Rémunérations exagérées ou abus de dividendes : les professions libérales dans l'impasse, par Hélène Boreau

Rémunérations exagérées ou abus de dividendes : les professions libérales dans l’impasse, par Hélène Boreau

8240 lectures 1re Parution: Modifié: 4.43  /5

Explorer : # professions libérales # dividendes # cotisations sociales # optimisation fiscale

-

L’article 20 du projet de loi du financement de la Sécurité Sociale pour 2009 n° 1157 prévoit en son article 20 l’assujettissement aux cotisations de sécurité sociale de la part des revenus de capitaux mobiliers distribués au sens des articles 108 à 115 du Code Général des Impôts, perçus par le travailleur non salarié non agricole, son conjoint ou le partenaire auquel il est lié par un PACS ou leurs enfants mineurs non émancipés pour la fraction supérieure à 10 % du capital social et des primes d’émissions détenues en toute propriété ou en usufruit par ces mêmes personnes.

En clair, ce projet de loi vise à assujettir à toutes les cotisations de sécurité sociale des travailleurs non salariés non agricoles (assurance maladie, maternité, allocations familiales et assurance vieillesse obligatoire de base et complémentaire) les dividendes perçus par les associés soumis au régime social des TNS.

Sont donc concernés :

• gérants majoritaires de SARL,

• gérants majoritaires des SELARL,

• associés exerçants des SEL indépendamment des fonctions de mandataire.

La fraction des dividendes assujettie aux cotisations sociales est celle excédant 10% de la participation détenue par l’associé bénéficiaire des dividendes. Dans le but d’éviter des augmentations de capital motivées par la volonté d’augmenter la fraction de dividendes non assujettie le projet prévoit qu’un décret en Conseil d’Etat préciserait la nature des apports retenus pour la détermination du capital social.

Il est à prévoir que ce décret ne prendra pas en considération la fraction du capital social qui résultera d’une augmentation par incorporations de réserves pour éviter aux sociétés concernées d’augmenter leur capacité distributive en franchise de cotisations sociales sans modifier leurs capitaux propres.

Ce projet a été présenté à l’assemblée nationale qui l’a adopté en y insérant toutefois quelques amendements, dont l’amendement n° 736 au terme duquel cette disposition d’assujettissement aux cotisations sociales est réservée…. aux seules sociétés d’exercice libéral !

Le sénat a adopté ce texte sans modification de fond.

Sont donc préservées de ce dispositif pénalisant les SARL de droit commun, c’est-à-dire les activités artisanales et commerciales, l’amendement proposé et adopté ayant souligné que ce prélèvement poserait de sérieux problèmes aux gérants de PME qui ont opté pour le régime des sociétés à l’IS avec pour objectif, d’une part de préserver leur patrimoine personnel, mais aussi d’améliorer leurs revenus.

Un autre amendement adopté par les parlementaires permet de retenir non pas seulement le seul capital social pour apprécier le seuil de 10 % mais également les avances en compte courants consenties par les associés.

Les parlementaires ont été sensibles à l’atteinte au pouvoir d’achat des gérants de PME, raison pour laquelle ils ont choisis de les épargner et l’on ne peut que s’en féliciter.
Toutefois, il faut croire que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets dès lors que ce dispositif pénalisant reste applicable aux professionnels libéraux.

Pour autant, les professionnels libéraux qui sont autorisés par la loi du 31 décembre 1990 à exercer leur activité sous la forme de société de capitaux soumise à l’impôt sur les sociétés, ont certainement été guidés par les mêmes préoccupations que celles des entrepreneurs artisans ou commerçants en adoptant ce style de structure d’exercice.

L’un des avantages essentiel du choix d’exercer en SEL est de permettre aux professions libérales d’arbitrer la rémunération de l’associé exerçant entre rémunération à proprement parler et dividendes.

En effet, alors que la totalité du résultat réalisé par l’entreprise individuelle est soumise aux cotisations de sécurité sociale, seule la rémunération versée aux gérants ou associés exerçants est soumise aux mêmes cotisations à l’exception jusque là des dividendes.

