Extrait de : Droit européen et international

Le tradipraticien face à certains principes du Code de déontologie médicale en Côte d’Ivoire.

Par Sanogo Yanourga, Docteur en droit.

3819 lectures 1re Parution: 4.94  /5

Explorer : # médecine traditionnelle # déontologie médicale # secret professionnel # côte d'ivoire

La médecine traditionnelle qui envisage concurrencer la médecine moderne doit bien entendu se conformer aux règles juridiques. Mais dans la pratique vouloir à tout prix imposer les mêmes règles aux deux corporations risque de créer des confusions qui aboutiront forcément à des conflits.

-

Toutes les sociétés à travers le monde ont à un moment donné de leur existence pratiqué une forme de médecine dite traditionnelle. Dans certaines, elle a été développée et transformée au fil des siècles en médecine moderne. Dans d’autres et c’est le cas de la plupart des pays africains dont la Côte d’Ivoire elle n’a subi aucune mutation significative mais continue à résister malgré tout à la médecine occidentale moderne.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a officiellement reconnu en 1976 la contribution de la médecine traditionnelle en matière de santé communautaire. L’utilisation par le tradipraticien, le « médecin » traditionnel de plantes, de parties d’animaux, de thérapies spirituelles et de diverses croyances pour guérir ses patients est le fondement principal de cette médecine.
La médecine traditionnelle veut jouer aujourd’hui le même rôle que la médecine moderne. Elle a pour ambition de concurrencer la médecine moderne étant donné qu’elle attire une frange très importante de la population, surtout celle des zones rurales. En Côte d’ Ivoire par exemple on ne dénombre pas moins de 8 500 tradipraticiens selon les chiffres officiels fournis par le ministère de la santé et de la lutte contre le sida. Nous pensons que dans les faits ce chiffre est beaucoup plus élevé parce que tous les tradipraticiens ivoiriens ne se sont pas encore déclarés depuis le début de la mise en place du programme national de promotion de la médecine traditionnelle (PNPMT) par l’arrêté N° 253 MSHP/CAB du 10 septembre 2007.

Mais pour rivaliser avec la médecine moderne, la médecine traditionnelle doit satisfaire à certaines exigences nationales, légales et personnelles qui donnent à la médecine moderne toute sa noblesse. L’organisation de la médecine traditionnelle passe nécessairement par le respect de certains principes fondamentaux du droit de la santé et du droit médical repris par le code de déontologie médicale en Côte d’Ivoire. Que serait la médecine traditionnelle ou le tradipraticien s’il n’est pas en conformité avec le droit ? Le médecin traditionnel peut-il jouir d’une reconnaissance nationale s’il ne se soumet pas aux règles juridiques qui régissent le monde médical ? Notamment le secret professionnel, l’interdiction d’associer la médecine au commerce et l’interdiction d’immixtion dans les affaires familiales.

Il y a quelques années, le ministre ivoirien de la santé voulant organiser le secteur a pris un arrêté qui n’a malheureusement jamais vu le jour. A l’article 11 de ce texte, il est précisé que : « les tradipraticiens sont tenus au secret professionnel ». Ce texte rejoint d’une certaine façon l’article 7 de la loi N° 62-248 du 31 juillet 1962 instituant un code de déontologie médicale en Côte d’Ivoire qui affirme que : « le secret professionnel s’impose à tout médecin sauf dérogation par la loi ».
La question que nous nous posons est la suivante, comment contraindre le tradipraticien au secret professionnel quand on sait que le secret ici signifie silence et discrétion pendant et après l’exécution de l’activité qu’on exerce ?
Nous nous interrogeons tout simplement parce que nous estimons que l’initiation et la pratique de la médecine traditionnelle sont essentiellement basées sur l’oralité. Le tradipraticien tient son art de la parole. Dans la tradition africaine, certains praticiens naissent avec ce don, mais il n’en demeure pas moins que la transmission du savoir est exclusivement orale. L’écriture est quasiment inexistante, sauf dans certaines sociétés musulmanes. Même, s’il faut le reconnaitre de nos jours de plus en plus de tradipraticiens ont reçu une formation scolaire conventionnelle. Garder le silence reste donc difficile puisque le tradipraticien qui reçoit un patient parlera du cas qu’il a traité auparavant, il citera parfois le nom du patient guéri et les conditions exactes des soins administrés pour démontrer son talent et son efficacité. Même s’il est vrai que les patients ne se connaissent pas il y’ a malgré tout violation du secret professionnel.

