La mise en œuvre de la protection fonctionnelle.

Par Cathy Neubauer, Avocat.

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Explorer : # protection fonctionnelle # fonctionnaires # administration publique # poursuites pénales

La protection fonctionnelle est un outil statutaire qui est mis à la disposition des agents publics, titulaires ou non, de l’État, aux fins de garantir ces derniers des éventuels attaques dont ils pourraient faire l’objet du fait de leur emploi.

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I. Le texte de base

La protection fonctionnelle actuelle a été mise en place par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui prévoit dans son article 11 que :
« Les fonctionnaires bénéficient, à l’occasion de leurs fonctions, d’une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales.
Lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui.
La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté.
La collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle.
La collectivité publique est subrogée aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées au fonctionnaire intéressé. Elle dispose, en outre, aux mêmes fins, d’une action directe qu’elle peut exercer au besoin par voie de constitution de partie civile devant la juridiction pénale. Les dispositions du présent article sont applicables aux agents publics non titulaires. »

II. La mise en œuvre de cette protection

A. Les conditions de la mise en œuvre

A partir du moment où les conditions posées à l’article 11 de la loi sont remplies, et sous réserve bien sûr qu’il s’agit bien d’une procédure concernant le service et non un souci privé ou une faute détachable du service, la protection fonctionnelle trouve à s’appliquer.

Le Conseil d’État estime qu’il suffit à l’agent de formaliser une demande de protection fonctionnelle auprès de son administration pour que cette dernière soit amenée à la lui accorder, sauf pour l’administration à la lui refuser pour des motifs d’intérêt général (Conseil d’État 15 février 1975 Delande, n 78190).

La protection fonctionnelle se fait sur demande des fonctionnaires victimes ou poursuivis.
En effet, la protection fonctionnelle est accordée non seulement à la victime d’attaques ou de menace, mais aussi à l’agent poursuivi pour une faute non détachable du service et ceci même si le comportement du fonctionnaire poursuivi n’est pas forcément irréprochable (Conseil d’État, 28 octobre 1970, Delande, n 78190).

Il est rappelé que l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ne correspond pas à une attaque telle que définie par la loi (ce 26 mai 1975 arrêt Ritter)

Par contre, lorsque les propos tenus à l’encontre du fonctionnaire dépassent le cadre normal, la protection est due (Tribunal administratif de Grenoble, 18 avril 2003 n°0002677).

Enfin, en cas de poursuites pénales l’administration ne peut refuser la protection fonctionnelle qu’en cas de faute personnelle. Mais dès lors que la faute personnelle est écartée, l’administration est tenue d’assurer la protection fonctionnelle en cas de faute de service (Conseil d’État 28 juin 1999 Menage, n°195348).
En effet, une infraction pénale peut être qualifiée de faute de service (Conseil d’État 14 janvier 1935).

Si la loi ne fixe pas de délai pour la mise en œuvre de la protection fonctionnelle, cette demande doit néanmoins, se faire dans des conditions précises et doit notamment être reliée à une attaque ou à des poursuites actuelles ou au moins non prescrites.

Ainsi le Conseil d’État a-t-il pu estimer que l’administration avait pu en toute légalité, refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle à un agent lorsque, au vu de l’ancienneté des faits, de la nature des faits et de l’absence de toute démarche de l’agent au moment desdits faits, plus aucune démarche judiciaire en pouvait être envisagée :
« Considérant que Mme X..., professeur de français au lycée Marcel Y... à Marseille, a découvert en consultant son dossier administratif, en février 1987, qu’il contenait un courrier adressé au proviseur de l’établissement, émanant du président d’une association de parents d’élèves, et transmettant une lettre présentée comme écrite par des parents d’élèves, mettant en cause l’enseignement dispensé par Mme X... en classe de seconde ; que cette dernière n’a pas obtenu du ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, la protection qu’elle lui avait réclamée, en se prévalant des dispositions précitées ;
Considérant que les termes des courriers dont s’agit, adressés à l’autorité hiérarchique, bien que modérés et non injurieux, ne se bornaient pas à mettre en cause la façon que la requérante avait de concevoir sa tâche, et le choix de ses méthodes pédagogiques, mais contenaient, sur ses capacités, son objectivité et sa compétence, voire son assiduité, des appréciations qui, émises en considération de sa personne, représentaient des outrages au sens du texte précité, nonobstant la circonstance qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une diffusion publique ; que toutefois, à la date du 4 janvier 1990 à laquelle Mme X... a réclamé la protection dont s’agit, aucune démarche de l’administration en ce sens, adaptée à la nature et à l’importance des outrages susmentionnés, n’était plus envisageable ; que, par suite, et même si aucune disposition législative ou réglementaire n’impose aux fonctionnaires un délai pour demander la protection prévue par les dispositions susmentionnées, le ministre a pu légalement rejeter la demande de Mme X... ; que cette dernière n’est donc pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande »

(Conseil d’État 21 décembre 1994, Laplace n 140066)

Cette position a été reprise par exemple par une décision du 28 août 2004 n°23143 ; le Conseil d’État va jusqu’à estimer que le refus illégal d’accorder la protection fonctionnelle à un agent engage la responsabilité de l’administration si l’agent subit alors un préjudice (CE, 17 mai 1995, Kalfon, req. n° 141635).

B. La procédure de mise en œuvre

La demande doit se faire par la voie hiérarchique et par écrit.
Elle doit être motivée et précise sur les faits ou les poursuites visées afin que l’administration puisse se prononcer en toute connaissance de cause.
En effet, la matérialité des faits doit être établie par l’agent (Cour administrative d’appel 16 mai 1989 n°89PA00078).

Si cette règle peut sembler simple à appliquer, il convient cependant de s’interroger sur le cas des fonctionnaires en retraite ou ceux détachés ou encore ceux qui sont dans une structure qui ne prévoit pas de protection fonctionnelle ou qui ont définitivement quitté l’administration.

En pareil cas, la collectivité compétente est celle dont dépendait l’agent avant son départ temporaire ou définitif de l’administration (Conseil d’État 5 décembre 2005 n°261948).

Selon la circulaire du 5 mai 2008, la réponse à la demande, doit, dans la mesure du possible être apportée par écrit et surtout doit être motivée.
En effet, dès lors qu’il s’agit d’un acte administratif individuel pouvant faire grief, il doit être motivé et peut donc, à ce titre faire l’objet d’un recours.

Bien entendu en cas de silence de l’administration pendant deux mois, la demande est considérée comme implicitement rejetée. En effet le décret n° 2014-1303 du 23 octobre 2014 relatif aux exceptions à l’application du principe « silence vaut acceptation », pris en application du II de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ne concerne pas les relations entre l’administration et ses agents comme cela est rappelé par la circulaire du 12 mars 2015.

Dès lors que lorsque les conditions de mise en œuvre de la protection fonctionnelle sont remplies, sel un motif tenant de l’intérêt général (Conseil d’État 15 février 1975 Delande, n 78190) ou pour des raisons d’impossibilité de faire les démarches (Conseil d’Etat 21 décembre 1994, Laplace n 140066).

III. La consistance de cette protection

A. Les frais financiers

Toute une série de mesures d’aide et d’assistance peuvent être proposées à l’agent victime.
S’agissant des moyens à mettre en œuvre pour protéger l’agent, l’administration est libre de les déterminer.
Cela peut consister à réaliser des actions de prévention et de soutien destinées à éviter la réalisation d’un dommage pour l’agent ou à éviter toute aggravation du préjudice.
Toujours est-il que le Conseil d’État a estimé que les frais d’avocat sont à prendre en charge mais, dès lors que les textes sont muets sur l’étendue de cette obligation, le Conseil d’État conçoit parfaitement que cette obligation se fasse sur justificatif et sous le contrôle du juge administratif.

« Considérant qu’il ne ressort d’aucun texte ni d’aucun principe que l’administration pourrait limiter a priori le montant des remboursements alloués à l’agent bénéficiaire de la protection fonctionnelle  ; que ce montant est calculé au regard des pièces et des justificatifs produits et de l’utilité des actes ainsi tarifés dans le cadre de la procédure judiciaire  ; que l’administration peut toutefois décider, sous le contrôle du juge, de ne rembourser à son agent qu’une partie seulement des frais engagés lorsque le montant des honoraires réglés apparaît manifestement excessif au regard, notamment, des pratiques tarifaires généralement observées dans la profession, des prestations effectivement accomplies par le conseil pour le compte de son client ou encore de l’absence de complexité particulière du dossier  ; qu’en relevant que la note d’honoraires produite par M. B… ne correspondait qu’à des diligences effectivement accomplies dans le cadre de la procédure pour laquelle celui-ci avait sollicité la protection fonctionnelle de l’administration et que le rectorat de l’académie de Lille n’apportait aucun élément concret laissant supposer que les frais demandés pour la défense du requérant devant le tribunal de grande instance de Dunkerque auraient présenté un caractère excessif, le juge des référés du tribunal administratif de Lille s’est livré à une appréciation souveraine des faits de l’espèce, qui n’est pas entachée de dénaturation  ; qu’il n’a, par suite, pas entaché son ordonnance d’erreur de qualification juridique en estimant que l’obligation dont se prévalait M. B… n’était pas sérieusement contestable »
(Conseil d’État, 19 octobre 2016, n° 401102)

B. Une assistance logistique

Si le fonctionnaire peut se faire défendre par un avocat de son choix, il doit néanmoins tenir l’administration au courant de sa stratégie de défense, afin que cette dernière puisse le cas échéant, veiller à ce que les intérêts de l’agent et de l’administration soient défendus au mieux.

Mais l’assistance, que l’agent soit victime ou mi en cause, ne se limite pas à une avance ou un remboursement des frais d’avocats.
En effet, il appartient également à l’administration d’assurer le soutien psychologique de son agent dans le cadre des attaques dont il a fait l’objet (TA Lyon 19 Mai 1988 Jamet n°9500306).

Par ailleurs il apparaît également de la circulaire du 5 mai 2008 que l’administration doit prendre toute les dispositions nécessaires pour mettre en sécurité l’agent victime d’attaques, ou pour permettre à l’agent mis en cause dans des poursuites pénales de pouvoir se défendre et notamment de se rendre aux diverse convocation des différents acteurs de l’affaire.
Dans ce cas très précis, les éventuels frais de déplacements doivent être pris en charge sur la base des barèmes de remboursement en vigueur dans l’administration.

Bien entendu, et ceci depuis l’arrêt du 12 mars 2010 du Conseil d’État Commune de Hœnheim, récemment complété par un arrêt du Conseil d’État du 20 mai 2016 n°37571 Hôpitaux civils de Colmar, la protection fonctionnelle est également due aux victimes de harcèlement moral, et au besoin l’administration peut disjoindre les contentieux entre protection fonctionnelle, pour l’agent et le contentieux de la responsabilité, dans le cadre de la responsabilité de l’employeur.

Nul doute qu’une jurisprudence abondante va suivre.

Cathy Neubauer
Avocate

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Discussions en cours :

  • La décision d’accorder la protection fonctionnelle doit elle être prise par l’organe délibérant ou (dans le cas d’une mairie), s’agit-il d’une compétence du maire ?

    • par VERGNON henri Pierre Cabinet d’avocats VEDESI LYON , Le 30 juillet 2017 à 12:15

      Il s’agit d’une compétence exclusive de l’exécutif quand il s’agit d’un agent, et d’une compétence de l’organe délibérant quand c’est un élu, a condition qu’il puisse en bénéficier.

      TA Toulon 20/01/2017 Ville de Hyères les palmiers

    • par SOLEIL Véronique , Le 27 novembre 2017 à 21:21

      Bonjour,
      Ma situation est atypique : j’ai demandé une protection fonctionnelle au maire qui est reconnu comme mon harceleur (TA en juin). Donc je demande à mon harceleur, seul (?) décisionnaire de ma protection, qu’il me protège contre ses diffamations, voies de fait, etc.. depuis le jugement ??
      N’est-ce pas illogique ? car dans ce cas-là, n’y a t-il pas prise illégale d’intérêts ?
      Merci

    • par DRH , Le 29 décembre 2017 à 23:18

      Dans un EPCI faut-il une délibération de la Collectivité pour statuer sur une demande de protection fonctionnelle sollicitée par un directeur ?
      Il me semble que le président peut statuer le demandeur n’étant pas un élu.
      Quels sont les textes de référence ?

    • Bonjour,

      Quelle est la sanction (administrative ou judiciaire) dans le cas où un maire engage des frais dans le cadre d’une procédure pénale sur le budget de la commune alors même que le conseil municipal ne l’y a pas autorisé ?

  • Bonjour,

    J’ai été victime de harcèlement moral de la part de mon directeur d’école en 2016/2017. J’ai été changée d’école par l’administration mais j’ai maintenant besoin de porter plainte contre ce directeur ! J’aimerais savoir s’il est toujours possible de demander et bénéficier de cette protection fonctionnelle ?
    je vous remercie par avance pour votre réponse.
    Cordialement

  • par Sedlex , Le 29 mai 2017 à 18:08

    Dans l’article il est indiqué une décision du Conseil d’Etat avec deux dates de lecture : le 15/02/1975 et le 28/10/1970. Quelle est la bonne date et où peut-on la trouver ?

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