Ainsi, le gérant associé d’une SELARL pouvait pratiquer une politique de rémunération d’activité peu élevée (soumise à charges sociales) et s’attribuer des dividendes plus importants qui n’étaient pas soumis à charges sociales, ce qui entraînait une économie au titre des cotisations sociales.

C’est justement cette gestion à l’optimisation sociale qui devait déclencher les hostilités.

Il faut croire qu’apparemment, certains professionnels libéraux auraient "abusé" de cette faculté d’arbitrage entre dividendes et rémunération pour soustraire leur revenu d’activité en quasi-totalité aux cotisations sociales en faisant le choix de ne pas percevoir de rémunération et de ne s’attribuer que des dividendes.

Ce sont les caisses de retraite qui furent les plus promptes à réagir

C’est ainsi que certaines caisses de retraite se sont crues fonder à considérer que le professionnel libéral devait assujettir aux cotisations sociales non seulement les rémunérations que sa société lui verse mais également les bénéfices de cette même société qui lui ont été distribués, dans la mesure où ces bénéfices constituaient le produit de son activité professionnelle.

Raisonner ainsi était toutefois nier purement et simplement le fonctionnement naturel d’une société de capitaux soumise à l’IS : dans ce type de société, les rémunérations versées aux gérants ou associés exerçants sont déductibles des résultats.

Tel n’est pas le cas d’un dividende qui est une fraction du bénéfice réalisé par la société, attribué aux seuls associés au prorata de leur pourcentage de détention dans le capital social.

Dans un arrêt rendu le 14 novembre 2007, le conseil d’Etat rappelle que le revenu professionnel défini en deuxième et troisième alinéa de l’article L 131-6 du Code de la Sécurité Sociale, est celui retenu pour le calcul de l’impôt sur les revenus ; que les dividendes versés aux associés d’une société de capitaux sont des revenus du patrimoine et sont imposables à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des capitaux mobiliers et qu’en conséquence les dividendes versés aux associés de sociétés d’exercice libéral ne peuvent être regardés comme des revenus professionnels.

Le débat paraissait clos mais la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 15 mai 2008, retenait un principe strictement inverse, décidant qu’en application des dispositions du même article L 131-6 du Code de la Sécurité Sociale, les bénéfices distribués constituaient le produit de l’activité professionnelle de l’associé libéral et devaient entrer dans l’assiette des cotisations sociales.

La motivation juridique de cet arrêt est quasi inexistante et repose sur le seul constat factuel de ce que les dividendes sont la distribution du bénéfice acquis par la société en raison de l’activité professionnelle de ses associés.

L’article 20 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2009 met un terme au débat en modifiant l’article L 131-6 du code de la sécurité sociale en lui ajoutant un alinéa qui précise que l’assiette des cotisations sociales doit prendre en compte les revenus distribués au sens fiscal du terme.

Ce nouveau dispositif est source d’incohérences juridiques et de distorsions injustifiables entre les contribuables.

En premier lieu il instaure une différence de traitement totalement arbitraire entre un gérant de SELARL et un gérant de SARL de droit commun, cette différence étant fondée sur la seule nature de l’activité, libérale dans un cas, commerciale ou artisanale dans l’autre.

En second lieu, cette réforme génère une différence de traitement au sein même des professionnels libéraux entre ceux qui ont la possibilité de choisir une forme de société de capitaux de droit commun et les professionnels libéraux qui ne peuvent avoir recours qu’à la société d’exercice libéral. Tel est le cas notamment des Avocats, de la plupart des professions médicales, des mandataires de justice, huissiers de justice, notaires …

Au sein d’une même société d’exercice libéral, il existera une distorsion de situation entre les associés exerçants qui sont soumis à ce dispositif et les associés non exerçants qui y échapperont.

Il existera une différence de traitement difficilement justifiable également entre deux sociétés d’exercice libéral, dès lors que la soumission aux cotisations sociales des dividendes dépend du montant du capital social.

