La société en commandite a-t-elle encore un avenir ?

Par Mahieu Marchal.

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Explorer : # société en commandite par actions # gouvernance d'entreprise # entreprises familiales # stratégie de long terme

Seulement trois des plus grandes entreprises françaises sont organisées selon les principes de la commandite. Si ce statut présente d’indéniables atouts, il semble néanmoins se révéler contre-productif dans certaines circonstances.

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Petite originalité du droit français, la société en commandite par actions connaît quelques survivances parmi les grands groupes familiaux du pays. Pourtant, rappelle Emile Dennewald, c’est une forme d’organisation très similaire… à ce que l’on observait déjà au moyen-âge [1]. Michelin, Hermès et Lagardère figurent ainsi parmi les derniers grands représentants de ce type d’organisation. Très protecteur pour les fondateurs, le statut en commandite présente des avantages stratégiques pour les dirigeants des trois entreprises précitées. Mais à bien y regarder, la commandite semble devenue, au-delà d’un certain seuil de croissance, un carcan rigide qui affecte leurs capacités d’adaptation. Ce statut serait-il inapproprié à la gouvernance des grands groupes ?

Une structure juridique conçue pour durer

La société en commandite par actions a la particularité d’intégrer deux types d’associés aux responsabilités et pouvoirs distincts. Les associés commandités gèrent la société et en sont responsables, sans limites sur leurs biens personnels. Les associés commanditaires ont, pour leur part, un statut semblable à celui d’un actionnaire traditionnel. Prenant pour exemple le cas du groupe Lagardère, Alain Kadouch, consultant senior pour @nalyse et Synthèse, résume ainsi le principe de la commandite : il s’agit de « la dissociation des fonctions de direction et de celle de contrôle  », d’une séparation des affaires sociales et des affaires économiques, les premières revenant aux commandités, les secondes aux commanditaires.

Le succès de cette forme d’organisation auprès d’entreprises familiales comme Lagardère, Michelin ou Hermès s’explique notamment par le fait qu’elle constitue en principe une garantie contre toute tentative de rachat hostile. « Je fais en sorte qu’Hermès ne connaisse pas le sort de Vuitton. Nous voulons pouvoir, le moment venu, bénéficier des possibilités du jeu financier, sans risquer d’en être un jour la victime » expliquait ainsi Jean-Louis Dumas cité par La Tribune, alors qu’il s’apprêtait en 1989 à donner à Hermès son statut actuel. Grâce à la commandite, les actionnaires peuvent bien prendre possession financière de la compagnie, la direction exécutive restera ainsi éternellement dans les mains des héritiers d’Hermès. Une situation d’autant plus rassurante que ces derniers sont libres de participer au capital.

Protéger un patrimoine

Les garanties offertes par la SCA aux commandités présentent un intérêt de taille sur le plan opérationnel. Il s’agit bien évidemment d’une forme d’organisation propice à l’instauration de stratégies de long terme. C’est aussi un gage de protection du secret et du savoir-faire. Michelin, qui déploie beaucoup d’efforts à garder son avance technologique, peut en témoigner. « À 90 %, nous nous efforçons de tout dire pour qu’on puisse comprendre ce que nous sommes », explique Jacques Jordan, vice-président de la communication du groupe Michelin interrogé par l’ITI-RI de l’Université de Strasbourg. Il reste donc 10 % de secrets de famille, qui « demeurent encore du domaine stratégique et de l’avantage concurrentiel » poursuit Jacques Jordan.

Jouissant d’une certaine aisance financière et d’une grande stabilité managériale, Michelin a pu facilement s’insérer dans une dynamique de long terme. Sa capacité à relever les défis technologiques lui a ainsi permis de conquérir 20 % du marché mondial du pneumatique. La réussite de Michelin est donc due - en partie du moins ! - à la forme de son organisation, mais aussi à la souplesse avec laquelle ses gérants l’abordent. Jean-Dominique Sénard l’explique en ces mots : « la croissance d’une entreprise, son développement, sa stabilité reposent beaucoup plus sur des valeurs que sur la généalogie ». La remarque est moins anodine qu’il n’y paraît quand on sait que M. Sénard a été intégré parmi les commandités et désigné gérant du groupe en 2012, alors qu’il ne fait pas partie de la famille Michelin. Rompre avec la tradition dynastique au profit du développement de l’entreprise est bien sûr une sage décision. Mais dans les sociétés en commandite, les évolutions organisationnelles ne se déroulent pas toujours dans les meilleures conditions.

La tentation du conservatisme

En 2011, un article publié par La Tribune faisait un état des lieux de la gestion du groupe Lagardère. Sa filiale Unlimited, supervisée par Arnaud Lagardère et dans laquelle il a investi 1 milliard d’euros, avait vu son résultat opérationnel chuter de moitié en l’espace d’un an. Le gérant est alors fustigé par des collaborateurs qui affirment qu’il « décale ou annule tous ses rendez-vous. » Qu’importe le sens du vent : en tant que bénéficiaire exclusif du statut de commandité, Arnaud Lagardère répétait fin 2012 à ses actionnaires qu’il n’abandonnerait « jamais » le statut de commandite. Si l’attachement du gérant à l’entreprise est légitime, l’inquiétude des actionnaires l’est tout autant.
En 2011, Arnaud Lagardère accusait plus de 400 millions d’euros de dettes après avoir voulu doubler sa participation dans le groupe. Mais comme le rappelle La Tribune, « le milliard que le groupe a injecté » dans le pôle Unimited a perdu plus de la moitié de sa valeur en cinq ans. Préoccupé par l’avenir de la société, mais surtout impuissant quant aux orientations stratégiques du groupe, l’actionnaire et financier Guy Wyser-Pratte avait alors proposé aux autres actionnaires de Lagardère la suppression de la commandite qu’il décrivait alors comme « une forteresse juridique qui renvoie à un capitalisme d’antan  ». Mais sa croisade s’était achevée par un status quo. Sans surprise d’ailleurs, puisque « la suppression de la structure en commandite propre à la société Lagardère SCA suppose l’accord des associés commandités », rappelait ainsi sur son blog Stéphane Michel, avocat au Barreau de Paris.

Quand les fondamentaux de la commandite se perdent

Et quand la SCA n’est pas victime d’une trop grande concentration des pouvoirs, c’est au contraire le conflit personnel qui la guette à tout moment. Hermès s’est ainsi fait l’illustration des profondes difficultés dans lesquelles une tentative de rachat pouvait plonger une société en commandite dans la tourmente. L’entreprise est en effet détenue à plus de 70 % par une soixantaine d’héritiers de la famille Hermès. Ceux-ci se répartissent en trois branches : les Dumas, les Puech et les Guerrand, les Dumas étant les plus représentés numériquement et financièrement. S’appuyant sur les dissensions qui règnent parmi ces héritiers, le groupe LVMH est parvenu à racheter des parts significatives dans le capital d’Hermès fin 2010. Hermès résiste, mais se voit dépossédé de plus de 20 % de son capital au profit de LVMH fin 2011.

Au cours de ces évènements, l’unité de la famille héritière se trouve donc très fragilisée. Consécutivement à la prise de participation de LVHM, Laurent Momméja, fils Puech, jetait un pavé dans la mare en revendant 9 500 actions Hermès pour 1,8 million d’euros ; un geste perçu comme une trahison selon les commentateurs. La famille décide alors de se regrouper derrière une holding pour protéger ses parts. Mais certains de ses membres les plus importants choisissent alors de faire cavaliers seuls. Le plus gros actionnaire familial de l’entreprise, Nicolas Puech, refuse d’intégrer la nouvelle holding considérant qu’elle prive « les actionnaires familiaux de leur pouvoir individuel de contrôle sur la gestion ». Certes, la commandite a permis à Hermès d’éviter le rachat, mais ces intrigues de cour sont peu profitables au fonctionnement de l’entreprise. Un ancien cadre d’Hermès, interrogé par Capital, résume assez bien le climat interne qui y règne aujourd’hui : « Quand il y avait le moindre désaccord, tout le monde se rangeait au jugement de Jean-Louis Dumas. Depuis sa disparition, la direction semble flotter. Si la future holding devient une chambre d’enregistrement des décisions prises par les Dumas, les autres pourraient avoir envie de se retirer. »

Ainsi la SCA apparaît-elle dans certains cas comme une forme d’organisation inadaptée à la gouvernance des grands groupes. Michelin, certes, a su s’affranchir des rigidités de ce statut et semble aujourd’hui reposer sur des bases managériales réactives et saines. La commandite a par ailleurs permis à nos trois capitaines d’industrie de faire fructifier leur projet à l’abri des velléités de prédation. Mais, en ces temps de crise, il apparaît de plus en plus difficile pour leurs héritiers d’ériger la filiation en modèle de management efficace, dans un contexte de crise qui exige, plus que tout autre auparavant, de conjuguer la souplesse, le sang-neuf et les idées nouvelles.

Mahieu Marchal

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Notes de l'article:

[1Emile Dennewald, Fondements du droit et des sociétés commerciales au Luxembourg, Éditions Emile Borschette, 1988

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