Tribunal correctionnel d'Anvers : un verdict sans précédent visant un diplomate iranien. Par Sara Nouri-Meshkati, Avocat.

Tribunal correctionnel d’Anvers : un verdict sans précédent visant un diplomate iranien.

Par Sara Nouri-Meshkati, Avocat.

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Explorer : # terrorisme d'État # attentat déjoué # immunité diplomatique # justice pénale belge

Sur fond de crise sanitaire et nucléaire, l’Iran revient au premier plan de l’actualité internationale à la suite d’un procès historique impliquant un membre du corps diplomatique iranien.

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Par un jugement du 4 février 2021, pour la première fois, un diplomate en fonction, « cerveau opérationnel » d’un acte terroriste d’envergure qui aurait dû se produire en France, heureusement déjoué, a été condamné pour « tentative d’assassinat à caractère terroriste » et « participation aux activités d’un groupement terroriste » à 20 ans d’emprisonnement par la justice pénale belge. Ses trois complices Belgo-iraniens, qui agissaient sous les ordres du diplomate, ont quant à eux écopé de peines allant de quinze à dix huit ans d’emprisonnement.

L’évènement visé par cet attentat qui s’est déroulé le 30 juin 2018 à Villepinte (Seine-Saint-Denis), était un grand rassemblement du Conseil National de la Résistance Iranienne, principale opposition de la République Islamique d’Iran, réunissant des milliers de personnes dont d’éminentes personnalités politiques qui se sont, pour partie, constituées partie civile dans cette affaire.

Les experts belges avaient déjà souligné lors du procès d’Assadollah Assadi et de ses complices que l’onde de choc qui aurait été causée par la bombe d’un genre sophistiqué à base de peroxyde d’acétone (ou TATP) et s’activant à distance aurait pu être à l’origine de dégâts humains considérables étant donné le nombre de personnes présentes.

Une enquête révélant un attentat commandité par le régime iranien.

L’enquête menée à Anvers a révélé qu’Assadi agissait pour le compte du « Département 312 », une sous-section du ministère du Renseignement et de la sécurité (Mois) du régime iranien qui figure sur la liste des organisations classées terroristes par l’Union européenne.

Assadi, qui aurait préparé pendant un an ce projet d’attentat en France, avait notamment été formé à la fabrication d’explosifs avec pour mission principale de collecter des renseignements sur les opposants iraniens, en lien avec le ministère iranien des Affaires étrangères.

Le projet aurait ainsi été organisé de manière minutieuse avec de nombreux voyages d’Assadi en Iran, la mobilisation d’importantes sommes d’argent et des réunions tenues avec ses complices dans plusieurs villes pour finalement atterrir au Luxembourg. La police belge découvrira notamment dans le véhicule Mercedes des complices d’Assadi les 500 grammes de TATP ainsi que trois téléphones portables et la somme de 35 000 euros.

L’instruction a également révélé qu’un mollah réputé proche d’Ali Khamenei, le Guide suprême du régime iranien, a fait le voyage de Téhéran à Vienne, puis à Paris, pour accompagner Assadi dans une mission de reconnaissance en France.

Terrorisme d’Etat.

Selon le parquet fédéral belge, Assadi a donc agi au nom des hauts dirigeants du régime iranien. Le ministère des Affaires étrangères, représenté par son ministre, Mohammad Javad Zarif, aurait facilité la préparation de l’attentat à la bombe en fournissant une couverture diplomatique à Assadi. C’est ainsi que ce dernier aurait utilisé cette couverture pour transférer des explosifs lors d’un voyage d’affaires allégué vers l’Europe, afin de les remettre à ses agents.

Le ministère des Affaires étrangères du régime iranien a tenté à plusieurs reprises d’obtenir la libération d’Assadi en vain et aurait, en tout état de cause, demandé à Assadi de ne pas comparaître lors de son procès qui s’est déroulé lors des audiences des 27 novembre et 3 décembre 2020, en évoquant son « immunité diplomatique ».

Or, ce refus de comparaître témoigne une fois de plus, pour le parquet fédéral belge, qu’Assadi a manifestement agi sous les ordres du régime iranien.

Bien que le tribunal d’Anvers n’ait pas spécifiquement retenu cette position, les révélations de l’enquête menée sur cette affaire emblématique sont une preuve manifeste de l’organisation d’un acte de terrorisme d’Etat.

Côté français, compte tenu des tensions qu’avait suscitées cette affaire d’une extrême gravité entre Paris et Téhéran en 2018, la France s’était bornée à geler les avoirs du vice-ministre iranien du renseignement chargé des opérations, d’Assadolah Assadi et d’une direction du ministère du Renseignement de Téhéran, alors qu’aucun ne possédait d’actifs en France. En septembre 2018, un espion iranien agissant à Paris sous couverture diplomatique avait également été expulsé.

Question d’immunité diplomatique.

Le caractère inédit de ce verdict résulte sans aucun doute dans le rejet par la juridiction pénale d’Anvers de l’argumentation du prévenu et de ses avocats qui s’appuyaient sur son immunité diplomatique. La gravité des faits reprochés à Assadollah Assadi et ses trois complices est telle que ni le parquet fédéral belge, ni le tribunal d’Anvers n’ont retenu cet argument dès lors que l’essence même et l’esprit de l’immunité diplomatique définie dans la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 ont été manifestement violés.

En outre, en vertu de la dite Convention (articles 39 à 42), la protection diplomatique est offerte par l’Etat d’accueil et non par un Etat tiers. Or, Assadi appartient à une mission diplomatique accréditée à Vienne en Autriche. Il a été arrêté dans le cas présent en dehors de l’Autriche, dans un pays tiers, l’Allemagne avant d’être extradé vers Belgique. Or, l’Allemagne ou La Belgique n’avait aucune obligation d’accorder la protection diplomatique à Assadi, dès lors que ce dernier était en voyage touristique, selon ses propres dires, sans lien avec sa mission diplomatique au moment de son arrestation en Allemagne.

Par cette décision, le Tribunal d’Anvers marque ainsi les annales du droit pénal international en validant l’arrestation d’un diplomate en fonction par les autorités d’un pays européen afin qu’il rende des comptes quant à sa participation à une tentative d’acte terroriste qui aurait pu se solder par un véritable carnage.

Sara Nouri-Meshkati
Avocat au Barreau de Paris

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