Seront donc pénalisées les sociétés d’exercice libéral qui auront créé leur activité avec un capital de départ en numéraire de faible montant par rapport aux professionnels libéraux qui auront fait apport en capital d’une activité antérieure.

Enfin, il convient de s’interroger sur l’articulation de ce dispositif issu du Code de la Sécurité Sociale avec les dispositions du Code Général des Impôts.

En effet, le Code Général des Impôts prévoit la possibilité de requalifier en dividendes les rémunérations excessives des dirigeants de sociétés.

En application de l’article 39,1-1° et de l’article 111,d du Code Général des Impôts, les rémunérations des dirigeants de sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés sont déductibles des résultats sociaux, à condition de ne pas être exagérées et de correspondre à un travail effectif.

Dans le cas contraire, et dans la mesure où elles excèdent la rétribution normale du travail effectivement fourni, les rémunérations des dirigeants sont rapportées au bénéfice imposable de l’entreprise et taxées comme des revenus mobiliers.

Dans ce cas, la base d’imposition de ces rémunérations excessives est majorée de 25 %.

En outre, l’Administration Fiscale considère dans cette hypothèse, qu’il s’agit d’une distribution irrégulière de dividendes qui est donc privée de l’abattement de 40 % et de l’abattement fixe annuel (1.525 € pour les célibataires et 3.050 € pour les couples mariés ou liés par un PACS), ainsi que du crédit d’impôt égal à 50 % du montant des dividendes, plafonné à 115 € pour les contribuables célibataires et à 230 € pour les couples mariés ou pacsés.

La réintégration d’une fraction de rémunération jugée exagérée a donc des conséquences financières désastreuses puisque la fraction excédentaire réintégrée subira l’impôt société au taux de 33,33 % puis l’impôt sur le revenu entre les mains du dirigeant rémunéré sans neutralisation.

Or le nouveau dispositif prévu à l’article 20 du projet de loi de financement de la Sécurité Sociale inclut dans l’assiette des cotisations sociales les revenus mentionnés aux articles 108 à 115 du Code Général des Impôts, de sorte que l’article 111,d est visé.

En conséquence, est inclue dans l’assiette des cotisations sociales, la fraction excédentaire des rémunérations qui pourraient être réintégrées par l’Administration Fiscale : le cumul des taxations dans ce cas frise la spoliation.

La confusion devient totale dès lors que l’on connaissait la notion de rémunération exagérée et que l’on connaît aujourd’hui par l’intermédiaire de ce projet de loi, la notion de dividendes exagérés.

Or, rémunération et dividendes sont les seuls moyens pour l’associé dirigeant d’appréhender légalement les bénéfices de sa société.

Face à ce projet, le dirigeant ne pourra donc pas choisir l’alternative d’augmenter sa rémunération ou en tout cas, prendra le risque de rentrer dans un autre dispositif encore plus pénalisant.

Il faut alors rapprocher ce nouveau dispositif de l’objectif poursuivi.

Or, l’on peut affirmer au vu de l’historique judiciaire ci-dessus rappelé, qu’il s’agit d’un dispositif anti-abus.

Les caisses de retraites se sont émues de voir diminuer l’assiette des cotisations de retraite en raison de la politique de distribution quasi exclusive de dividendes mise en place par certains professionnels libéraux dont le souci était de réaliser une économie de charges sociales.

Aujourd’hui, ce dispositif anti-abus est susceptible de pénaliser aveuglement l’ensemble des professionnels libéraux y compris ceux qui effectueraient des choix d’arbitrage entre rémunération et dividendes tout à fait raisonnables, dès lors que les critères d’abus apparaissent arbitraires.

En effet le montant du capital social ne saurait sérieusement servir de critère destiné à arbitrer une politique de sous rémunération des associés en vue d’éluder le paiement de charges sociales.

La notion de dividende excessif tente donc de trouver sa place sur une partition où législation sociale et fiscale ont déjà parfois du mal à accorder leurs violons.

Hélène BOREAU

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

7 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs