I. Le régime d’autorisation du changement de sous-destination des locaux commerciaux en meublés de tourisme, validé dans son principe.
En principe, les modifications de sous-destination au sein d’une même destination ne requièrent aucune formalité.
Cependant, depuis la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique, les communes ont la possibilité de soumettre à autorisation la transformation d’un local à usage commercial en meublé de tourisme [1].
Ainsi, par une délibération du 15 décembre 2021 (ci-après « la Délibération »), la Ville de Paris a décidé de soumettre à autorisation la transformation des locaux commerciaux en meublés de tourisme. En conséquence, le Conseil de Paris a adopté un règlement municipal fixant les conditions de délivrance de ces autorisations, conformément à l’article L324-1-1 du Code du tourisme (ci-après « le Règlement »).
Dans son arrêt du 6 février, la cour administrative d’appel a validé la légalité du régime d’autorisation instauré par la Ville de Paris. Une confirmation sans surprise.
Elle estime logiquement que l’interdiction imposée dans certaines zones ne constitue pas une restriction générale et absolue, mais une mesure proportionnée visant à protéger l’activité commerciale dans les quartiers les plus exposés.
« L’interdiction […] qui s’applique aux locaux situés en rez-de-chaussée en bordure de certaines voies, n’a pas pour effet d’interdire toute possibilité d’installer des meublés de tourisme dans de larges secteurs et répond à l’objectif d’intérêt général de protection de la commercialité […]. Elle constitue une mise en œuvre différenciée en fonction de la situation particulière de certains quartiers ou zones au sens de l’article R324-1-5 du Code du tourisme et n’est pas disproportionnée ».
Ainsi, la cour valide une interdiction ciblée pour les locaux situés en rez-de-chaussée le long des voies où le PLU protège les activités commerciales et artisanales. Cette restriction repose sur un objectif d’intérêt général justifié et ne porte pas atteinte de manière excessive à la liberté d’entreprendre.
De plus, la cour considère que la Délibération prévoit un contrôle efficace des nuisances urbaines, en encadrant les critères dont l’administration doit prendre en compte pour délivrer ou refuser une autorisation. Contrairement à ce qu’avançait l’association requérante dans cette affaire, ces critères ne nécessiteraient pas de définition plus précise et permettraient un contrôle juridictionnel effectif :
« la délibération prévoit que la location ne doit pas entraîner de nuisances pour l’environnement urbain, en énumérant les éléments dont doivent tenir compte les décisions de l’administration. Contrairement à ce que soutient l’association requérante, les critères ainsi prévus, qui n’appellent pas de définition particulière et permettent un contrôle effectif du juge de l’excès de pouvoir, sont suffisamment précis au regard des dispositions législatives et réglementaires citées au point 15 et des exigences découlant de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil. Le moyen doit donc être écarté sur ce point ».
Néanmoins, si la cour valide le principe du régime d’autorisation, elle en souligne les insuffisances et le sanctionne pour son manque de clarté et de prévisibilité, notamment en ce qui concerne les critères d’octroi ou de refus des autorisations de changement de sous-destination.
II. L’illégalité confirmée du règlement anti-Airbnb en raison de l’absence de critères précis.
Nous l’avions déjà souligné il y a deux ans : sans aucun cadre quantifiable, qu’il soit absolu ou relatif, la sécurité juridique des autorisations délivrées aux bailleurs pour la transformation des locaux commerciaux en meublés de tourisme n’existe tout simplement pas.
Comment déterminer si une location en meublé de tourisme perturberait l’équilibre entre emploi, habitat et commerce, et justifier une telle rupture, sans le moindre outil, indicateur, seuil ou référence objective ?
Ce flou juridique laisse place à l’incertitude et ouvre la porte à l’arbitraire de l’administration.
Dans sa décision, la CAA de Paris rappelle que la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 (ci-après « la Directive ») s’applique et que la délibération contestée doit s’y conformer. Elle s’inscrit ainsi dans la continuité de l’arrêt Cali Apartments SCI (C-724/18) du 22 septembre 2020 [2], où la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la réglementation nationale encadrant la location de meublés de tourisme à une clientèle de passage, contre rémunération et pour de courtes durées, relevait bien du champ d’application de cette Directive.
Sans surprise, elle applique les articles 9 et 10 de la Directive [3] et en déduit que tout régime d’autorisation doit être encadré par des critères précis, limitant la marge d’appréciation des autorités compétentes et prévenant tout risque d’arbitraire.
Ces critères doivent être :
- Neutres et non discriminatoires,
- Justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général,
- Proportionnés à cet objectif,
- Clairs, fondés sur des éléments objectifs et accessibles dès l’origine pour garantir la transparence.
La cour rappelle que cette exigence est aussi prévue en droit interne : l’article R3241-5 du Code du tourisme impose que toute délibération instaurant un régime d’autorisation définisse clairement ses modalités d’application et les critères permettant d’évaluer l’équilibre urbain et la protection de l’environnement.
Autant d’éléments que la Délibération et le Règlement ne définissent pas.
Et c’est précisément ce que la CAA de Paris a souligné dans sa décision du 6 février :
“En l’espèce, en premier lieu, les dispositions de la délibération litigieuse mentionnées au point 16 visent à éviter la rupture de « l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services », sans préciser, contrairement aux prévisions de l’article R324-1-5 du Code du tourisme, « les principes de mise en œuvre » de cet objectif et ainsi caractériser l’équilibre à préserver. Dans ces conditions, les critères qu’elles retiennent à ce titre, qui sont destinés à apprécier la densité de meublés touristiques, celle de l’offre commerciale et celle de l’offre hôtelière mais ne sont assortis, notamment, d’aucune quantification absolue ou relative pour guider l’instruction et la délivrance des autorisations sollicités par les bailleurs, ne répondent pas à l’exigence de précision nécessaire pour écarter le risque d’une application arbitraire. Par suite, l’association requérante est fondée à soutenir qu’elles sont entachées d’illégalité”.
La cour annule en conséquence la Délibération n° 2021 DLH 460 du 15 décembre 2021 du conseil de Paris en tant qu’elle adopte les troisièmes à dixièmes alinéas de l’article 2 du Règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations visant la location de locaux à usage commercial en meublés de tourisme.
Désormais, la voie paraît temporairement libre à de telles demandes de transformation.