi ne précise pas à quel moment doit se faire cette demande. Cependant, de manière générale, le reclassement doit être effectué dès que le licenciement du salarié est « envisagé » c’est-à-dire en pratique, lorsqu’il est convoqué à un entretien préalable ou lors de la dernière réunion du Comité d’entreprise sur le projet de licenciement économique.
Le salarié dispose d’un délai de 6 jours ouvrables suivant réception de la proposition de son employeur, pour manifester son accord de recevoir de telles offres, assorti le cas échéant des restrictions ci-dessus mentionnées. L’absence de réponse dans ce délai vaut refus.
Ces offres, qui sont écrites et précises, ne sont adressées qu’au salarié ayant accepté d’en recevoir et compte tenu des restrictions qu’il a pu exprimer. Le salarié auquel aucune offre n’est adressée, est informé de l’absence d’offres correspondant à celles qu’il a acceptées de recevoir.
Dès lors qu’une entreprise ou que le groupe auquel elle appartient dispose d’une implantation à l’étranger, l’obligation de reclassement s’étend désormais aux postes situés à l’étranger compatibles avec les restrictions posées par le salarié et les postes disponibles sur le territoire national.
Si ces dispositions peuvent avoir le mérite de limiter les risques d’une proposition de reclassement à un salaire dérisoire, elles suscitent néanmoins certaines interrogations et sont perçues d’ores et déjà comme « un nid à contentieux » par une partie de la doctrine (Jean-Emmanuel Ray). Notamment, la sanction de la violation de cette obligation n’est pas précisée…
Une circulaire devrait paraître dans les prochains jours pour nous éclairer plus avant.
Par Alexandra Collange, avocat