La réouverture d’un dossier d’accident de la route pour aggravation.
En principe, il n’existe pas de moyens de remettre en cause un jugement au-delà des délais d’appel, ou une transaction au-delà d’un court délai après signature.
Néanmoins en matière d’accidents de la circulation, les victimes qui ont déjà été indemnisées de leurs préjudices corporels et préjudices psychiques, peuvent sous certaines conditions strictes demander la réouverture de leur dossier d’indemnisation de leurs préjudices au motif d’une aggravation.
Encore faut-il rapporter la preuve, de l’existence d’un fait médical nouveau (aggravation médicale ou aggravation séquellaire) ou, de la survenance d’une situation de fait nouvelle (aggravation situationnelle).
En cas d’aggravation médicale ou aggravation lésionnelle aussi, c’est l’état de santé de la victime accidentée qui s’est aggravé depuis la date de consolidation initiale.
En cas d’aggravation situationnelle, ce n’est pas l’évolution de la pathologie qui est visée mais l’évolution de l’environnement de la victime accidentée qui peut conserver exactement les mêmes dommages, mais avec alors de nouveaux préjudices.
L’aggravation médicale ou l’aggravation situationnelle va être traitée par les professionnels du droit du dommage corporel comme un nouveau dossier qui devra se justifier vis à vis du premier.
Qu’est-ce que l’aggravation situationnelle d’une victime d’un accident de la route ?
La loi « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » du 11 février 2005 (loi no 2005-102, JO no 36 du 12 février 2005), dite loi handicap, est une loi française qui a été promulguée sous le gouvernement Raffarin.
Cette Loi a participé à l’évolution des mentalités en matière de réparation des dommages corporels.
Au lieu et place de réparer une pathologie réduite aux séquelles et à la pathologie elle-même, on va réparer le handicap en entier de la victime de la route.
Réparer le handicap en entier d’une victime de la route n’est pas de permettre à un tétraplégique de marcher à nouveau… C’est par exemple de permettre à la victime devenue tétraplégique à la suite d’un accident de la route, par le financement d’aide à une tierce personne, ou le financement d’un véhicule médicalisé, de se déplacer à nouveau
Des victimes de la route ayant des séquelles identiques n’ont pas forcément des préjudices identiques puisque chacune des victimes évolue dans un environnement différent.
A la différence des assureurs régleurs, débiteurs d’une obligation, qui envisagent systématiquement des évaluations standards, la Loi de 2005 invite justement à personnaliser, à individualiser ces évaluations.
Si en principe la jurisprudence est le fruit de l’application d’une loi, parfois, la jurisprudence inspire la loi. En matière d’aggravation situationnelle c’est sans doute le cas avec l’arrêt de la cour de cassation de la 2eme chambre civile du 19 février 2004.
Une jeune femme de 18 ans a été victime d’un accident de la route et a dû être amputée d’une jambe. Une procédure est engagée et la victime obtient l’indemnisation de ses préjudices (75% d’AIPP) comprenant classiquement l’indemnisation du préjudice de tierce personne, c’est à dire son besoin en aide humaine.
Cette femme se marie et a deux enfants mais à la naissance de son deuxième enfant, elle introduit une procédure en aggravation considérant que son besoin en aide humaine a augmenté.
La Cour d’appel de Rouen rejette sa demande en considérant qu’il n’y avait aucune aggravation médicale de la victime puisque l’arrivée de deux enfant n’est pas un préjudice.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en considérant que
« le préjudice était constitué par l’augmentation, en raison de la présence de ses deux enfants, de l’aide-ménagère dont l’indemnisation lui avait été précédemment accordée à titre personnel en raison de son handicap, et que ce préjudice économique nouveau, indépendant de l’évolution de l’état séquellaire de la victime, n’avait pas été pris en compte par le jugement, (...) »
La Cour de cassation a ainsi en 2004, avant la loi de 2005, tenu compte de la situation de la victime et plus précisément de l’évolution de sa situation (modification environnementales ou contextuelles) pour la traduire en nouveaux préjudices, désormais indemnisables en dehors de toutes modifications de sa situation médicale : il s’agit bien alors d’une aggravation situationnelle.
Récemment [1], la Cour de cassation a rappelé qu’une aggravation situationnelle (évolution du préjudice) était toujours possible et ce, même si le dommage n’avait pas évolué depuis, mais qu’il fallait en rapporter la preuve [2] (assistance d’une tierce personne professionnelle au lieu et place de l’assistance par tierce personne familiale alors que le premier rapport ne mentionnait pas l’aide familiale initiale).
« Après avoir énoncé à bon droit qu’une nouvelle demande d’indemnisation n’est recevable, sans heurter l’autorité de la chose jugée, que si elle concerne soit un préjudice nouveau, distinct du préjudice indemnisé de façon irrévocable par un jugement ou une transaction, soit une aggravation du préjudice (…) alors que la circonstance que la victime soit atteinte d’une incapacité permanente de 95% n’exclut pas la possibilité d’une aggravation de son dommage ; qu’en écartant la demande de réparation du préjudice complémentaire lié à un changement matériel dans les conditions d’existence de M. G… W…, tout en indemnisant les aménagements intérieurs du logement familial liés à la nécessité d’adapter celui-ci à la présence d’une tierce personne professionnelle, consistant en l’aménagement d’une chambre déjà existante, d’une salle d’eau et de toilettes individuelles, la mise en place d’un rail pour lève-personne et de protections d’angle en PVC, ce dont il résultait que le préjudice lié à la nécessité de substituer par une tierce personne professionnelle l’aide humaine familiale jusqu’alors assurée auprès de M. G… W… par Mme Q… W…, sa mère, constituait un préjudice inconnu au moment de la demande initiale et sur lequel le jugement du 30 mai 1996 n’avait pas statué, la cour d’appel, qui n’a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qui s’en évinçaient, a violé l’article 480 du code de procédure civile et l’article 1382 devenu 1240 du code civil ; »
La notion d’aggravation situationnelle est toujours en évolution constante et participe à la nouvelle définition du handicap.
Les praticiens du dommage corporel ont intérêt à développer la situation particulière de la victime qu’ils assistent dans le but d’indemniser tout le handicap, c’est à dire les séquelles mais aussi, la situation environnementale particulière de la victime conformément aux vœux du législateur de 2005 et de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé).