De la requalification d’un contrat commercial en contrat de travail.

Par Frédérique Meslay-Caloni.

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Explorer : # requalification de contrat # lien de subordination # travail dissimulé # indépendance professionnelle

En ce contexte de crise, la tentation d’introduire une demande en requalification d’un contrat commercial en contrat de travail, est à son apogée.

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Il est vrai que si une telle action prospère, elle peut ouvrir droit à des rappels de salaire, de congés payés et, en cas de rupture de la relation, aux indemnités de licenciement, préavis, congés payés, ainsi qu’à des dommages et intérêts pour licenciement injustifié.

Certains demandeurs n’hésitent pas également à mettre en avant les risques au pénal, de travail dissimulé, prêt de main-d’œuvre illicite ou délit de marchandage qui se traduisent, le plus souvent, par une demande supplémentaire d’indemnité de six mois de salaire pour travail dissimulé devant le Conseil de prud’hommes.

L’on sait qu’un contrat peut parfois en cacher un autre et le statut des auto-entrepreneurs est d’ailleurs dans la ligne de mire du gouvernement, précisément parce qu’il recèlerait des situations de salariat déguisé. Cette même problématique affecte un certain nombre de relations de travail, notamment avec des travailleurs indépendants, dans le cadre de contrats de prestations de service, d’entreprise, de consultant, distribution, franchise, agence commerciale, courtage, commissionnaire, mandataire, locataire-gérant, loueur d’ouvrage, etc…

N’est cependant pas salarié qui veut et l’obtention d’un contrat de travail est loin d’être chose acquise. Encore faut-il que ce statut de salarié revendiqué, corresponde à une réalité et ne soit pas invoqué uniquement en riposte à une rupture des relations.
Pour forger sa conviction, le juge va procéder par faisceaux d’indices.

Le demandeur inscrit ou immatriculé à l’un des registres énumérés à l’article L 8221-6. I du Code du travail ne bénéficiera ainsi pas d’office de la présomption de non salariat prévue à cet article, d’autant que le point II ajoute que « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci  ».

Le juge va aller au-delà de la dénomination que les parties ont voulu donner au contrat ou des formes qu’elles auraient entendu exclure et va se livrer à un examen minutieux des conditions de fait dans lesquelles a été exercée l’activité en cause [1].
Le critère essentiel de requalification est l’existence d’un lien de subordination permanent, impliquant un travail sous l’autorité et le contrôle d’un cocontractant à même de sanctionner tout manquement éventuel.

L’exercice est plus difficile qu’il n’y paraît.

Les indices les plus fréquemment invoqués à l’appui d’une demande en requalification : la longue durée des relations, l’absence d’autonomie dans l’exercice des missions, l’exigence de comptes rendus trop réguliers, l’imposition d’horaires de travail, l’absence de liberté dans l’organisation du travail, l’absence de savoir-faire distinct de celui des salariés du cocontractant, des modes de rémunération traduisant un prêt de main-d’œuvre, l’intégration aux équipes du cocontractant à travers des organigrammes, la mise à disposition de moyens matériels, d’un bureau, d’une carte de visite, de papiers à entête, d’une ligne téléphonique, d’une adresse électronique, la validation des congés.

Cependant, un indice pouvant traduire un manque d’indépendance et alimenter ainsi l’existence d’un lien de subordination dans une affaire, ne sera pas nécessairement, dans une autre, un indice de requalification.

Ainsi, par exemple, dans les contrats de prestations de service, une confusion est-elle régulièrement entretenue entre les ordres au sens du droit du travail et les communications adressées par le client au prestataire sur ses besoins ou contraintes (cahier des charges), lesquelles sont indispensables à la bonne exécution des prestations commandées. Si le prestataire doit apporter au client son savoir-faire en toute autonomie, ce dernier est légitiment en droit de maîtriser les paramètres de sa commande (délais, prix, résultat attendu...) et de s’exprimer sur ces sujets sans que cela ne constitue pour autant une immixtion anormale [2].

De même, la réalisation d’un travail dans le cadre d’horaires n’est pas nécessairement, à elle seule, l’illustration d’un lien de subordination, mais répond bien souvent à des soucis d’organisation ou de sécurité.

Dans le même ordre d’idées, si l’inscription du nom du travailleur indépendant ou d’un de ses salariés dans les organigrammes ou cartes de visite, papier à entête ou plannings de son cocontractant, ou plus généralement son intégration à un service est souvent qualifiée d’indice, elle peut ne correspondre qu’à une logique organisationnelle et ne pas traduire, à elle seule, l’existence d’un lien de subordination [3] .

L’envoi de comptes rendus par le travailleur indépendant ou sa présence à des réunions n’est pas non plus nécessairement le reflet d’un contrôle et peut au contraire s’inscrire dans le cadre de l’obligation d’informer et de coopérer essentielle aux mandats et contrats d’intérêt commun (agent commercial, distribution, franchise etc.) ainsi qu’aux contrats de prestations de service dans le cadre desquels le client doit être informé des conditions d’avancement des prestations.
Tout dépend en réalité de la forme, de la périodicité, du contenu et de l’indépendance dans la réalisation du travail [4].

Quant à la clause d’exclusivité par laquelle une personne physique ou morale s’engage à ne pas travailler avec d’autres sociétés que son cocontractant, elle n’anéantit pas à elle seule la possibilité pour cette dernière de travailler de manière autonome en apportant son savoir-faire. Il en va de même pour celle qui, bien que non liée par une telle clause, ne concentre ses activités que sur un client.

