Sur la place de la culture juridique dans les nominations au Conseil constitutionnel.

Par Jean Raymond, Médiateur.

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Explorer : # culture juridique # nominations # conseil constitutionnel # compétences juridiques

Si le Conseil constitutionnel peut être regardé comme exerçant des fonctions juridictionnelles, sa composition est-elle conforme à sa jurisprudence au terme de laquelle : « Les connaissances juridiques constituent une condition nécessaire à l’exercice de fonctions judiciaires » ?

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Aux terme de la décision n° 2003-466 DC du 20 février 2003, §12 du Conseil constitutionnel :

« Les connaissances juridiques constituent une condition nécessaire à l’exercice de fonctions judiciaires ».

Que le Conseil exerce une fonction juridictionnelle ne fut pas admis immédiatement et ne le fut qu’au regard des évolutions de ses pratiques.

Comme le note François Luchaire (1965-1974) dans ses Souvenirs : « la loi du 29 octobre 1974 changea la procédure du Conseil en permettant un vrai débat contradictoire entre d’un côté le Gouvernement et sa majorité, et de l’autre côté l’opposition. C’est alors que la mission du Conseil pouvait apparaître plus juridictionnelle qu’elle ne l’était à l’origine » [1].

Il est aujourd’hui admis que l’instauration de la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) a fait pleinement entrer le Conseil dans l’ordre juridictionnel national et européen [2]. Puisque le Conseil doit être regardé comme exerçant des fonctions juridictionnelles (entendues comme un sous-ensemble des fonctions judiciaires), sa composition reflète-t-elle cette nécessité de connaissances juridiques ?

Avec cette note, je ne cherche pas à « passionner le débat ni à faire en quoique ce soit de la politique » [3] ; je me préoccupe seulement du fonctionnement d’une institution, le Conseil constitutionnel au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel [4].

Présentant le statut des membres siégeant, le site du Conseil indique que tous les citoyens jouissant de leurs droits civiques et politiques peuvent faire l’objet d’une nomination ; il est alors précisé : « En pratique, il est fait appel à des personnalités dont la compétence est reconnue, notamment en matière juridique et politique ».
Dans la pratique, qu’en est-il de ladite matière juridique ?

Les critères de nomination.

Par les présidents nommant.

Les textes ne fixent aucune autre condition que celles tenant à la jouissance des droits civiques et politiques et au caractère non renouvelable de la charge (sauf si elle a été exercée moins de trois ans.) Les critères déterminant le choix des membres nommés respectivement par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ne sont pas connus, du moins publiquement, sauf expression personnelle. Ainsi M. Abadi, reçu par le Président de la République qui envisageait de le nommer relate : « Il m’interrogea…, sur ma culture et mon expérience juridiques et sur mon cursus professionnel »  [5]. Il n’est guère possible, à partir de ce seul document, de fonder quelque glose que ce soit sur la part et le poids des connaissances en droit dans leur appréciation globale des compétences en matière juridique et politique.

Par les commissions des lois.

Depuis 2008, par application des dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et de celles de l’article 56 de la Constitution [6], les commissions des lois de chaque assemblée parlementaire émettent un avis favorable ou défavorable à une nomination.
Pour ces commissions, la question de la connaissance du droit n’est pas absente de leurs délibérés. Pour autant une formation de juriste n’est pas une condition nécessaire à un avis favorable ; cependant est attendue une certaine familiarité avec le droit —notamment constitutionnel— bien que le Conseil « n’ait pas seulement besoin de juristes »  [7].

Le cursus des membres.

La réalité de leur formation.

Il ressort des fiches bibliographiques des membres publiées sur le site internet du Conseil que sur les dix présidents [8] qu’a connu le Conseil avant mars 2025, quatre étaient titulaires d’un doctorat en droit, le cinquième d’un Diplôme d’études supérieures en Droit [9].
Hors de l’université, deux présidents acquirent une formation au droit pour avoir siégé au Conseil d’État [10] et/ou pour avoir participé à l’élaboration et à la rédaction de la Constitution [11].

Depuis le 13 mars 1959, date de son installation et avant l’entrée en fonction de trois nouveaux membres en mars 2025, le Conseil constitutionnel a accueilli 88 membres. Il ressort de leurs fiches bibliographiques publiées sur le site du Conseil que, 25 ne sont titulaires d’aucun diplôme en Droit ; 4 ont une agrégation, 18 sont docteurs, 13 ont réussi un diplôme d’études supérieures, 24 sont titulaires d’une Licence, à une époque où la licence se faisait en quatre ans et 4 ont une Maîtrise.
Au-delà du grade universitaire, quelques-uns avaient, avant leur nomination, exercé dans des professions juridiques, notamment avocats ou magistrats dans les juridictions judiciaires ou administratives, tel est le cas de deux membres qui seront installés le 5 mars 2025.

