La CEDH condamne la Russie pour avoir interdit à un opposant politique de se présenter à une élection.

Par Samir Lassoued, Avocat.

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Explorer : # droits de l'homme # liberté de manifester # élections libres # opposition politique

Le 3 septembre 1953 marque l’anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l’Homme. C’est également un 3 septembre 2024 que la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu son arrêt dans l’affaire Shlosberg contre Russie.
Cette décision de la chambre est l’occasion pour la Cour de Strasbourg de préciser à nouveau l’importance de la liberté de manifester, ainsi que celle de concourir librement à une élection. Cet article rappelle que l’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe ne prive pas la décision de la CEDH de son caractère exécutoire.

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Lev Markovich Shlosberg participait à une manifestation en soutien à Alexei Navalny et encourageait chacun à se joindre à la cause de la Fondation Anti-Corruption. Inconséquent choix de sa part, puisqu’il sera condamné à une amende administrative pour avoir participé à ce rassemblement interdit, qualifié « d’extrémiste ».

Quelques mois plus tard, ce requérant présentait sa candidature pour se présenter à la Douma, le Parlement russe. Sa candidature a été validée par la commission électorale de la circonscription, mais annulée à la suite d’un recours d’un autre candidat qui ne semblait pas étouffé par l’idéal de liberté.

La cour de Moscou releva donc l’implication de Lev Markovich Shlosberg dans un mouvement extrémiste (comprenez avoir manifesté contre la corruption) et le déclara inéligible pour les élections de la Douma de 2021.

Après avoir épuisé « les voies de recours » russes, le requérant a donc formé une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme [Affaire Shlosberg c. Russie.]] .

La participation à une manifestation, même supposée extrémiste, ne suffit pas à justifier une ingérence dans le droit à des élections libres.

Pour retenir qu’il avait abusé du droit de manifester et que ce rassemblement était extrémiste, la Cour suprême de Russie proposait une méthodologie absconse.

La Cour suprême estima que :

« dans cette optique, le degré suffisant de précision du cadre conceptuel relatif à l’extrémisme dans la législation permettait au citoyen, dans une approche raisonnable et consciencieuse, de comprendre la nature de l’organisation dans laquelle il pourrait être impliqué et ainsi d’éviter tout lien avec elle, y compris avant que celle-ci ne fût reconnue extrémiste ».

Pour justifier sa décision, la cour de la ville de Moscou invoquait en effet l’arrêt de la Cour constitutionnelle de Russie du 10 octobre 2013 qui soulignait que :
« la démocratie, pour être stable, nécessitait des mécanismes juridiques capables de la protéger contre les abus et la criminalisation du pouvoir public, dont la légitimité reposait en grande partie sur la confiance de la société » et poursuivait : « l’équilibre entre les intérêts publics et privés exigeait la mise en place d’obstacles stricts sur le chemin menant au pouvoir ceux qui ne respectaient pas la loi ».

Cette motivation n’a pas non plus emporté l’adhésion du Président andorran ni des autres juges qui composaient la chambre.

La CEDH a donc retenu que le motif était tout simplement arbitraire.

La CEDH a fait le choix d’une réponse laconique en rappelant que :

« la liberté de participer à une réunion pacifique est un droit fondamental garanti par l’article 11 de la Convention ».

Cependant, c’est bien au visa de l’article 3 du protocole n°1 à la Convention que la Cour a entendu lier sa décision.

Selon l’article 3 du protocole :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans des conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif ».

La jurisprudence a pu préciser le sens de cet article en y incluant le droit de voter et d’être éligible aux élections [1].

Cette décision concerne naturellement la Fédération de Russie, mais elle est aussi un rappel à l’ensemble des membres du Conseil de l’Europe. On peut ici observer une indissociable liaison des libertés entre elles. La liberté de manifester ne saurait être mobilisée pour priver un citoyen de ses autres droits civiques.

En France, comme dans de nombreux États membres du Conseil, il est envisageable en droit positif d’inclure soit de façon automatique, soit de façon non obligatoire, une peine d’inéligibilité au terme d’une procédure.

L’exclusion de la Fédération de Russie du Conseil de l’Europe ne prive pas la décision de son caractère exécutoire.

Dans cette procédure contre un opposant politique, la Fédération de Russie n’a pas souhaité répondre aux allégations qui étaient présentées. Cela n’a pas empêché la Cour de se prononcer sur cette question de libertés publiques datant de 2021, c’est-à-dire avant l’exclusion du Conseil de l’Europe le 16 septembre 2022.

On notera en particulier la volonté de la Cour d’anticiper les arguments qu’aurait pu soulever le représentant de la Russie à travers l’énoncé précis des décisions russes.

Cette décision est loin d’être la dernière, dès lors qu’environ 12 000 requêtes concernant la Russie étaient toujours pendantes devant la Cour en 2023. Cela représente environ 18 % des requêtes en attente d’examen par Strasbourg [2].

Quelque 2 129 arrêts et décisions condamnant la Russie sont toujours en attente d’exécution. Même si l’État russe a quitté le Conseil de l’Europe, il demeure légalement lié à l’exécution de ces décisions de justice au regard du droit conventionnel.

En l’espèce, la CEDH doit surveiller l’exécution de sa décision, à savoir l’obligation d’indemniser Lev Markovich Shlosberg à hauteur de 5 000 euros de dommage moral et 7 500 euros de frais et dépens. Si la Cour a pu rendre un peu d’honneur à ce requérant Russe, il est plus que permis de douter de l’effectivité de ce contrôle juridictionnel.

Samir Lassoued,
Avocat au Barreau du Val d’Oise,
Premier secrétaire de la conférence.

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Notes de l'article:

[1Ždanoka c. Lettonie 2006 ; Melnitchenko c. Ukraine, 2004.

[2Rapport annuel de la CEDH 2023.

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