I. Quels salariés vulnérables sont concernés par la reprise d’activité ?
Depuis le 27 septembre 2021, les salariés vulnérables ne peuvent être placés en activité partielle que dans trois cas précis [1] :
S’ils (i) justifient d’un critère de vulnérabilité à la Covid-19 visé par le décret n° 2021-1162 du 8 septembre dernier (ex : antécédents cardiovasculaires, diabète non équilibré ou avec complications, etc.), (ii) sont affectés à un poste de travail pour lequel la mise en place des mesures de protection renforcées ou le recours total au télétravail n’est pas envisageable, et (iii) susceptible de les exposer à de fortes densités virales ;
S’ils sont atteints d’une immunodépression sévère (cas limitativement énumérés) ;
S’ils justifient d’un critère de vulnérabilité susvisé et d’une contre-indication à la vaccination par la présentation d’un certificat médical, sous réserve de ne pas pouvoir recourir totalement au télétravail.
Si l’employeur estime que le placement en activité partielle n’est pas justifié, il saisit le médecin du travail. Celui-ci, en recourant au besoin à l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail, vérifie si le salarié est exposé à de fortes densités virales dans l’exécution de son poste et s’assure du respect par l’employeur des mesures de protection renforcées dans l’entreprise. Dans l’attente de l’avis médical, le salarié est placé en activité partielle.
Hormis ces trois situations limitatives, la reprise d’activité des collaborateurs vulnérables s’impose.
II. La reprise d’activité du collaborateur vulnérable ne pouvant être placé en activité partielle s’envisage-t-elle nécessairement en présentiel ?
Les recommandations gouvernementales, du Haut Conseil de la Santé Publique et le décret du 8 septembre 2021 n’imposent pas le retour du salarié vulnérable qui ne peut être placé en activité partielle, en présentiel.
La reprise d’activité est donc envisageable en télétravail ou en présentiel.
Si le recours au télétravail est possible, il peut être privilégié. Toutefois, lorsque le poste est télétravaillable, pour pallier le risque lié à l’isolement des salariés et conserver un lien avec les autres collaborateurs présents en entreprise, il est possible d’opter pour un retour partiel voire intégral en présentiel.
Ceci vaut pour le salarié vulnérable, vacciné ou non (hors secteurs d’activité où la vaccination ou la présentation du passe sanitaire est obligatoire).
III. Quelles mesures faut-il adopter ?
Afin de permettre la reprise d’activité en présentiel des salariés vulnérables, l’employeur est tenu, a minima, de mettre en œuvre les mesures de protection renforcées suivantes [2] :
Isolement du poste de travail occupé : mise à disposition d’un bureau individuel ou aménagement de celui-ci pour limiter le risque d’exposition en adaptant les horaires de travail ou en ayant recours à des protections matérielles (écran de protection par exemple) ;
Respect des gestes barrières renforcés sur le lieu de travail et en tout lieu fréquenté par les salariés vulnérables : hygiène des mains renforcée, port systématique d’un masque de type chirurgical lorsque la distanciation physique ne peut être respectée ou en milieu clos, avec changement de ce masque au moins toutes les 4 heures et avant ce délai s’il est mouillé ou humide.
Les gestes barrières peuvent faire l’objet d’un affichage (le gouvernement met à disposition des affichages types en ce sens [3]).
Absence ou limitation du partage du poste de travail occupé par le salarié vulnérable ;
Nettoyage et désinfection du poste de travail et des surfaces contact (au moins en début et fin de poste)
L’employeur doit a minima mettre à disposition les produits d’hygiène pour que le salarié nettoie son poste de travail, voire recourir à un prestataire en charge de cette mission.
Dans la mesure du possible, adaptation des horaires d’arrivée et de départ et des éventuels déplacements professionnels compte tenu des moyens de transport utilisés par le salarié vulnérable pour éviter les heures d’affluence ;
Mise à disposition par l’employeur de masques de type chirurgical en nombre suffisant pour les trajets domicile-lieu de travail lorsque les transports collectifs sont utilisés.
Ces mesures s’ajoutent aux mesures de prévention générales et à celles liées au risque Covid-19 [4].
Ce socle minimum peut être complété.
Une prise de contact par téléphone avec le salarié nous semble indispensable avant sa réintégration.
S’il était placé en activité partielle sans interruption avant son retour, bien qu’il ne s’agisse pas d’un cas prévu par le Code du travail, il peut être intéressant de solliciter une visite de reprise (à la demande de l’employeur), afin d’organiser sa reprise d’activité, en collaboration avec le médecin du travail. Les services de santé au travail peuvent alors proposer à l’employeur des mesures pratiques de prévention adaptées et complémentaires au socle minimum.
Une revue des fiches de postes peut être opportune, par exemple si parmi ses missions, le salarié se retrouve ponctuellement en contact avec le public – en concertation avec le salarié et sous réserve de ne pas vider le poste de sa substance.
IV. Que faire face au refus d’un salarié vulnérable de reprendre son activité en présentiel ?
A. Salariés non soumis à l’obligation vaccinale ni au passe sanitaire.
1. Si le recours au télétravail est possible.
Il ne s’impose pas à l’employeur sous réserve d’une exécution de bonne foi du contrat. Ainsi, le salarié doit pouvoir en bénéficier dans les mêmes conditions que les autres salariés. D’un point de vue managérial, si le salarié appréhende son retour en présentiel, il est recommandé d’échanger avec lui pour organiser par exemple son retour progressif en présentiel dans l’entreprise, selon un planning arrêté d’un commun accord.
2. A contrario, lorsque le poste n’est pas télétravaillable.
Le salarié n’a d’autre choix que de reprendre son poste en présentiel.
L’employeur peut faire face à plusieurs situations :
Le salarié ne se présente pas à son poste et justifie son absence : Si son justificatif d’absence est valable (ex : arrêt de travail pour maladie simple), aucune sanction n’est envisageable. En cas de doute sur la véracité de l’arrêt de travail, l’employeur peut diligenter un contrôle médical, en organisant une contre visite.
Le salarié ne se présente pas à son poste et ne justifie pas son absence :
Solution 1 : une modification du contrat de travail peut être proposée au salarié. On pense notamment à un changement de poste, accepté par le salarié. Un avenant au contrat de travail sera alors rédigé.
Solution 2 : Après quelques jours d’absence, il est impératif de mettre en demeure le salarié de reprendre son poste. Si cette mise en demeure est infructueuse, et qu’aucun justificatif d’absence n’a été transmis à l’employeur, une seconde mise en demeure peut être opportune avant d’engager une procédure de licenciement pour absence injustifiée.
B. Salariés soumis à l’obligation vaccinale ou au passe sanitaire.
Au même titre que pour les autres salariés, l’employeur est tenu de contrôler le respect du passe sanitaire de ses collaborateurs vulnérables, « lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l’exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue » (en pratique, les établissements où il est demandé aux usagers de présenter le passe sanitaire – hors lieux non accessibles au public, horaires d’ouverture du public, livraisons et interventions d’urgence), ou de l’obligation vaccinale, dans les conditions prévues par la loi, pour l’heure, jusqu’au 15 novembre prochain [5].
1. Si le salarié ne présente pas à l’employeur de passe sanitaire lors de sa reprise.
3 solutions semblent pouvoir être envisagées.
Solution 1 : D’un commun accord, il peut être placé en congés payés ou en jours de repos conventionnels.
Solution 2 : L’employeur notifie la suspension du contrat de travail, sans versement de rémunération, jusqu’à la présentation d’un justificatif valable.
Si cette situation se prolonge au-delà de 3 jours normalement travaillés, l’employeur convoque le salarié vulnérable à un entretien pour examiner les moyens de régulariser sa situation et notamment les possibilités de reclassement au sein de l’entreprise sur un poste non soumis à cette obligation.