L’appréciation de l’existence ou non d’une relation salariale est ainsi particulièrement complexe [5], [6].

Il est donc fondamental, avant se lancer dans une relation, de bien en déterminer le mode de fonctionnement, les besoins, exigences et contraintes et de fixer ensuite le cadre contractuel juridique approprié afin qu’il soit en adéquation avec le projet envisagé. Il reste ensuite à surveiller de près les conditions réelles et factuelles d’exécution du contrat.

Frédérique Meslay-Caloni

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-26325 ; CA Paris, 31 janvier 2013, n° 11/04541 ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548 ; CA Paris, 6 mars 2014, n° 13/08784.

[2CA Paris 30 janvier 2014, n° 13/05587 ; 19 mars 2014, n° 11/00949

[3Cass. soc., 18 janvier 2012, n° 10-26325 ; CA Paris, 31 janvier 2013, n°11-04541 ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548 ; CA Paris 30 janvier 2014, n° 13/05587 et 6 mars 2014, n° 13/08784 ; CA Bordeaux, 18 février 2014, n° 13/01919.

[4Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548 ; Cass. soc., 12 avril 2012, n° 10-27075 et 10-27076

[5cf. notamment Cass. soc., 12 avril 2012, n° 10-27075 et 10-27076 ; Cass. soc., 13 février 2013, n° 11-26548.

[6A noter que les gérants de succursale au sens de l’article L 7321-2 du code du travail bénéficient de l’application automatique des dispositions du code du travail leurs relations en contrat de travail, dès que lors que les conditions sans avoir à démontrer l’existence d’un lien de subordination (les distributeurs et tout particulièrement les franchisés peuvent être qualifiés de gérant de succursale si les conditions de l’article L 7321-2 précité sont réunies)

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Discussions en cours :

  • Bonjour,

    Je suis également intéressée par la question de la prescription s’agissant d’une telle action en requalification.
    Doit-on appliquer le délai de deux ans applicable à l’exécution et la rupture du contrat de travail lorsque l’on demande la reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail ?
    Merci d’avance

    • par Daniel , Le 11 août 2020 à 16:56

      Bonjour, avez vous donné une réponse pour le délais de prescription de deux ans ?
      Merci, Daniel.

  • par Daniel , Le 4 novembre 2019 à 16:02

    Cet article m a permis d y voir plus clair.
    Je vous remercie, Daniel.

  • par Louise.R , Le 28 août 2017 à 23:12

    Bonjour,

    Je voudrais savoir si la requalification en contrat de travail est possible lorsque le prestataire se trouve être le gérant d’une SARL ? Sachant que l’entreprise cliente louer ses services à temps plein (35h/ semaine), qu’elle le rémunérait sous forme d’honoraires, qu’il était intégré au sein de l’équipe de l’entreprise cliente et qu’il a repris les tâches d’un ancien salarié.

    En vous remerciant d’avance pour vos réponse.

  • Dernière réponse : 26 février 2017 à 15:55
    par doray , Le 21 décembre 2015 à 10:23

    Bonjour, je souhaiterai savoir où les jurisprudences de la note de bas de page n°2 ont été trouvé.

    En effet, l’arrêt de la CA, Paris ; 30 janvier 2014, n°13/055587 est introuvable, et la suivante correspond à un arrêt de la Cour d’Appel de Bastia ?

    En vous remerciant d’avance

    • par Dubois , Le 2 septembre 2016 à 14:13

      Je pense que cet article est uniquement destiné à décourager tout prestataire à engager des poursuites envers sont "employeur". Je vous invite à consulter un avocat avec un vrai rendez-vous, qui saura vous répondre clairement selon votre cas personnel.Si ce message est modéré, cela prouvera mes dires, si il est publié, il redonnera un peu de lumière aux centaines, peut être même millier d’entrepreneur indépendant, pas si indépendant que cela.

    • par Alain , Le 26 février 2017 à 15:55

      Je tiens à souligner qu’un travailleur indépendant sait qu’il est indépendant... Par conséquent, s’il est sollicité par son mandant pour des taches auxquelles il n’est pas soumis, il est en mesure de ne pas s’y soumettre, à moins qu’il ne préfère s’y soumettre dans l’espoir de pouvoir un jour se retourner contre son mandant à ce titre, ce qui ne me semble pas très honorable, d’autant que bien souvent, les demandes faites par le mandant ne visent qu’à améliorer la productivité du mandataire (Agent commercial) et par conséquent son revenu... C’est une relation "gagnant gagnant" que les mandataires oublient vites dès lors qu’il y a quelques milliers d’euros à encaisser au détriment de son mandataire qui bien souvent a mis toute sa confiance et sa trésorerie au profit de l’agent commercial. J’en ai vécu la triste expérience...
      Beaucoup de mandataires jouent le jeu mais il suffit d’une "brebis galeuse" pour remettre en question ce mode ce coopération et nuire à l’ensemble des collaborateurs agent commerciaux qui pourraient tirer profit de ce mode de collaboration.

      Lorsqu’on est agent commercial, on est indépendant et à ce titre, on est en mesure ne ne rien se faire imposer !!! Si c’est le cas, on change de mandant !

  • par Me Agnès PANNIER , Le 6 juin 2016 à 19:30

    Mon Cher Confrère,

    J’ai lu cette chronique avec intérêt.
    Sauriez-vous quel est le délai de prescription applicable à une action de ce type. Je pense plus particulièrement à une action visant la requalification d’un contrat de location gérance en contrat de travail..
    Merci d’avance ;

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