Un contrat-cadre renouvelé annuellement entre un entrepreneur principal et une société sous-traitante prévoyait une remise conditionnelle de fin d’année (RCFA ou RFA) calculée en fonction du chiffre d’affaires total atteint au cours de l’année civile par le sous-traitant avec l’entreprise principale. A la suite d’une diminution subite des commandes, estimant que cette diminution était faite au mépris de ses droits, la société sous-traitante a assigné l’entrepreneur principal pour voir notamment juger qu’elle avait violé les dispositions de l’article L442-6-II, a) du Code de commerce prohibant les commissions rétroactives [1], et subsidiairement, qu’elle avait créé un déséquilibre significatif entre les parties par l’existence d’une telle clause sur le fondement de l’article L442-6-I 2° du Code de commerce [2].
Dans son arrêt du 25 novembre 2020 (RG 19/00558), la chambre de la Cour d’Appel de Paris spécialisée en la matière [3] a jugé que la clause de remise conditionnelle de fin d’année était valide mais qu’elle créait un déséquilibre significatif permettant à la société sous-traitante d’obtenir des dommages-intérêts significatifs. En cela, elle reste sur la droite ligne de sa propre jurisprudence validée par la cour de cassation dans un litige autrement plus lourd de conséquences entre le Ministère de l’Economie et le Galec [4].
Sur la clause de remise conditionnelle de fin d’année.
La société sous-traitante réclamait une indemnisation au visa de l’article L442-6-II a) du Code de Commerce [5], déclarant nuls les clauses ou contrats prévoyant la possibilité de bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale.
La société sous-traitante invoquait la nullité de cette clause car appliquée selon celle-ci aux « affaires en cours préalables à la signature du présent contrat cadre », constituant ainsi selon elle un avantage rétroactif prohibé sur le fondement de l’article précité.
Elle considérait en effet que la clause litigieuse qui figurait dans les contrats-cadre établis et renouvelés annuellement, permettait une rémunération de l’entrepreneur principal a posteriori, rémunérant ce dernier pour lui avoir permis d’atteindre un certain chiffre d’affaires l’année antérieure, le pourcentage de rémunération variant en fonction du chiffre d’affaires réalisé antérieurement.
La société sous-traitante ajoutait que la nullité était d’autant plus justifiée que la pratique opérée par l’entrepreneur principal était illicite comme permettant de lier les relations commerciales avec son sous-traitant à l’exigence d’une rétribution complémentaire à son seul profit s’ajoutant aux prestations refacturées aux clients avec une marge bénéficiaire.
Selon l’entrepreneur principal, ces remises de fin d’année n’étaient nullement rétroactives, faisant notamment valoir que la commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) avait validé cette pratique de remises.
La Cour d’appel de Paris a jugé ces clauses valides car, selon elle, ces clauses de RCFA prenaient effet à la signature du contrat et le montant des remises était calculé sur le chiffre d’affaires réalisé sur l’année en cours avec un versement au cours du premier semestre de l’année suivante.
La cour considérait donc que ces clauses ne se heurtaient pas aux dispositions de l’article L442-6-II a) du Code de commerce qui prohibent la possibilité de bénéficier rétroactivement de remises.
La société sous-traitante, si elle s’était arrêtée à cette demande n’aurait pas pu être indemnisée d’une situation qu’elle jugeait inéquitable.
C’est la raison pour laquelle elle a fait une demande subsidiaire relative à l’interdiction de créer un déséquilibre significatif. Cette notion continue et continuera de faire couler de l’encre jurisprudentielle et doctrinale avec son introduction dans le Code civil [6] dont la cour de cassation vient de donner les premières interprétations [7].
Sur le déséquilibre significatif.
La société sous-traitante demandait subsidiairement l’application de l’article L 442-6 du Code de commerce (nouvel article L 442-1) qui interdit de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties :
En effet, conformément à la jurisprudence de la cour de cassation, le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite et l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants peut être sanctionnée au titre de l’article L442-6-I 2° du Code de commerce [8] dès lors qu’elle procède d’une soumission ou tentative de soumission et conduits à un déséquilibre significatif.
Pour ce faire, et en application des critères jurisprudentiels, il convient de vérifier si les clauses relatives à la remise de fin d’année prévoient le paiement d’une ristourne sans aucune contrepartie, si les fournisseurs ont versé une RFA alors que le distributeur n’a pris aucune réelle obligation à leur égard, si aucune autre stipulation conventionnelle ne permet de rééquilibrer la convention, si la ristourne litigieuse figure dans les conditions générales ou dans une annexe prérédigée et si une négociation sur ce point est démontrée.
Dans l’arrêt soumis à la cour de cassation, il a été jugé que la ristourne a été imposée aux fournisseurs qui ont dû signer les contrats sans pouvoir les modifier, les clauses litigieuses prérédigées constituaient une composante intangible de tous les contrats et n’avaient pu faire l’objet d‘aucune négociation effective [9].
A l’identique, selon la société sous-traitante, aucune négociation n’a eu lieu sur ce point, la clause a été prérédigées et figurait dans une annexe au contrat, aucune autre stipulation conventionnelle ne permettait de rééquilibrer la convention, elle n’a eu aucune liberté de négociation, ni contrepartie, ni obligation pour l’entrepreneur principal, bénéficiaire de la clause.
Avant d’analyser les faits, la cour d’appel a rappelé que les deux éléments constitutifs de cette pratique restrictive de concurrence prohibée par l’article L442-6-I 2° du Code de commerce sont, en premier lieu, la soumission ou la tentative de soumission et, en second lieu, l’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif.
L’insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d’adhésion qui ne donne lieu à aucune négociation effective des clauses litigieuses peut constituer ce premier élément.
L’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties.
La cour rappelle que les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie du contrat et in concreto, conformément à la jurisprudence de la cour de cassation [10].
Analysant ensuite les arguments et pièces des parties, la cour d’appel a jugé qu’il n’était pas justifié ni même allégué que les clauses litigieuses aient donné lieu à des négociations. Il s’agissait dans chacun des contrats d’une clause prérédigée figurant en annexe.
L’existence d’une soumission ou d’une tentative de soumission était ainsi établie.
Selon les clauses, le barème s’appliquait dès le premier euro et non en cas de franchissement d’un certain seuil de chiffre d’affaires, de sorte que la clause n’apparaissait pas justifiée par un objectif d’atteinte de volume d’affaires, même si le pourcentage du chiffre d’affaires croissait avec le montant du chiffre d’affaires obtenu.
Par ailleurs, la cour a jugé que l’entrepreneur principal qui supporte la charge de la preuve, ne justifiait pas d’un rééquilibrage du contrat par une autre clause, appliquant en cela la jurisprudence de la cour de cassation [11].
Dès lors, l’existence d’un déséquilibre significatif résultant de cette clause a été retenue par la Cour et l’entrepreneur principal a été condamné à réparer le préjudice subi par son partenaire commercial pour l’avoir soumis à une obligation créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; les dommages-intérêts réparateurs consistant dans le remboursement des sommes versées au titre des remises.
A défaut de prononcer la nullité d’une clause, plus sujette au risque de censure de la cour de cassation, la cour d’appel par le biais de son appréciation souveraine du déséquilibre significatif et sa recherche d’un rééquilibrage entre les obligations des parties, permet aux sociétés sous-traitantes d’être justement indemnisées par l’allocation de dommages-intérêts finalement équivalents à ceux qui auraient pu être perçus en cas de nullité de la clause.