Divulguer ou transgresser le secret devient l’élément probant de ce qu’il a accompli et qui a marché dans le traitement d’un cas donné. Soumettre les tradipraticiens au secret professionnel nécessite en amont qu’ils soient organisés selon les mêmes principes que leurs « confrères » de la médecine moderne. Le manque de formation scolaire, la mobilité du pratiquant et l’ignorance des règles juridiques rendront difficile l’application de ce principe du droit médical. Les médecins ont ensemble décidé de mette en place des règles déontologiques qu’ils ont promis de respecter. En sera-t-il de même pour les tradipraticiens ? Rédiger des règles plus ou moins contraignantes quand on sait que les conditions actuelles d’exercice de leur médecine dans une très grande liberté leur procure entière satisfaction.

Le problème se pose aussi avec l’alinéa 1 de l’article 11 du code de déontologie médicale qui interdit au médecin de faire de la médecine un commerce : « la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce… tous les procédés directs ou indirects de publicité ou réclame sont spécialement interdits… ». L’arrêté mort-né du ministre de la santé prévoyait également une telle disposition en son article 11 : « Les tradipraticiens…doivent s’abstenir de se faire rémunérer plus que nécessaire…ils doivent s’abstenir de toute publicité tapageuse dans les médias et sur la place publique ».
Notons que la pratique de la médecine moderne a mis du temps à s’organiser dans notre pays et cette organisation n’a pas encore atteint le niveau de satisfaction désiré par les populations et « les autorités ». Vouloir à tout prix imposer certaines règles de la médecine moderne à la médecine traditionnelle risque de faire apparaitre plus de problèmes que de solutions. En effet, les médecins qu’ils exercent dans le public ou dans le privé perçoivent un salaire pour les premiers et des honoraires pour les seconds garantis par la loi. On pourrait donc rattacher le cas des tradipraticiens à celui des médecins libéraux. Les honoraires deviendraient donc la rémunération du travail fourni. Le tradipraticien vivant dans l’endroit le plus reculé du pays, pour se faire connaitre n’a-t-il d’autre choix que de se comporter en commerçant usant de la publicité à travers les médias ou sur la place publique. Cette façon d’agir du tradipraticien est un moyen de lui garantir des revenus pour sa survie et celle des siens.

Comment l’en empêcher lorsque de nombreux articles de la constitution ivoirienne du 1er août 2000 protègent l’individu dans son droit à gagner honnêtement sa vie. Il en va ainsi de l’article 17 de la constitution qui dispose que : « Toute personne a le droit de choisir librement sa profession…  », et pour la faire connaitre des autres, l’article 10 prévoit que : « Chacun a le droit d’exprimer et diffuser librement ses idées… ». Même s’il est vrai que l’article 16 pose des réserves en affirmant que : « Le droit de tout citoyen à la libre entreprise est garanti dans les limites prévues par la loi ». Mais ces limites peuvent-elles restreindre l’individu dans sa quête d’un certain idéal social, ce que cette même constitution consacre à travers ses article 2 et 7 en parlant : d’ « …épanouissement de la personnalité… » du citoyen ivoirien.

Quand est-il de l’immixtion du tradipraticien dans la vie familiale des patients ? Peut-on l’empêcher de « parler » à la famille de son patient en toute liberté ? Lui dont le pouvoir provient en partie de sa famille ? Du fait de la transmission du savoir. La médecine moderne se réfère au sein de la famille à la personne de confiance. A cette dernière, le médecin pourra tout dire concernant l’état de santé du patient, tout simplement parce qu’elle jouit de la confiance du patient. Le tradipraticien voudra, tradition africaine oblige parler à tous les membres de la famille parce que pour lui le mal dont souffre son patient pourrait avoir pour origine chacun des membres de la famille. Il y’ aura donc immixtion du tradipraticien dans la famille et forcément violation du secret médical.

Nous pensons que vouloir assimiler la médecine traditionnelle à la médecine moderne est possible à certains niveaux. Mais les règles juridiques encadrant chacune de ces médecines ne peuvent pas être les mêmes. Les règles devant régir la médecine traditionnelle devront nécessairement tenir compte des réalités vécues par les tradipraticiens pas seulement dans nos villes mais surtout dans nos campagnes. Parce que c’est là-bas que prend sa source la médecine traditionnelle et c’est donc tout à fait normal que ce soit là-bas que le droit s’oriente afin de trouver les solutions les meilleures pour une organisation et une pratique plus efficace de cette forme de médecine. C’est peut être pour toutes ces raisons que l’arrêté du ministre n’a toujours pas vu le jour, il faut avant tout acte s’accorder le temps de réflexion nécessaire.

Dr SANOGO YANOURGA

Docteur en droit médical.

syanourga chez yahoo.fr

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

16 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs