Une nouvelle pierre à l'édifice du principe de loyauté ? Par Théo Scherer, Doctorant.

Une nouvelle pierre à l’édifice du principe de loyauté ?

Par Théo Scherer, Doctorant.

3195 lectures 1re Parution: 4.97  /5

Explorer : # loyauté de la preuve # droit à l'assistance d'un avocat # procédure pénale # nullité des actes

Le fait de réaliser une séance d’identification des suspects en profitant du départ de l’avocat du mis en cause et de rédiger un procès-verbal qui ne relate pas avec exactitude les circonstances de la séance d’identification est qualifié de stratagème déloyal. C’est ce qu’a affirmé la chambre criminelle dans un arrêt du 28 septembre 2022.

-

Le principe de la loyauté de la preuve est une construction prétorienne qui a connu de nombreuses retouches. A cet égard, la présente affaire (Crim. 28 sept. 2022, n° 20-86.054 et 22-84.210) a conduit à la première application positive de ce principe depuis l’arrêt d’assemblée plénière du 9 décembre 2019.

Sur l’autorisation donnée par le procureur de procéder à la réquisition d’une personne qualifiée.

Écartons rapidement le premier moyen, qui n’était pas relatif à la loyauté de la preuve, mais à l’autorisation donnée par le procureur de la République de procéder à la réquisition d’une personne qualifiée pour réaliser l’examen technique d’une pièce placée sous scellés. L’auteur du pourvoi estimait que la seule mention « sur autorisation du procureur de la République » sur les réquisitions ne suffisait pas à prouver l’existence de cette autorisation.

La Cour de cassation a retenu que ce moyen n’était pas fondé, car l’article 77-1 du Code de procédure pénale ne soumet cette autorisation à aucune forme particulière. Sur ce point, la chambre criminelle ne fait que reprendre sa jurisprudence constante depuis le milieu des années 2000 (Crim. 23 mai 2006, n° 06-83.241 - Crim. 9 janv. 2007, n° 06-87.698  - Crim. 1er févr. 2011, n° 10-83.523, Bull. crim. n° 15 - Crim. 30 mars 2021, n° 20-85.556 ).

Sur la loyauté de la preuve résultant d’une séance d’identification des suspects.

C’est en statuant sur les deuxième et troisième moyens que la chambre criminelle a eu l’occasion de faire application du principe de loyauté de la preuve. En l’espèce, le mis en cause avait participé à une séance d’identification des suspects, aussi appelée parade ou tapissage. Avec trois autres personnes, il s’est tenu devant une glace sans tain qui cachait la victime. Celle-ci a hésité puis a fini par désigner le mis en cause, sans être formelle.

Alors qu’elle allait signer le procès-verbal et que l’avocat du suspect était déjà parti, la victime s’est ravisée et a demandé à revoir la personne qu’elle avait désignée, afin qu’elle puisse reconnaître ses avant-bras. Le mis en cause a donc été présenté seul, en débardeur, et c’est seulement à cet instant que la victime a déclaré le reconnaître formellement.

Le procès-verbal de la séance d’identification présente un récit sensiblement différent du déroulement de ces opérations. Selon cet écrit, un groupe de quatre hommes, porteurs de numéros allant de 1 à 4, a été présenté à la victime. Celle-ci aurait formellement reconnu la personne portant le numéro 1, soit le mis en cause, par son âge, sa taille, ses cheveux et la musculature de ses bras. À la suite de l’envoi d’un courrier de l’avocat de la personne mise en cause au magistrat instructeur, un second procès-verbal, plus conforme à la réalité, a été établi.

Saisie d’un moyen de nullité du procès-verbal de présentation à victime, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Versailles a estimé que la violation du droit à l’assistance par un avocat lors des séances d’identification, figurant à l’article 61-3 du Code de procédure pénale, n’était pas susceptible d’entraîner l’annulation de l’acte. En outre, elle a considéré que les procès-verbaux étaient suffisamment précis et qu’ils avaient été soumis à la discussion des parties. Par conséquent, elle a rejeté le moyen.

Cette décision ne pouvait pas être approuvée. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 juin 2016 et sous la contrainte d’une directive européenne (art. 2 Directive UE 2016/1919 du 26 octobre 2016), le droit français octroie au suspect le droit à la présence de son avocat pendant les séances d’identification.