Solution 3 : La rupture du contrat de travail ne peut pas être envisagée sur le fondement du défaut de présentation du passe sanitaire. En cas de contentieux, les Juges risquent de considérer que cela relève de la vie privée du salarié, qui est libre de décider s’il souhaite se faire vacciner ou tester.
Après une période importante de suspension du contrat de travail permettant au salarié de régulariser sa situation, il pourrait être envisagé une rupture du contrat de travail pour trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise. En effet, dans certains cas, un fait tiré de la vie personnelle du salarié peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement en raison des répercussions qu’il a sur l’entreprise.
Le trouble objectif caractérisé s’analyse selon les critères suivants : (i) au regard du comportement et des fonctions du salarié et, (ii) de la finalité propre de l’entreprise et de la nature du trouble s’étant produit en son sein. Ces critères devront être réunis pour envisager un licenciement, rappelons-le, non disciplinaire et non privatifs des indemnités de rupture.
2. Si le salarié ne présente pas à l’employeur de justification de vaccination lors de sa reprise.
Solution 1 : D’un commun accord, le salarié peut être placé en congés payés ou en jours de repos conventionnels.
Solution 2 : Le contrat de travail est suspendu sans rémunération, jusqu’à la présentation du justificatif de vaccination. L’employeur doit informer sans délai des conséquences de l’interdiction d’exercer son emploi et des moyens de régulariser la situation.
La suspension du contrat n’est pas assimilée à du temps de travail effectif pour la détermination des congés payés et de l’ancienneté. Toutefois, les garanties de protection sociale complémentaire sont maintenues obligatoirement.
Solution 3 : La question du licenciement est différente dans cette hypothèse dans la mesure où la vaccination résulte d’une obligation légale pour pouvoir exercer une activité professionnelle. A notre sens, il serait possible d’envisager un licenciement pour cause réelle et sérieuse, bien que celui-ci ne soit pas sans risque en cas de contentieux.
La situation individuelle de chaque salarié étant différente et le sujet étant particulièrement délicat, les conseils d’un avocat s’avèrent fort utiles face au refus d’un salarié vulnérable de reprendre son poste, qu’il soit soumis ou non à l’obligation vaccinale ou à l’obligation de présenter un passe sanitaire. Les employeurs doivent faire preuve d’une grande prudence quant à l’engagement de procédures de licenciement à l’encontre de salariés vulnérables.
V. A quels risques s’expose l’employeur lors de la reprise d’activité en présentiel d’un salarié vulnérable ?
Les risques auxquels est exposé l’employeur en cas de retour en présentiel d’un salarié vulnérable peuvent être les suivants.
A. Saisine du médecin du travail par le salarié.
Si le salarié vulnérable affecté à un poste susceptible de l’exposer à de fortes densités virales considère que l’employeur n’a pas mis en place les mesures de protection renforcées, il peut saisir le médecin du travail qui se prononce, en recourant le cas échéant à l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail, sur la possibilité de poursuite ou de reprise du travail en présentiel [6].
Le salarié est placé en position d’activité partielle dans l’attente de l’avis du médecin du travail.
Ainsi, selon les mesures mises en place par l’employeur, le salarié pourrait être, pendant un temps relativement long, placé en activité partielle : la reprise ne serait donc pas immédiate, sauf à pouvoir recourir au télétravail.
B. Droit de retrait du salarié.
Au titre du droit de retrait, le salarié vulnérable peut alerter l’employeur de « toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » et se retirer de son poste de travail [7]. Il en irait ainsi, s’il considérait que les mesures prises par l’employeur étaient insuffisantes.
Le Gouvernement avait indiqué que sous réserve de l’appréciation souveraine des juges du fond, dans la mesure où l’employeur a mis en œuvre les dispositions prévues par le Code du travail et les recommandations nationales prévues dans le protocole sanitaire visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel, le droit individuel de retrait ne peut en principe pas trouver à s’exercer. A cela s’ajoutent les mesures de protection renforcées relatives aux salariés vulnérables.
L’employeur qui n’a pas satisfait à ces obligations pourra difficilement invoquer un abus dans l’exercice du droit de retrait et devra les respecter avant d’envisager la reprise du salarié. Il devra, au moins temporairement, suspendre son contrat de travail avec maintien de rémunération, à défaut de pouvoir recourir au télétravail.
Dans le cas contraire et selon les circonstances de fait, la période non travaillée par le salarié pourra faire l’objet d’une retenue de rémunération.
Pour mémoire, les membres du CSE sont également compétents pour alerter l’employeur en cas de danger grave et imminent.
C. Contrôle de l’Inspection du travail.
L’entreprise peut faire l’objet d’un contrôle par l’Inspection du travail, chargée de s’assurer notamment de la mise en œuvre du protocole sanitaire.
Dans ce cadre, l’Inspection du travail pourrait émettre des observations sur le respect par l’employeur des mesures de protection renforcées susvisées et mettre en demeure l’entreprise de les respecter.
D. Sécurité sociale : AT/MP et faute inexcusable.
Dans le cadre de son obligation générale de sécurité, l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses collaborateurs, mettre en place les principes généraux de prévention et évaluer les risques professionnels [8]. Il incombe à l’employeur de réduire voire supprimer l’exposition aux risques résultant de la Covid-19.
Attention : la signature d’une décharge de responsabilité en cas de contamination à la Covid-19 nous parait à proscrire, compte tenu des dispositions d’ordre public qui protègent la santé-sécurité des salariés. Ce document ne permettrait pas à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité à l’égard du salarié vulnérable.
Il s’agit en pratique d’une obligation de moyens renforcée. En l’occurrence, l’employeur devra au moins justifier de la mise en place effective des mesures de protection renforcées. A cela s’ajoute la mise à jour du Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels, pour lequel rappelons le, de nouvelles dispositions ont été prévues par la loi pour renforcer la prévention en santé au travail du 5 août 2021.
Si le salarié contracte la Covid-19 et subit des complications médicales dans le cadre de sa reprise d’activité, il pourrait tenter d’obtenir la reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (selon les circonstances de fait). Sur ce point, nous vous redirigeons vers l’article suivant : Quelles conséquences juridiques pour les employeurs d’une contamination de leurs salariés par la Covid-19 ?. A cela s’ajoute le risque d’action en reconnaissance d’une faute inexcusable.
E. Risque prud’homal
Le salarié pourrait saisir le Conseil de prud’hommes aux fins de condamnation de l’employeur à lui verser des dommages et intérêts en raison du manquement à son obligation de sécurité, le cas échéant. Il pourrait également prendre acte de la rupture de son contrat aux torts exclusifs de l’employeur ou solliciter devant le Conseil des Prud’hommes la résiliation judiciaire de son contrat.
F. Risque pénal
S’agissant du risque pénal, on pense notamment au délit de mise en danger d’autrui, puni d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende en dehors de tout fait dommageable [9]. Encore faut-il que l’employeur maintienne un salarié vulnérable en activité malgré une décision médicale contraire ou dans l’attente de l’avis du médecin du travail sur l’éligibilité du salarié à l’activité partielle ou le respect par l’employeur des mesures de protection renforcées.
Attention également au risque pénal pour les salariés travaillant sans passe sanitaire ou justificatif de vaccination.
En synthèse.
Au regard de l’ensemble des risques pouvant survenir, le respect des mesures générales et renforcées de protection est un préalable obligatoire.
Un échange régulier avec le collaborateur vulnérable nous parait être opportun : le salarié fait part à l’entreprise de ses craintes et ses souhaits, qui en tient compte dans la mesure du possible pour aménager le poste et organiser sa reprise.