Commentaire : l’expulsion et la démolition comme mesures de protection du droit de propriété.

Par David Weber, Etudiant.

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Explorer : # droit de propriété # expulsion # démolition # proportionnalité

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Dans cette décision, la Cour de cassation confirme la primauté du droit de propriété sur d'autres droits fondamentaux tels que le droit au domicile. Elle affirme que l'expulsion et la démolition sont les seules mesures permettant au propriétaire de recouvrer pleinement ses droits sur un bien occupé illégalement.
Description rédigée par l'IA du Village

Le droit de propriété figure parmi les droits fondamentaux les plus éminents, étant consacré par les normes les plus élevées, tant au niveau national qu’européen. Pourtant, il arrive parfois que des individus décident d’occuper illégalement la propriété d’autrui et d’y ériger des constructions illicites. Dans ce contexte, l’arrêt du 17 mai 2018 de la Cour de cassation aborde les mesures visant à contrer cette violation du droit de propriété, notamment l’expulsion et la démolition, qui seront examinées dans le cadre du commentaire de cet arrêt.

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Dans son livre intitulé « l’évolution du droit », le juriste prussien Rudolf Von Jhering déclare que « Le caractère essentiel de la propriété consiste dans le pouvoir illimité du propriétaire, et que toute restriction, à cet égard, porte à la propriété une atteinte inconciliable avec l’esprit de l’institution » [1]. Cette citation met en lumière une perspective claire sur la nature du droit de propriété, il souligne que l’essence même de la propriété réside dans le pouvoir illimité dont dispose le propriétaire sur son bien.

Selon cette vision, toute restriction imposée au pouvoir du propriétaire constituerait une atteinte fondamentale à la nature même de la propriété. Ainsi, la citation de von Jhering met en avant la notion fondamentale du pouvoir illimité du propriétaire, qui trouve écho dans l’arrêt de la Cour de cassation commenté infra. Dans cet arrêt, la cour a maintenu le principe du pouvoir quasi-illimité du propriétaire sur son bien en sanctifiant la primauté du droit de propriété sur les droits fondamentaux environnants. Cependant, cet arrêt démontre également que cette prééminence du droit de propriété ne devrait pas être absolue mais plutôt proportionnée avec les autres droits fondamentaux, ce qui est en accord avec la conception contemporaine du droit de propriété dans un contexte de droits de l’Homme et de droits fondamentaux.

L’arrêt en présence rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 17 mai 2018 et immatriculée n° 16-15.792, concerne l’expulsion d’occupants sans droit ni titre de propriété et à la démolition d’un bien construit illicitement sur le terrain d’autrui [2].

En l’espèce, un couple marié a érigé leur maison sans autorisation dans une parcelle de terrain ne leur appartenant pas, occupant ainsi illégalement depuis plus de 20 ans, le terrain d’autrui sans l’accord du propriétaire légitime disposant d’un titre de propriété.

De fait, les conjoints assignent, en qualité de partie demanderesse, le propriétaire du terrain litigieux, à titre de partie défenderesse, devant une juridiction de première instance aux fins de revendication par prescription trentenaire de la propriété de ladite parcelle dans lequel ils résident. Le propriétaire se prévalant d’un titre de propriété a demandé la libération des lieux et la démolition de la maison. La juridiction de première instance rend en premier lieu, un jugement à date innommée dont le contenu demeure taisant ; dès lors la partie défenderesse interjette appel.

La Cour d’appel de Cayenne, rend un arrêt en date du 11 janvier 2016 [3], par laquelle elle déboute la partie intimée, et infirme le jugement de première instance en faisant droit à la demande d’expulsion et de libération des lieux formulé par la partie appelante qui avait invoqué un titre de propriété et ce au motif que celle-ci est propriétaire de la parcelle litigieuse en considération d’un acte notarié de partage datant du 20 mai 2005, et que d’autant plus la partie intimée ne rapportait pas la preuve d’une prescription trentenaire.

La partie intimée fait ainsi grief au présent arrêt d’accueillir la demande, au moyen unique que d’une part, le droit au domicile est un droit fondamental protégé par l’article 8 de la CSDHLF [4], et que toute ingérence dans ce droit se doit d’être proportionnée au but légitime poursuivi ; que d’autre part, il est nécessaire d’évaluer la proportionnalité en prenant en compte la vulnérabilité de la partie intimée en raison de son âge avancé ; qu’enfin, la cour n’aurait pas examiné si les mesures d’expulsion et de démolition étaient proportionnées en raison de l’âge et de l’ancienneté de la partie intimée sur les lieux. Dès lors, la partie intimée se pourvoit en cassation.

Les juges du quai de l’horloge sont confrontés à la question de savoir si l’expulsion et la démolition étaient les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ?

Le cas échéant, l’ingérence qui en résulte saurait-elle être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ?

La troisième chambre civile de la Cour de Cassation a rendu un arrêt en date du 17 mai 2018, duquel celle-ci rejette le pourvoi formulé par la partie demanderesse et statue aux articles 544 et 545 du Code civil [5], 17 de la DDHC [6], et 1er du protocole n°1 de la CSDHLF [7], que l’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, et que l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.

Dans cet arrêt, la cour reconnaît que l’expulsion et la démolition constituent les uniques mesures de recouvrement du droit de propriété sur un bien occupé (I).

Toutefois, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété (II).

I/ L’expulsion et la démolition comme uniques mesures de recouvrement du droit de propriété sur un bien occupé.

La Cour de Cassation réaffirme dans cet arrêt, le caractère absolu du droit de propriété au travers des mesures de démolition et d’expulsion en raison de la nature incontestable et prédominante du droit de propriété (A). Par ailleurs, la caractérisation d’une ingérence par les mesures d’expulsion et de démolition en raison de l’occupation sans droit ni titre du bien d’autrui, découle de la nécessité de rétablir le droit de propriété du propriétaire (B).

A) La réaffirmation prétorienne du caractère absolu du droit de propriété au travers de la démolition et de l’expulsion.

Dans cet arrêt, la cour déclare ad litteram que « l’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien ». Cela signifie que les seules mesures efficaces permettant au propriétaire légitime d’un bien d’en retrouver la pleine propriété sont l’expulsion et la démolition. L’expulsion consiste à faire sortir par la force toute personne non autorisée qui occupe le bien, la démolition consiste lui, au fait de détruire des structures ou des bâtiments illégalement construits sur le bien. Concernant la démolition, qui constitue une mesure plus abrupte que l’expulsion, la cour affirme avec constance dans ses jurisprudences antérieures que « la démolition est la sanction d’un droit réel transgressé » [8].

En outre, la cour soutient qu’aucune alternative ou mesure raisonnable ne permet en l’espèce de rétablir le droit de propriété du propriétaire, hormis l’expulsion des occupants non autorisés et la démolition des structures érigées illégalement sur la propriété. La rudimentarité de cette mesure est d’ailleurs justifiée par l’utilisation de l’article 544 du Code civil consacrant l’absoluité du droit de propriété, fondant ainsi la nécessité d’user de telles mesures drastiques. La portée et la force de droit de l’absoluité du droit de propriété est telle, que parfois elle suffisait en elle-même pour motiver et constituer la décision des juges de la haute juridiction [9].

Néanmoins il est élémentaire de définir la notion de propriété, ce dernier est un droit réel, subjectif et absolu définit à l’article 544 du Code civil qui dispose verbatim que « c’est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

Le propriétaire dispose ainsi de 3 prérogatives permettant d’assurer la pleine propriété sur un bien, ces 3 prérogatives sont l’usus (le droit d’user de la chose), l’abusus (le droit d’en disposer) et le fructus (le droit d’en percevoir les fruits). Dès lors, la démolition et l’expulsion permettent au propriétaire de retrouver la plénitude de ces 3 prérogatives qui constituent l’intégralité du droit de propriété sur le bien foncier.

Dans cet arrêt, la cour fait droit à l’arrêt d’appel en rejetant le pourvoi et vient ici à reconnaître, le droit et la légitimité du propriétaire disposant d’un titre de propriété, de procéder à une mesure d’expulsion et de démolition à l’encontre des occupants pour les faits vu supra. Cette justification est possible en raison du caractère absolu du droit de propriété qui confère à son titulaire une sphère d’exclusivité dans la jouissance et la disposition des biens. La force de droit de la propriété est d’ailleurs reconnue au niveau constitutionnel par l’article 17 de la DDHC et au niveau fondamental par l’article 1 du protocole 1 de la CSDHLF (cf infra : I/B).

Par ailleurs, lorsque des individus décident d’occuper la propriété foncière d’un propriétaire légitime, c’est-à-dire qui dispose d’un titre de propriété, on parle d’atteinte à la propriété. Dès lors, si les occupants utilisent le bien simultanément avec le propriétaire, cela suffit à constituer une violation à l’exclusivité du propriétaire et à justifier la prise de mesures répressives.

Dans cet arrêt, la cour reconnaît tacitement le caractère absolu et éminent du droit de propriété, c’est d’ailleurs en cela que l’atteinte à la propriété d’autrui ne suppose pas la démonstration d’une faute, et qu’il est donc possible d’obtenir réparation du seul fait d’avoir perturbé la relation d’exclusivité.

Dans de telles situations, le propriétaire a la possibilité d’obtenir une remise en état de son bien par une action en restitution, ces actions varient en fonction de la volumétrie de l’atteinte, du type de bien et de la volonté du propriétaire. Néanmoins, en vertu du caractère absolu de son droit de propriété, le propriétaire a le droit de prendre des mesures, telles que l’expulsion et la démolition, pour rétablir sa pleine jouissance sur son bien. En effet, la stricte application du caractère absolu du droit de propriété dans les décisions de la cour, n’est pas susceptible de dégénérer en abus de droit [10].

Cependant, l’utilisation de telles mesures, comme l’expulsion et la démolition, peut potentiellement entrer en conflit avec d’autres droits fondamentaux associés au droit de propriété. Par conséquent, il est impératif que ces actions soient entreprises de manière proportionnée par rapport aux droits fondamentaux en jeu, un point sur lequel la cour s’attache à se concentrer dans la motivation de sa décision.

Ces actions sont d’autant plus visibles, lorsque l’on sait dans cet arrêt que la cour justifie l’ingérence du droit de propriété envers le droit au domicile invoqué par les occupants, par l’absoluité du droit de propriété et l’incessibilité forcée de ce dernier.

B) La caractérisation d’une ingérence par l’expulsion et la démolition en raison de l’occupation sans droit ni titre du bien d’autrui.

Dans cette décision, la haute juridiction affirme « que l’expulsion et la démolition étant les seules mesures (...) de l’ingérence qui en résulte ». En outre, bien que la démolition et l’expulsion étaient les seules mesures permettant au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur son bien, ces mesures constituent tous deux une ingérence du droit de propriété envers le droit au domicile invoqué par les requérants à l’article 8 de la CSDHLF. Ce dernier disposant in limine que « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Pourtant, dans ce contexte, la Cour de cassation reconnaît également, à titre subsidiaire, qu’une ingérence survient lorsque des occupants illégaux s’installent sur une propriété sans droit ni titre. Cette ingérence se caractérise d’autant plus par la nécessité d’une expulsion et d’une démolition des structures illégalement érigées.

La cour fonde cette ingérence sur les articles 544 et 545 du Code civil, le premier consacre le caractère absolu du droit de propriété (cf : supra), le second consacre l’incessibilité forcée de ce dernier. L’article 545 expose également les strictes conditions sous lesquelles ce droit peut être limité, notamment pour des raisons d’utilité publique et moyennant une juste indemnité.

De fait, la cour justifie par la même occasion cette ingérence en rappelant par les articles ci-dessus, qu’en raison du caractère absolu du droit de propriété et de son incessibilité forcée, celle-ci vise à garantir le droit au respect des biens du propriétaire du terrain.

En effet, la cour ne manque pas de rappeler dans sa solution que le droit de propriété constitue un droit fondamental protégé par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CSDHLF, et constitue aussi par la même occasion un principe constitutionnel protégé par l’article 17 de la DDHC de 1789, disposant à son tour que « La propriété est un droit inviolable... ». Dès lors, la cour entend réitérer l’importance et la prééminence du droit de propriété en invoquant ces articles dans sa solution afin de la motiver en lui octroyant une certaine base légale.

Par ailleurs, l’importance de la caractérisation d’une ingérence réside dans le fait qu’elle nécessite un équilibre entre le droit de propriété, le droit au domicile et l’intérêt général, tout en reconnaissant que l’expulsion et la démolition sont les seules mesures permettant au propriétaire de recouvrer pleinement ses droits sur le bien.

Cela signifie que, bien que l’ingérence soit avérée, elle est justifiée par le caractère absolu du droit de propriété et par les dispositions légales qui protègent ce droit. Les mesures de démolition et d’expulsion étant nécessaires selon la cour, il est logique que selon cette dernière, l’ingérence est ici justifiée.

Dès lors, l’emploi par la cour de la notion d’ingérence implique qu’il est essentiel de reconnaître qu’une mesure d’expulsion et de démolition constitue certes une ingérence certaine dans la vie des occupants sans droit ni titre, mais qu’elle apparaît indispensable compte tenu du droit fondamental du propriétaire à pouvoir disposer de son bien. C’est ce qu’affirme d’ailleurs un arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 2019 [11].

Pourtant, la Cour de cassation aurait pu adopter une approche plus simpliste en se contentant de rappeler que le droit de propriété, en raison de son caractère absolu, rend toute occupation sans droit ni titre manifestement illicite, autorisant ainsi les propriétaires à demander l’expulsion des occupants. Cependant, en caractérisant cette situation comme une ingérence, elle insiste sur la nécessité d’un équilibre dans l’atteinte aux droits fondamentaux, ce qui reflète une approche plus nuancée de la question.

Lorsque l’ingérence d’un droit fondamental tel que le droit au domicile se produit en raison de mesures telles que la démolition et l’expulsion, son impact peut être problématique si la mesure n’est pas justifiée, nécessaire et proportionnée. La Cour de cassation met donc en place une forme de contrôle de proportionnalité pour évaluer la légitimité de cette ingérence. Ainsi, elle examine si l’atteinte portée au droit de propriété et les avantages résultant de ces mesures pour le droit de propriété du propriétaire justifient l’atteinte au droit au domicile des occupants. Cela permet d’établir un équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et l’intérêt général, assurant ainsi que l’ingérence respecte les principes de nécessité et de proportionnalité pour être juridiquement justifiée.

Néanmoins, la cour semble avoir survolé ce contrôle en concluant que l’ingérence causée par le droit de propriété envers le droit au domicile n’est pas disproportionnée par rapport à l’atteinte portée au droit de propriété. Ainsi, en justifiant cette ingérence par une atteinte préalable au droit de propriété, la cour fait indirectement en sorte que ce contrôle n’ait aucune portée effective et favorise invariablement le droit de propriété au détriment du droit au domicile, ce qui à terme peut être source d’ennui.

II/ La négation de la disproportion de l’ingérence compte tenu de l’atteinte portée au droit de propriété.

La Cour de Cassation entreprend par cet arrêt, la reconnaissance d’une certaine forme de contrôle de proportionnalité comme outil départiteur entre le droit de propriété et le droit au domicile (A). Néanmoins, malgré cette tentative de contrôle de proportionnalité, on observe une tendance à hiérarchiser de manière objective le droit de propriété au détriment du droit au domicile (B).

A) La reconnaissance d’une forme de contrôle de proportionnalité comme outil départiteur entre le droit de propriété et le droit au domicile.

Dans sa décision, la haute juridiction déclare in fine que « l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ». Par ces mots, la cour semble indiquer qu’elle a opéré une certaine forme de contrôle de proportionnalité entre le droit de propriété et le droit au domicile. Ce contrôle prend la forme d’un contrôle de proportionnalité hybride, à mi chemin entre un contrôle in concreto et un contrôle in abstracto. D’un côté, il évalue la proportionnalité de la mesure par rapport à l’objectif recherché, ce qui nécessite inévitablement une évaluation au cas par cas de la nature de la mesure et de l’objectif visé. D’un autre côté, la cour semble ne pas tenir compte de la vulnérabilité des personnes âgées et de la fondamentalité du droit au domicile, pérennisant ainsi les jurisprudences antérieures.

Par ailleurs, cette décision revêt d’autant plus une importance significative, car bien qu’elle pose les bases d’une certaine forme de contrôle de proportionnalité entre le droit de propriété et le droit au domicile, celle-ci va opérer ce même contrôle de manière subsidiaire entre le droit au respect de la vie privée et le droit au respect des biens. Cela s’explique par le fait que le droit au domicile impose le respect du droit à la vie privée et familiale, et qu’il constitue un droit fondamental découlant du droit de propriété. La Cour de cassation évalue donc soigneusement l’équilibre entre ces deux droits fondamentaux lorsqu’une ingérence basée sur l’un affecte l’autre. Cette approche offre, selon le professeur Jean-Louis Bergel, une méthode de coordination entre des principes juridiques de même importance, évitant ainsi de donner la préférence à l’un sur l’autre [12].

Il est crucial de noter que ce contrôle de proportionnalité ne repose pas sur des circonstances particulières comme l’âge des occupants ou la durée de leur occupation. Au contraire, la solution se base sur l’idée que l’expulsion ou la démolition sont les seules mesures permettant au propriétaire de retrouver pleinement ses droits sur le bien, en vertu du caractère absolu du droit de propriété.

Bien que des solutions alternatives pourraient être envisagées pour préserver le droit de propriété sans recourir à l’expulsion et la démolition (droit d’utilisation temporaire, droit d’usage, bail forcé...), celles-ci se heurtent au principe de la liberté contractuelle et à un manque de clarté dans la règle de droit. Par conséquent, la solution retenue par la Cour de cassation est préférable pour garantir la sécurité et la prévisibilité du droit.

Cependant, l’admission de l’existence même d’un conflit entre le droit au domicile et le droit de propriété au travers du contrôle de proportionnalité n’est pas sans risque, car cela pourrait ouvrir la porte à une issue totalement différente et à terme être susceptible d’affaiblir l’absolutisme du droit de propriété en ouvrant la voie à des revendications et émulations concurrentes des droits fondamentaux. Ce qui oblige donc les juges à maintenir un équilibre entre la sauvegarde de ces droits et l’intérêt général.

Les occupants avaient plaidé que l’ingérence dans leur droit au domicile devait être proportionnée en fonction de la durée de leur occupation et de leur âge avancé. Cependant, la Cour de cassation semble accorder une prépondérance au droit de propriété, malgré la reconnaissance d’un contrôle de proportionnalité. La cour estime que la propriété est un droit inviolable, justifiant ainsi l’ingérence dans le droit au domicile.

