La réforme à intervenir relative aux sociétés des professions libérales. Par Laura Mancini et Dominic Jensen, Avocats.

La réforme à intervenir relative aux sociétés des professions libérales.

Par Laura Mancini et Dominic Jensen, Avocats.

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Explorer : # réforme des professions libérales # sociétés d'exercice libéral # simplification des règles # responsabilité civile professionnelle

L’adoption progressive de lois sur les différentes structures d’exercice des professionnels libéraux a rendu illisible et parfois incohérent l’ensemble des règles applicables aux structures des professionnels libéraux.

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La loi Macron, pour citer la dernière grande réforme en date, a ouvert le champ des possibles aux professionnels libéraux en leur permettant notamment d’exercer sous forme de sociétés commerciales de droit commun, développer des activités connexes et accessoires, mais la rédaction de cette loi, parfois alambiquée, n’a fait qu’accroître la confusion auprès des professionnels libéraux.

Il était donc nécessaire qu’une réforme intervienne. C’est en ce sens que le gouvernement a été habilité à réformer en profondeur les lois qui régissent les sociétés d’exercice des professionnels libéraux.

L’objectif de la réforme est de :
- « Clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, d’une part, en précisant les règles communes qui leur sont applicables et, d’autre part, en adaptant les différents régimes juridiques leur permettant d’exercer sous forme de société ;
- Faciliter le développement et le financement des structures d’exercice des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, à l’exclusion de toute ouverture supplémentaire à des tiers extérieurs à ces professions du capital et des droits de vote
 ».

L’ordonnance à intervenir vise les sociétés civiles professionnelles, les sociétés d’exercice libéral, les sociétés de droit commun, les sociétés de participations financières de professions libérales, les sociétés pluriprofessionnelles d’exercice, les sociétés civiles de moyens, les sociétés en participation qui étaient auparavant régies par des textes différents.

Une étude du projet d’ordonnance en l’état à ce jour nous permet d’avoir une idée des dispositions qui pourront être réformées si le projet était adopté. Nous abordons ces propositions dans, ce qui nous semble être, leur ordre d’importance :

1) La fusion des sociétés d’exercice libéral et des sociétés de droit commun dont l’objet est d’exercer une profession libérale.

L’Ordonnance ne conserverait qu’une catégorie de sociétés pour les professionnels libéraux : les sociétés d’exercice libéral.

Cette uniformisation ne peut être qu’encouragée en ce qu’elle met fin à l’interrogation récurrente des professionnels concernés : sociétés de droit commun ou sociétés d’exercice libéral ?

Les deux régimes seraient donc fusionnés au profit d’un régime unique : le nouveau régime des sociétés d’exercice libéral. Les modifications proposées sont :

a. L’introduction du droit de retrait d’un associé dans les SEL.

Le retrait d’exercice existe dans les SEL au nom du principe de liberté d’établissement.

La loi sur les SEL prévoit des délais importants et des modalités pour le rachat des titres du retrayant.

Si cette proposition était adoptée, l’associé d’une société d’exercice libéral pourrait, comme c’est le cas dans une société civile professionnelle, de droit, imposer le rachat sans délai des titres qu’il détient au sein de la société.

Ceci reviendrait à intégrer dans la reprise des SEL le principal défaut des SCP qui est d’ailleurs une des principales causes de l’obsolescence de ces dernières.

Elle placerait également la société dans une situation de fragilité permanente puisqu’elle serait sous la menace permanente de devoir racheter les titres de l’associé retrayant à tout moment alors même qu’elle ne disposerait pas forcément des ressources pour le faire.

Nous pouvons espérer que cette mesure sera facultative et non d’ordre public compte tenu des conséquences qu’elle pourrait avoir sur les structures d’exercice de professions libérales. Espérons que le texte définitif de l’Ordonnance apporte un éclairage sur ce sujet.

b. L’agrément des cessions.

L’article 10 de la loi du 31 décembre 1990, actuellement en vigueur, porte confusion sur les règles de majorité applicables en cas de cession de parts sociales au sein d’une SELARL.