Il est vrai que certaines formalités du Code de procédure pénale ne sont pas prescrites à peine de nullité (v. par ex. Crim. 14 oct. 2014, n° 14-85.555), mais ce n’est jamais le cas du droit à l’assistance par un avocat. Si elle est demandée, la présence de l’avocat lors des auditions est une formalité substantielle (Crim. 25 avr. 2017, n° 16-87.518), et il n’y a pas de raisons de considérer que la solution devrait être différente au cours d’une séance d’identification. Pour cette raison, et à juste titre, l’auteur du pourvoi invoquait dans son deuxième moyen une violation des articles 61-3 du Code de procédure pénale et 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Toutefois, la Cour de cassation ne va pas se placer sur ce terrain pour casser l’arrêt de la chambre de l’instruction. Bien qu’elle ait visé l’article 61-3, elle l’a associée au principe de la loyauté de la preuve. En effet, le troisième moyen du pourvoi reposait sur ce principe et la chambre criminelle a décidé de le réunir avec le deuxième moyen. Après avoir indiqué que toute personne placée en garde à vue devait pouvoir bénéficier de la présence d’un avocat lors d’une séance d’identification des suspects, elle a repris l’attendu de principe de l’arrêt d’assemblée plénière (Cass. ass. plén. 9 déc. 2019, n° 18-86.767) définissant le stratagème portant atteinte au principe de la loyauté de la preuve : il s’agit du

« stratagème qui, par un contournement ou un détournement d’une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l’un des droits essentiels ou à l’une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie ».

Puis, en relevant qu’une présentation de la personne gardée à vue s’était déroulée sans la présence de son avocat et que les circonstances de la présentation retranscrites dans le premier procès-verbal étaient manifestement inexactes, la Cour de cassation a constaté que la chambre de l’instruction avait méconnu le principe de loyauté de la preuve.

En première analyse, on peut partager l’appréciation de la Cour de cassation pour constater l’existence d’un stratagème déloyal. Il y a bien eu, en l’espèce, le contournement d’une règle de procédure, à savoir l’article 61-3 du Code de procédure pénale qui impose la présence d’un avocat si le mis en cause en fait la demande. Il faut ensuite déterminer si ce contournement d’une règle de procédure a conduit à la violation d’un droit essentiel ou d’une garantie fondamentale de la personne suspectée.

Il ne peut pas s’agir d’une atteinte au droit à l’assistance par un avocat, qui ne peut pas être à la fois une cause et un effet. S’agit-il alors du procès équitable, des droits de la défense, de la présomption d’innocence ? Il semble que la réponse figure dans l’arrêt. En l’espèce, il a été porté atteinte à la règle selon laquelle les procès-verbaux doivent être l’exacte transcription du déroulement des actes d’investigation, qui est bien une garantie fondamentale pour la personne suspectée ou poursuivie.

Sur l’opportunité de la décision

Pourtant, même si l’on constate qu’une violation du principe de loyauté de la preuve pouvait être caractérisée, on se demande si elle devait l’être. En effet, la violation d’une formalité substantielle, ici caractérisée par l’absence de l’avocat, permettait d’obtenir l’annulation du procès-verbal sur le fondement des articles 171 et 802 du Code de procédure pénale. Par ailleurs, dans un précédent arrêt, la Cour de cassation a semblé admettre que les modalités d’organisation d’une parade d’identification qui portaient atteinte au procès équitable étaient susceptibles d’entraîner la nullité de l’acte (Crim. 6 févr. 2018, n° 17-84.380). Quelle que soit l’irrégularité retenue, le mis en examen n’aurait eu aucune difficulté à rapporter la preuve que l’absence de son avocat lui avait causé un grief.

On comprend donc qu’une violation du principe de la loyauté de la preuve est susceptible de se superposer à la violation d’une formalité substantielle. Cette solution conduit à un risque d’hypertrophie du principe de loyauté, en l’appliquant à des affaires où l’annulation d’un procès-verbal pouvait d’ores et déjà être obtenue. Dès lors, on peut craindre que la jurisprudence à venir sur ce principe soit relativement confuse. Au gré des circonstances, la même irrégularité pourra parfois conduire à l’annulation de l’acte pour violation du principe de la loyauté et d’autres fois sur le seul fondement de la disposition violée.

Il est vrai que c’est le pourvoi qui avait invoqué une violation du principe de loyauté de la preuve. Mais la Cour de cassation n’était pas tenue de lui répondre. Elle aurait pu, après avoir constaté une violation de l’article 61-3 du Code de procédure pénale, dire qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le troisième moyen.

En profitant de l’occasion qui lui était donnée de préciser la notion de stratagème déloyal, il n’est pas certain que la chambre criminelle se soit engagée sur la voie d’une clarification.

Théo Scherer - Doctorant à l’Institut caennais de recherche juridique (UR 967), ATER à l’université de Caen Normandie

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

1 vote

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs