Dans un arrêt du 13 décembre 2023, la Cour de cassation a jugé qu’un créancier bénéficiaire d’un cautionnement consenti par un dirigeant en garantie de la dette d’une entreprise en redressement judiciaire pouvait obtenir un titre exécutoire à son encontre et sa condamnation au paiement de sa créance, sans que celle-ci ne soit exigible.
Cet arrêt est l’occasion de revenir sur l’articulation du droit des entreprises en difficulté et des procédures civiles d’exécution ainsi que de rappeler les règles utiles aux cautions personnes physiques d’une entreprise en redressement judiciaire.
I. Contexte de la décision.
Une société souscrit un prêt de 150 000 euros remboursable en 120 mensualités auprès d’un établissement bancaire. Le gérant de cette société se rend caution solidaire des dettes issues du prêt bancaire.
La société est par la suite placée en redressement judiciaire. La banque déclare au passif de la société sa créance au titre du prêt bancaire accordé.
La banque obtient l’inscription d’une hypothèque sur un des immeubles du gérant, en sa qualité de caution solidaire du prêt bancaire.
Le gérant est ensuite assigné par la banque aux fins d’obtenir un titre exécutoire contre lui et sa condamnation au paiement des sommes résultant du prêt.
L’instance est suspendue jusqu’au jugement du tribunal arrêtant le plan de redressement judiciaire de la société, lequel prévoit le paiement de la totalité de son passif sur une durée de 10 ans.
L’instance reprise, le juge fait droit à la demande de la banque d’obtention d’un titre exécutoire et de condamnation du gérant, en sa qualité de caution, au paiement des sommes résultant du contrat de prêt bancaire.
II. La décision de la Cour de cassation.
La question posée à la Cour de cassation est la suivante :
Un créancier peut-il obtenir un titre exécutoire à l’encontre du gérant d’une société en redressement judiciaire ayant consenti une caution, alors que les créances dont le paiement est réclamé ne sont pas exigibles ?
La Cour de cassation répond par la positive en rappelant les règles légales applicables suivantes :
- Le créancier bénéficiaire d’un cautionnement consenti par une personne physique, le gérant - en garantie de la dette d’un débiteur principal, la société - mis en redressement judiciaire peut prendre des mesures conservatoires sur les biens de la caution, l’hypothèque sur l’immeuble.
- A peine de caducité de la mesure conservatoire, le créancier doit, dans le mois suivant, obtenir ou faire les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire.
- L’obtention d’un tel titre exécutoire n’est pas subordonné à l’exigibilité de la créance contre la caution.
- Toutefois, la Haute juridiction précise que l’exécution forcée en application du titre exécutoire contre la caution ne peut avoir lieu qu’à la condition que la créance constatée par le titre exécutoire soit exigible à l’égard de cette caution.
- Le juge exclusivement compétent pour connaître des contestations relatives à l’exécution forcée du titre exécutoire est le juge de l’exécution.
III. Décryptage de la décision de la Cour de Cassation.
Cet arrêt vient rappeler la distinction entre les conditions d’obtention d’un titre exécutoire et les conditions de mise en œuvre de celui-ci.
- Obtention d’un titre exécutoire : lorsque le débiteur principal est en redressement judiciaire, le créancier peut obtenir un titre exécutoire contre la caution sans que sa créance ne soit exigible.
- Mise en œuvre d’un titre exécutoire : le créancier ne peut poursuivre l’exécution forcée du titre exécutoire contre les biens de la caution si la créance n’est pas exigible. Auquel cas, c’est le juge de l’exécution qui sera compétent pour connaître des contestations relatives à l’exécution forcée du titre exécutoire.
Ainsi, le dirigeant ayant consenti une caution au bénéfice d’un créancier d’une entreprise en difficulté peut se voir condamner au paiement de la créance impayée même si celle-ci n’est pas encore exigible.
Toutefois, l’exécution forcée de cette condamnation ne sera possible que si la créance est exigible.
Or, la déchéance du terme d’un contrat ne peut être prononcée du seul fait de l’ouverture du redressement judiciaire.
Qui plus est, si le redressement judiciaire est ouvert après le 1ᵉʳ octobre 2021, la caution personne physique peut se prévaloir des dispositions du plan de redressement judiciaire du débiteur principal.
En effet, l’ordonnance n°2021-1192 du 15 septembre 2021, est venue aligner les règles applicables aux cautions personnes physiques dans le cadre d’une procédure de sauvegarde à celles applicables aux procédures de redressements judiciaires.
En conséquence, le créancier ne pourra pas poursuivre l’exécution forcée de son titre exécutoire à l’encontre de la caution pendant toute la durée du plan de redressement judiciaire.
A l’inverse, si la procédure de redressement judiciaire est ouverte avant le 1ᵉʳ octobre 2021, la caution ne peut se prévaloir des dispositions du plan de redressement judiciaire du débiteur principal et ainsi retarder l’exécution forcée du titre exécutoire.
Toutefois, lorsque la créance est devenue exigible, la caution peut saisir le tribunal aux fins de demander des délais de paiement pouvant aller jusqu’à deux ans.
La caution peut également solliciter une mesure de traitement des situations de surendettement si les conditions nécessaires à son obtention sont réunies.
Ces dispositions légales en faveur de la protection des cautions personnes physiques dans le cadre de procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire ne sont pas applicables aux procédures de liquidation judiciaire.
Ainsi, afin de limiter au mieux les risques d’actions d’un créancier d’une entreprise en difficulté sur les biens d’une caution, l’anticipation à travers la mise en œuvre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire est nécessaire.