Le deuxième alinéa de l’article prévoit qu’une majorité des trois quarts des porteurs de parts exerçant la profession au sein de la société est nécessaire. Toutefois, le dernier alinéa de l’article pose des exceptions à raison de la détention du capital social et des droits de vote au sein de la société. Ces exceptions laissent penser que la majorité de l’alinéa 2 ne s’applique pas dans certaines conditions à certaines professions, dont les avocats.

La proposition de l’Ordonnance supprime cette confusion en affirmant que l’agrément d’une cession de parts sociales est approuvé à la majorité des trois quarts des porteurs de parts exerçant la profession au sein de la société et en supprimant l’exception posée au dernier alinéa de l’article 10. Cette précision a le mérite de clarifier les règles de majorité applicables.

c. La dépatrimonialisation conservée dans le régime fusionné des SEL.

La faculté de dépatrimonialiser, c’est-à-dire de décider dans les statuts de la société qu’il ne sera pas compte de la valeur du fonds libéral de la société en cas de valorisation des titres de la société à l’occasion de transfert de titres, existe actuellement pour les associés de SEL mais n’est pas prévue, de manière expresse, pour les sociétés de droit commun.

Le nouveau régime uniformisé des deux types de structures reprend cette possibilité et l’on ne peut que s’en réjouir car il s’inscrit dans une vision moderne des professions libérales qui favorise l’association et le développement des sociétés de professionnels libéraux. La liberté dans la fixation contractuelle des règles de détermination de la valeur des titres nécessite toujours l’accord de l’unanimité des associés.

d. L’exclusion « de facto » de l’associé frappé d’une interdiction d’exercice définitive.

L’exclusion était déjà prévue par le décret d’application pour les avocats de 1993 sur les SEL mais devait s’inscrire dans le cadre d’un vote à l’unanimité des autres associés exerçant.

Cette mesure ne constitue donc pas une grande nouveauté même si elle peut apparaître comme simplifiant la procédure dans ce cas précis.

Le projet d’ordonnance précise également que les décrets de chaque profession pourront régir les cas d’exclusion pour leur profession. Il faudra donc attendre la publication de nouveaux décrets postérieurs à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance pour avoir des précisions sur ce sujet.

e. La responsabilité civile professionnelle des associés sur leur patrimoine professionnel.

L’absence de règles régissant la responsabilité civile professionnelle des associés de sociétés de droit commun conduisait à laisser penser que la responsabilité civile professionnelle des associés de sociétés de droit commun était limitée à leurs apports de la même manière que pour autres dettes de la société.

La réforme lève tout doute à ce sujet en appliquant les règles de la responsabilité civile professionnelle des associés des SEL.

A la différence de la responsabilité des dettes financières, la responsabilité civile professionnelle n’est pas limitée aux apports.

f. Les actions de préférence pourraient être réservées aux seuls associés exerçant au sein de la société.

Il n’existait pas d’encadrement lié aux actions de préférence, possibles dans les SELAS mais pas dans les SELARL. Celles-ci seraient maintenant réservées aux seuls associés exerçant.

g. Les mandats sociaux doivent être détenus par un associé exerçant ou quand la détention du capital et des droits de vote est majoritairement détenue par des personnes n’exerçant pas la profession de l’objet social mais une autre profession juridique ou judiciaire, au moins un mandat social doit être occupé par un associé exerçant.

Cette précision permet aux professionnels exerçants de garder le contrôle de la société d’exercice mais également de mettre fin à l’ambivalence entre le régime des sociétés de droit commun et les sociétés d’exercice libéral.

h. L’extension du contrôle des ordres professionnels ou institutions similaires.

Le projet d’ordonnance propose d’étendre le contrôle des ordres à « toute modification, l’état de la composition de son capital social, des droits de vote afférents, les dispositions régissant ses droits décisionnels ». En d’autres termes, il faudrait communiquer à l’Ordre tout acte, type pacte d’associés ou règlement intérieur dès lors qu’il prévoit les règles relatives à l’organisation, la gestion, la présidence de la société.

Il reste à savoir l’interprétation qui sera faite par les Ordres. En l’état, le terme de « droits décisionnels » nous parait trop vague et de nature à permettre aux Ordres de contrôler des accords contractuels purement internes qu’ils n’ont pas vocation à connaître aujourd’hui.

i. Abrogation de la limite d’apports en compte courant prévue initialement pour les SEL.

Cette suppression bienvenue répare une limitation qui n’avait aucun sens.

2) La société civile professionnelle pourrait désormais être unipersonnelle.

Alors que la société civile professionnelle ne peut être constituée que de deux associés au minimum, le projet propose que les sociétés civiles professionnelles puissent désormais être constituées à associé unique.

Avec un associé unique ou pas, le régime de la société civile professionnelle reste nettement moins attrayant que celui des sociétés d’exercice libéral.

3) L’absence d’encadrement du régime des sociétés civiles de moyens.

Le projet d’ordonnance prévoit seulement une disposition générale sur la possibilité de constituer des sociétés civiles de moyens et l’objet social de celles-ci.

Il est regrettable que cette réforme n’ait pas apporté plus de précisions sur le régime juridique des sociétés civiles de moyens.

4) Les dispositions concernant les société pluri professionnelles d’exercice (SPE).

Quelques dispositions viennent préciser le régime de la SPE.

a. Intégration des géomètres-experts dans la liste des professionnels libéraux pouvant constituer une SPE.

Le texte répare cette exclusion qui n’était pas justifiée.

b. Extension aux SPE des règles applicables aux SEL (i) Agrément préalable à la constitution, (ii) dépôt aux ordres et organes compétent au moins un mois avant toute modification : composition capital social et droits de vote, droits décisionnels., etc.

Le régime applicable aux SPE en termes de contrôle était plus souple que celui des SEL.

Pourtant, il s’agit de mêmes professionnels qui sont soumis aux mêmes règles déontologiques. Cette uniformisation du contrôle des différents types de structures est logique.

c. Responsabilité civile professionnelle sur l’ensemble du patrimoine de l’associé concerné et solidarité de la société.

De la même manière que pour le contrôle de l’Ordre, cette modification nous semble une précision de bon sens et une uniformisation claire et nécessaire sur la responsabilité civile professionnelle des professionnels libéraux.

d. Autorisation pour les professionnels exerçants de mettre en commun leurs moyens matériels et immatériels.

L’une des difficultés principales de la SPE, qui a notamment limité son expansion, c’est les moyens d’exercice des différentes professions qui ne devaient pas être les mêmes afin de garantir le respect des règles déontologiques de chaque profession. On note ici une volonté d’assouplir les règles à cet égard pour favoriser le développement des SPE.

Il faut souligner que la SPE est une structure favorisant les synergies entre les professionnels et permettant à chaque professionnel de proposer au sein d’une même structure un panel de compétences complémentaires à son client. C’est donc un outil de développement intéressant.

Cette disposition lève un obstacle qui était contraignant pour le développement des SPE.

5) Les dispositions concernant les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL).

a. Le dispositif de contrôle de l’Ordre est calqué sur celui des SEL avec ajout du contrôle de la liste des sociétés dans lesquelles la SPFPL détient des participations.

Les professionnels de Santé ont demandé à ce que l’Ordre puisse contrôler les participations détenues par les SPFPL. S’il s’agit de contrôler les investissements réalisés par une SPFPL avec les fruits de ses participations dans une ou plusieurs SEL, cette mesure nous semble particulièrement intrusive et hors du rôle de l’Ordre qui devrait se limiter à la détention du capital de la SPFPL pour vérifier que les règles de majorité du capital et des droits de vote est bien respecté et que les statuts répondent aux exigences des textes applicables, c’est-à-dire de l’Ordonnance après son adoption.

b. Précision sur les personnes pouvant détenir le complément du capital et des droits de vote dont l’exclusion des personnes morales européennes.

Cette précision est judicieuse en ce qu’elle clarifie les règles de détention des SPFPL.

6) Les dispositions concernant les sociétés en participation (SEP).

Le régime de responsabilité solidaire est modifié en faveur d’un régime de responsabilité professionnelle individuelle et une obligation d’information envers les tiers est ajoutée. Ce régime s’aligne ainsi sur celui de l’Association d’avocat à Responsabilité Professionnelle Individuelle.

Laura Mancini et Dominic Jensen, avocats au Barreau de Paris,
Librato Avocats

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