Sur l’appui juridique.

Concrètement, les décisions sont prises sur le rapport d’un membre du Conseil désigné par le Président.
S’agissant du contrôle de constitutionnalité, celui-ci peut s’appuyer sur les moyens techniques du Conseil, particulièrement le service juridique. Ce Service comprend 10 juristes, notamment des magistrats judiciaires et administratifs et des administrateurs de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Parallèlement, le service de la documentation et de l’aide à l’instruction (SDAI) offre une assistance au traitement des dossiers contentieux, sous la forme de recherches juridiques et la diffusion de travaux de veille. Ses documentalistes juridiques sont complétés par un chargé de mission en droit comparé et européen.

Dans le contentieux de l’élection des députés et des sénateurs, les rapporteurs sont assistés de rapporteurs-adjoints, conseillers référendaires à la Cour des comptes ; de maîtres des requêtes au Conseil d’État spécialement nommés par décision du président du Conseil. Il ne paraît pas que les magistrats de la Cour aient une formation juridique ; si le site de la Cour est silencieux sur la composition des chambres, il en ressort quand même que sur 7 présidents de chambre, 5 sont issus de l’ENA, deux sont titulaires respectivement d’une Licence d’histoire et d’une agrégation d’économie. Il serait mal venu de questionner la capacité juridique des maîtres des requêtes au Conseil d’État.

Conclusion.

En 1959, le Conseil constitutionnel fut regardé comme « un club réunissant de temps à autre des politiques retraités et quelques notables » [12]. Maurice Duverger précisait : « aucun de ces membres nommés n’a de compétence particulière en matière constitutionnelle. Il est vrai que l’intelligence de certains d’entre eux leur permettra d’en acquérir » [13]

Soixante ans plus tard, Simone Veil (1998-2007) pouvait écrire : « pour la plupart d’entre eux, les membres du Conseil constitutionnel possèdent une solide formation de juriste, doublée d’une longue pratique politique ou administrative ». En effet ! Et Madame Veil d’ajouter : « Tous ont à cœur de conduire une authentique réflexion sur le Droit et la Politique ».

Ainsi, par les acquis universitaires et de l’expérience en juridictions de la grande majorité de ses membres, le Conseil constitutionnel se rapproche du respect de sa jurisprudence du 20 février 2003 citée d’entrée de propos. Ce n’est qu’après mars 2025 qu’il sera possible de savoir si, pour un président, les enseignements d’un diplôme d’études universitaires générales d’Allemand et de Droit satisfont à ce critère de « solide formation ».

Jean Raymond, président de tribunal administratif honoraire, médiateur.

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Notes de l'article:

[1François Luchaire, « Souvenirs » https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/souvenirs-1965-1974. La loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974 portant révision de l’article 61 de la Constitution donnait à soixante députés ou soixante sénateurs le pouvoir de saisir le Conseil constitutionnel..

[2Dominique Lottin (2017-2022), « Le Conseil constitutionnel acquiert le statut de juridiction » in Lettre d’actualité de la question prioritaire de constitutionnalité. (https://qpc360.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/avec-l-introduction-de-la-qpc-le-conseil-constitutionnel-acquiert-le-statut-de-juridiction).

[3Précaution oratoire inspirée des réquisitions de M. Quesnay de Beaurepaire, procureur général au procès du général Boulanger (1889).

[4Titre VII de la Constitution française du 4 octobre 1958 (Art.56 à 63.

[5Georges Abadie (1992-2001), « Satisfaction, non sans questions… » in Cahiers du Conseil constitutionnel n° 25.

[6Article 56 dans sa rédaction issue de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.

[7Philippe Bas, audition de Mme Gourault (2022-) par la commission des lois du Sénat le 21 février 2022.

[8Ces chiffres ont été relevés manuellement sur le dit-site. La vérité plus que la modestie m’oblige à signaler qu’en arithmétique, je ne suis parfois pas à quelques items en plus ou en moins.

[9MM. Noel (1959-1965), Badinter (1986-1995), Dumas (1995-2000), Mazeaud (1998-2007), et Debré (2007-2016).

[10MM.Fabius (2016-2025) et Guéna (1997-2004).

[11MM. Frey (1974-1983) et Guéna.

[12Dominique Schnapper (2001-2010), « Une sociologue au Conseil Constitutionnel », Ed.Gallimard, 2010.

[13Maurice Duverger, « Institutions politiques et droit constitutionnel », PUF, 1970.

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