En fin de compte, cet arrêt suscite des interrogations, car bien qu’il semble reconnaître un contrôle de proportionnalité entre le droit au domicile et le droit de propriété, il semble que ce contrôle n’ait aucune portée effective et favorise invariablement le droit de propriété. Pourtant, à l’issue d’une revue de la Cour de cassation daté du 1ᵉʳ décembre 2020 [13], Chantal Arens en qualité de première présidente de la cour, déclara que « Le contrôle de proportionnalité doit rester un outil au service de l’intérêt des justiciables », néanmoins cet arrêt met en évidence que ce contrôle n’a pas atteint son objectif de manière adéquate. Bien que la mesure d’ingérence se doit d’être nécessaire, justifiée et proportionnée pour porter atteinte à un droit fondamental, la solution retenue par la Cour de cassation semble accorder la préférence au droit de propriété sans véritable évaluation de la proportionnalité.

Dès lors, en dépit de l’admission du contrôle dans son principe, il y a un rejet de ce dernier dans sa mise en œuvre, ce rejet serait susceptible d’amoindrir la portée de certains droits fondamentaux au détriment d’autres de ces droits. De fait, la solution semble accueillir la prépondérance du droit de propriété sur le droit au domicile, en établissant implicitement une « hiérarchie » dite objective entre ces deux droits.

B) Vers l’établissement d’une hiérarchie objective en faveur de la propriété au détriment du droit au domicile.

Dans sa solution, la cour déclare in fine « que l’expulsion et la démolition étant les seuls mesure (...) l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ». Ce qui signifie que bien que l’expulsion et la démolition étaient les seules mesures pour récupérer la pleine propriété du bien nonobstant l’ingérence au droit au domicile que ça cause, l’ingérence ne saurait être disproportionnée compte tenu de la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété.

Cette décision ainsi publié au bulletin, va s’inscrire dans le prolongement des décisions antérieur en allant confirmer voir sanctifier la primauté du droit de propriété vis-à-vis du droit au domicile mais aussi sur le droit à la vie privée dans les cas de construction sur le sol d’autrui ou d’empiétement, c’est le cas dans un arrêt du 21 décembre 2017 où la démolition est ici admis comme non-abusive [14].

On peut notamment citer une décision antérieure, selon laquelle une construction entièrement édifiée sur le terrain d’autrui par un constructeur de mauvaise foi constitue une atteinte au droit de propriété et se doit d’être démolie [15].

Ainsi, dans le présent arrêt, la cour justifie l’usage de la démolition et de l’expulsion qui constituent des atteintes au droit au domicile, et ce en raison de la gravité de l’atteinte préalable portée au droit de propriété par les occupants. La cour rend par la même occasion, inopérante l’utilisation de l’article 8 de la CSDHLF garantissant le droit au domicile sous couvert du respect dû à la vie privée pour résister à une action revendication intentée par le véritable propriétaire de l’immeuble, en invoquant la primauté et l’absoluité du droit de propriété.

Dans cet arrêt ainsi que dans les arrêts mentionné supra, la cour utilise la plupart du temps, l’article 544 du Code civil relatif à l’absoluité du droit de propriété ainsi que l’article 545 du même code concernant l’incessibilité forcé du droit de propriété hormis pour cause d’utilité publique moyennant indemnité, afin de justifier l’ingérence du droit de propriété sur le droit au domicile. Elle justifie d’autant plus, d’un point de vue fondamental, cette ingérence en veillant à consacrer une supériorité du droit de propriété sur le droit au domicile en invoquant l’article 17 de la DDHC et l’article 1 protocole 1 de la CSDHLF.

Dès lors, il est évident que la cour semble hiérarchiser le droit de propriété au détriment du droit au domicile en infléchissant la portée de ce dernier vis-à-vis du droit de propriété, alors que tous deux constituent des droits fondamentaux. Cela confirme donc la primauté fondamentale du droit de propriété par rapport à la nature plus conventionnelle du droit au domicile et à la vie privée, suggérant ainsi que le droit de propriété est un droit éminent et fondamental d’une plus grande importance que le droit au domicile et à la vie privée, qui sont considérés ici comme des droits plus traditionnels et non absolue.

Pourtant, en 1789, bien que la propriété a été reconnue comme un droit inviolable et sacré, ce droit a déjà subi des restrictions au fil des réformes sociales du XXe siècle. La Cour de cassation considère dans cet arrêt, que dans le cas d’un conflit entre le droit de propriété et le droit au domicile, il est essentiel de privilégier le respect du droit de propriété au détriment du droit au domicile. Ainsi, en rejetant l’argument basé sur l’article 8 de la CSDHLF pour contester une action en revendication, la haute juridiction établit clairement une hiérarchie objective entre la propriété privée et le respect du droit au domicile.

Dans l’ensemble, cette décision peut être considérée comme potentiellement dangereuse en raison de la façon dont elle hiérarchise les droits fondamentaux et pourrait avoir des conséquences négatives sur la protection des droits individuels, en particulier dans des situations complexes comportant des personnes vulnérables.

La décision semble d’ailleurs expéditive, ne prenant pas en compte d’éventuelles alternatives à l’expulsion et à la démolition, ce qui est quelque peu préoccupant. En effet, une réflexion plus approfondie sur des mesures moins intrusives et rudimentaires pour protéger à la fois le droit de propriété et le droit au domicile aurait pu éviter une hiérarchisation des droits. D’autant plus que cette décision semble insuffisamment attentive à l’impact sur les occupants, en particulier lorsqu’ils sont vulnérables, soulevant ainsi des préoccupations quant à la protection des individus en situation de précarité.

Par conséquent, cette hiérarchisation serait susceptible à terme d’affaiblir le droit de propriété ainsi que les droits fondamentaux environnants à ce dernier, et par la même occasion ébranler la sécurité juridique et les droits individuels. Dès lors, si la Cour continue postérieurement à cette décision, de poursuivre la tendance en rendant des décisions similaires concernant le droit de propriété [16], cela pourrait susciter des inquiétudes à l’avenir et mener à des utilisations abusives du droit de propriété.

C’est pourquoi, il serait souhaitable que dans ses futures décisions jurisprudentielles à venir, la cour vienne à tempérer ses prises de positions et de décisions concernant le droit de propriété, et ce notamment en adoptant une approche plus équilibrée et plus réfléchie dans l’applicabilité de ce droit, tout en statuant avec plus de considération et de nuance envers les acteurs au litige.

David Weber, Etudiant en Droit à l’Université Toulouse 1 Capitole

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Notes de l'article:

[1Jhering, L’évolution du droit, Traduction sur la 3ᵉ éd. allemande par Meulenaere, 1901, p. 342.

[2Cass. civ. 3ème, 17 mai 2018, n°16-15.792.

[3CA Cayenne, 11 janv. 2016.

[4Art 8. de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

[5Art. 554 ; 545 C. civ.

[6Art. 17 de la Déclaration des droits de l’Hommes et du Citoyen, 1789.

[7Art. 1, p°1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

[8Cass. 3e civ., 17 déc. 2003, no 02-10.300, Bull. civ. III, no 241.

[9Cass. civ 3ème, 28 janvier 2021, 19-24.174.

[10Cass, 3ᵉ civ, 15 décembre 2016, n° 16-40.240.

[11Cass. 3e civ., 4 juill. 2019, no 18-17.119.

[12J.L Bergel, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1985.

[13Cour de cassation.fr, Chantal Arens - "Le contrôle de proportionnalité", 01/12/2020.

[14Cass. civ. 3ème, 21 déc. 2017, n° 16-25.406.

[15Cass. 1re civ., 13 janv. 1965, no 62-10.951, Bull. civ. I, no 34.

[16Cass. civ 3ème, 4 juillet 2019, 18-17.119.

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