La menace à l’ordre public ne prive pas l’étranger d’un examen de l’atteinte à sa vie privée et familiale.

Par Samir Lassoued, Avocat.

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Explorer : # expulsion # ordre public # vie privée et familiale # droit des étrangers

Le Conseil d’État, dans une décision du 20 février 2025 (n° 498964), s’est prononcé sur une demande de suspension d’un arrêté d’expulsion et de retrait de titre pris à l’encontre d’un ressortissant tunisien, titulaire d’un titre de séjour depuis 2015 et présent sur le territoire national depuis 2011.

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Un ressortissant tunisien s’est vu délivrer un arrêté d’expulsion par le préfet de l’Allier le 1ᵉʳ août 2024, sur le fondement de l’article L. 631-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Selon ce fondement textuel : « L’autorité administrative peut décider d’expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l’ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3 ».

Pour motiver sa décision, et en particulier l’existence d’une menace grave pour l’ordre public, l’administration s’appuyait sur trois condamnations pour violences conjugales et une condamnation pour consommation de stupéfiants au volant.

Saisi d’un référé-suspension, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté la demande de suspension de la mesure d’éloignement par une ordonnance du 16 octobre 2024. Le requérant a alors formé un pourvoi devant le Conseil d’État, lequel a annulé ladite ordonnance.

I. La dénaturation des faits par le juge des référés.

Le Conseil d’État fait grief au tribunal administratif de ne pas avoir exercé un examen sérieux des pièces du dossier. En effet, il reproche au juge des référés d’avoir « dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumises ».

Il semble que le juge de première instance n’ait pas pris en compte les éléments de personnalité qui lui étaient communiqués, ne retenant que la menace grave à l’ordre public.

Le requérant est arrivé en 2011 sur le territoire et était séparé de sa femme depuis 2021, tout en continuant de subvenir aux besoins et à l’éducation des trois enfants qu’ils avaient en commun. Autrement dit, non seulement la menace de violences conjugales n’était pas caractérisée pour l’avenir dès lors que le couple était séparé, mais la mesure d’éloignement n’aurait pour effet que de pénaliser les enfants du couple.

Au surplus, le juge des enfants du tribunal de Moulins avait ordonné le placement des enfants de sa première union au domicile du père. Un quatrième enfant est né d’une nouvelle union en 2023. Cet élément n’a pas non plus été pris en compte par le juge des référés.

Le Conseil d’État s’appuie sur l’application stricte de la Convention européenne des droits de l’Homme et, plus particulièrement, de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.
 »

Il aurait tout aussi bien pu s’appuyer sur la Convention de New York garantissant aux enfants le droit de vivre avec leurs parents.

Le Conseil d’État rappelle les conditions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, selon lequel une mesure administrative peut être suspendue si deux critères sont remplis : l’urgence et l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Concernant l’urgence, le Conseil d’État rappelle que l’expulsion d’un étranger constitue en principe une atteinte grave et immédiate à sa situation personnelle. Si le ministre de l’Intérieur invoquait le trouble à l’ordre public, les juges du Palais-Royal considèrent que cela ne suffisait pas à remettre en cause la condition d’urgence.

II. Les exigences entourant l’analyse de la menace grave à l’ordre public.

Une pratique administrative de plus en plus répandue consiste à déduire de la présence de toute condamnation pénale l’existence d’une menace à l’ordre public. Beaucoup de décisions administratives ne poussent pas plus loin l’analyse de la gravité de l’infraction, alors même qu’elle est exigée pour déterminer si la menace est caractérisée.

Un autre critère essentiel de la menace à l’ordre public est son caractère actuel ou non.

De plus en plus, le juge administratif de première instance peut se laisser guider par la facilité du raisonnement de l’administration, qui déduit mécaniquement d’une mention au casier judiciaire ou au traitement des antécédents judiciaires l’existence d’une menace à l’ordre public.

Le véritable juge de la menace à l’ordre public devient ainsi de plus en plus le juge de l’ordre judiciaire, lequel est le seul à pouvoir contrôler les mentions présentes au bulletin n°2, accessible au préfet. Par ailleurs, le magistrat de l’ordre judiciaire exerce également un contrôle sur les accès au traitement des antécédents judiciaires.

Dans cette décision, le Conseil d’État rappelle donc au juge administratif qu’il doit effectuer un contrôle approfondi de la menace à l’ordre public, en particulier à la lumière des éléments familiaux présents dans le dossier. Ce n’est qu’une fois la caractérisation de la menace à l’ordre public effectuée que le juge administratif pourra réaliser un contrôle de proportionnalité.

Aussi, il est recommandé à l’avenir à tout étranger ayant connaissance d’une mention sur son casier judiciaire ou sur son traitement des antécédents judiciaires d’engager une procédure pour en obtenir l’effacement.

Samir Lassoued
Avocat au Barreau du Val d’Oise
Ancien premier secrétaire de la conférence

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