Pour le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF), Entité administrative chargée en France d’incarner les mystères des normes dites « macroprudentielles », le taux d’endettement ne doit (pratiquement) pas dépasser 35% des revenus de l’emprunteur (2022). La législation européenne, qu’interprète la Cour de cassation, est supérieure aux normes administratives nationales du HCSF, que la Banque de France impose pourtant aux banques, et aux emprunteurs.
I - La législation européenne prime sur les normes administratives françaises.
Quelles normes juridiques prévalent, pour qualifier le crédit immobilier excessif ?
I.1. Énorme combat de normes.
L’endettement excessif de l’emprunteur en crédit immobilier s’apprécie-t-il selon le taux d’endettement [1] et la marge de manœuvre financière mensuelle (bien malencontreusement désignée comme « reste à vivre ») ? avec quelle priorité entre les deux facteurs ? ou selon un taux d’endettement nécessairement inférieur à 35% des revenus de l’emprunteur, sans autre critère ? [2]
Ce n’est pas une surprise : l’introduction brutale de « normes » d’octroi du crédit immobilier aux ménages français, en 2019 [3], pratiquement impératives avant de devenir officiellement obligatoires [4] a, mécaniquement, installé un duel de normes.
En effet, les « normes » du HCSF, lorsqu’elles visent l’octroi de crédit immobilier aux consommateurs, piétinent un terrain juridique déjà minutieusement labouré. D’abord, par le Droit national français, de 2005 à 2016 [5] ; puis, depuis 2016, par la législation européenne [6]. Les lecteurs du Village de la Justice ont pris connaissance de la création de cette opposition frontale (Voir notre article Le désordre s’accroît dans le crédit immobilier, l’enchevêtrement des normes), inévitablement provoqué par les « normes » du HCSF.
Cet affrontement de normes régissant un même objet produit à présent ses effets négatifs.
I.2. Points gagnants pour la Cour de cassation.
Dans cette confrontation de normes, manifestement mal prévue, la Cour de cassation s’est déjà prononcée. En 2021, elle a ainsi jugé que
« le taux d’endettement des emprunteurs devait s’élever à 42% et que ce taux n’était pas excessif dès lors que les emprunteurs devaient disposer, après remboursement de toutes leurs charges, d’un reste à vivre de 5 531 euros » [7], appelant au passage la Cour d’appel (Grenoble) à bien caractériser les éléments de l’éventuelle « inadaptation du prêt aux capacités financières des emprunteurs ».
En juillet 2023, la Cour de cassation a validé un taux d’endettement supérieur à 64% [8], en présence d’un « reste à vivre » de plus de trois mille euros tout au long de la durée du crédit. Un tel montant préserve en effet les emprunteurs de tout crédit excessif, indépendamment du niveau du taux d’endettement. La Cour de cassation écarté donc toute faute de la banque au titre de son devoir de mise en garde. Pour la Cour de cassation, cette somme disponible de « reste à vivre » constitue le facteur supérieur d’appréciation du risque d’endettement excessif. Le taux d’endettement (ou taux d’effort à l’octroi) n’a qu’une valeur secondaire, au contraire de la « norme » du HCSF, focalisée sur le taux d’endettement et ignorant totalement le « reste à vivre ». Ainsi :
« La Cour d’appel de Paris, qui a souverainement estimé que les emprunteurs disposaient d’un « reste à vivre » suffisant pour s’acquitter des mensualités du crédit et que celui-ci ne créait pas d’endettement nouveau à l’issue de la période relais, en a exactement déduit, sans avoir à procéder à la recherche relative au taux d’endettement que ses constatations rendaient inopérante […] que le prêteur n’était pas tenu à une obligation de mise en garde » [9].
Il convient de bien observer les principales caractéristiques factuelles et juridiques de l’Arrêt du 12 juillet 2023, pour mesurer le chemin qui reste à parcourir pour que les prêteurs, les banques, appliquent seulement la législation européenne, contre les injonctions illégales de la Banque de France, au bénéfice des emprunteurs déjà malmenés par la hausse des taux d’intérêts et par une méthode juridique bancale de calcul du taux d’usure.
II - Les étapes à franchir pour imposer la primauté de la législation européenne.
En matière d’octroi de crédit aux particuliers, seules les normes d’octroi du Code de la consommation, éclairées par la Jurisprudence des tribunaux civils, ont une valeur juridique. Les normes administratives du Haut Conseil de Stabilité Financière ne sont donc pas applicables par les banques, ni opposables aux emprunteurs.
II.1. La législation européenne prime sur les normes administratives françaises.
Pour l’examen de la question juridique de l’endettement excessif de l’emprunteur, les tribunaux civils appliquent évidemment et seulement le droit de la consommation. Pour les prêts immobiliers aux consommateurs consentis depuis le 1er octobre 2016, ce droit découle donc de la législation européenne [10]. Il est clair et complet, compatible avec la technique bancaire, forte de deux mille ans de pratique du crédit.
Ces règles légales n’ont causé aucun dégât : l’hypothèse d’un marché du crédit aux Particuliers dégradé, formé par le Comité Européen du Risque Systémique dans son courrier de 2019 au HCSF [11] n’est aucunement démontrée. En réalité, ces règles dites « macroprudentielles » diffusées par le HCSF et contraires à la législation européenne du crédit immobilier sont manipulées depuis 2019, pour tenter de peser (sans grand succès) sur les prix du marché de l’immobilier, jugés trop élevés.
Or, le droit appliqué par les tribunaux civils, notamment pour les prêts accordés depuis le 1er octobre 2016 (entrée en vigueur de la Directive sur le crédit immobilier), est indiscutablement supérieur aux « normes » du HCSF. Tel est l’effet de principes juridiques fermes, tel que celui de légalité, celui de l’effet direct des Directives [12] ou encore, du Traité de Fonctionnement de l’Union Européenne [13]. En effet, le Droit du crédit immobilier provient de la législation européenne.
Les décisions du HCSF n’ont qu’une valeur administrative régionale (française, en l’occurrence). Le HCSF possède un nature juridique d’Entité administrative française [14]. Ses actes relèvent d’actes administratifs [15].
La puissance administrative française impose donc aux banques qu’elle est pourtant chargée de contrôler, sous la pression d’une Entité de l’Union européenne, des « normes » qui sont contraires à celles de la législation européenne en vigueur.
II.2. La primauté du droit du crédit immobilier aux consommateurs doit s’affirmer.
Dans ce contexte d’une forme de « concurrence déloyale » entre normes, le droit de la consommation doit affirmer sa primauté sur les normes administratives françaises, au bénéfice de l’emprunteur.
L’Arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2023 avance d’un pas considérable dans ce sens ; il comporte des caractéristiques factuelles et juridiques qui appellent d’autres décisions futures de tribunaux civils :
- Le prêt immobilier a été accordé en 2008 : à cette date, d’octroi, la « mise en garde » en crédit immobilier aux consommateurs répondait à une autre définition que celle applicable aux prêts accordés depuis le 1er octobre 2016 [16] ;
- En 2008, les « normes » d’octroi du HCSF [17] ne s’imposaient évidemment pas aux banques ; la question de leur prise en considération n’est donc pas posée ;
- Le prêt en question possédait également la nature d’un regroupement de crédit : or, c’est une règle juridique mal connue, la Cour de cassation écarte depuis 2019 tout devoir de mise en garde à la charge du prêteur en regroupement de crédits. Ce type de prêt ne créée pas d’endettement nouveau et échappe à la mise en garde [18], quels que soient les taux d’endettement considérés.
Pour les prêts immobiliers aux Particuliers conclus depuis le 1er octobre 2016, le prêteur est donc tenu d’appliquer la législation européenne en matière d’octroi. En particulier :
« […] avant de conclure un contrat de crédit, le prêteur procède à une évaluation rigoureuse de la solvabilité de l’emprunteur. Cette évaluation prend en compte de manière appropriée les facteurs pertinents permettant d’apprécier la capacité de l’emprunteur à remplir ses obligations définies par le contrat de crédit » [19].
Les emprunteurs Particuliers peuvent revendiquer le bénéfice de cette disposition, à l’exclusion de toute autre, y compris une norme administrative française. Les emprunteurs peuvent demander aux Intermédiaires bancaires, IOBSP en crédit immobilier, notamment les courtiers, de solliciter formellement les banques dans le sens du bénéfice des dispositions de la Directive européenne sur le crédit immobilier, couchées dans le Code de la consommation.
En matière de surendettement, les tribunaux civils vérifient en permanence la bonne application des règles de calcul des ressources nécessaires au débiteur à ses dépenses courante et à l’apurement de ses dettes, selon les seules règles du Code de la consommation [20]. Des cours d’appels ont déjà jugé, depuis 2019, des demandes de crédit excessif en examinant des capacités de remboursement sans aucun égard pour les « normes » administratives, étrangères au droit de la consommation, du HCSF [21].
Mal conçues, les mesures administratives d’octroi de crédit du Haut Conseil de Stabilité Financière sont infondées économiquement. Elles brident lamentablement le marché du crédit immobilier aux ménages français et contribuent à la crise du logement, qui reste sans réponse politique. Un crédit immobilier rationné n’a pas de raison de s’ajouter à un crédit immobilier déjà plus cher. L’arrêt de la Cour de cassation, du 12 juillet 2022, rappelle la primauté du droit de la consommation, à présent issu de la législation européenne, tout en soulignant le caractère infondé des « normes » du HCSF.
Il procure un enseignement fort : le « reste à vivre » est le facteur premier de l’analyse juridique de la capacité financière de l’emprunteur et de l’endettement excessif. Le taux d’endettement (ou d’effort à l’octroi) est secondaire, accessoire. Ceci souligne, une nouvelle fois, le caractère juridique infondé des « normes » du HCSF. Celles-ci sont contestables devant le Conseil d’État [22].