La valeur du droit de l'OHADA, par Barthélemy Mercadal

Extrait de : Droit européen et international

La valeur du droit de l’OHADA, par Barthélemy Mercadal

Barthélemy Mercadal, Agrégé des facultés de droit, Vice président de l’Institut International de Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises (IDEF, www.institut-idef.org), Président du comité de rédaction du Code IDEF annoté de l’OHADA.

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Explorer : # droit des affaires # uniformisation juridique # accessibilité juridique # investissement économique

Le professeur Barthélemy MERCADAL nous présente ici les mérites que peut offrir l’OHADA par un article intitulé "Sur la valeur du droit de l’OHADA".

Cet article est une communication présentée lors du séminaire international sur «  Le droit africain et le développement social » ("The African Law and Social development" qui s’est tenu à l’université de Xiangtan en Chine du 28 octobre au 2 novembre 2009.

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Sur la valeur du droit de l’OHADA

Article au format Word

C’est un droit qui est arrivé parce qu’il fallait combler le désordre de l’ordre juridique, dont il résulte un handicap pour assurer le développement social et économique. Avant lui, le même phénomène s’est produit ailleurs : en Allemagne, où le droit romain a été reçu, à partir du XIVéme siècle, parce qu’il fallait combler le vide de l’ordre juridique allemand, qui n’était fait que d’une multitude de coutumes d’application territoriale ; en Chine, après la politique de « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne » qui avait dénoncé le droit comme une contrainte bourgeoise sur les masses, lorsqu’elle a lancé la « politique des Deux Mains » (1), joignant le développement économique et le renforcement du système juridique . La Chine s’est alors dotée d’une batterie de lois dont l’objet était identique à celui des actes uniformes de l’OHADA : créer un ordre juridique écrit générateur de sécurité et d’efficience pour les opérateurs économiques.

Par là même, les actes uniformes présentent une parenté avec les lois chinoises. Tous ces textes sont de droit écrit ; ils en présentent les mêmes caractéristiques, notamment celle d’un droit aisément maîtrisable. Tous ces textes ont aussi une autre caractéristique commune ; ils datent pour la plupart de la dernière décennie du XXème siècle ; ils ont une origine contemporaine qui les rend fiables pour la vie économique actuelle.

Ainsi, le droit africain des affaires, comme le droit chinois des affaires, est, à nos yeux, un droit qui répond à cet objectif recherché de création d’un ordre juridique valable, car il est maîtrisable et fiable.

I- Le droit OHADA : un droit maîtrisable

Tout juriste peut devenir un utilisateur de la législation uniforme de l’OHADA : les textes des actes uniformes sont à sa portée, car aisément appréhendables, et, une fois acquis, il peut compter sur leur application uniforme dans toute la sphère OHADA.

A. Appréhension du droit OHADA

Les contenus des actes uniformes sont facilement consultables et intellectuellement accessibles.

a. Appréhension matérielle

Les actes, numérotés par article, constituent un code de droit des affaires qui, sous sa forme matérielle, peut tenir dans la main. La recherche livresque du texte ciblé peut être conduite à partir du plan analytique qui ouvre chaque acte uniforme. Celle menée sur un site internet est encore plus directe puisqu’elle peut se faire par le mot lui-même qui caractérise le texte en question.
Par exemple, sur le site www.institut-idef.org, il suffit après avoir sélectionné le bandeau déroulant « Nouveau : Code IDEF annoté de l’OHADA », d’inscrire le mot retenu dans la case de recherche pour obtenir sous les yeux tous les textes contenant ce mot ainsi qu’au-dessous les décisions de justice citées dans les annotations qui l’emploient.

De plus, le contenu des actes uniformes, grâce aux efforts de l’Association pour l’Unification du Droit en Afrique (UNIDA), est aujourd’hui consultable en anglais, en arabe et en espagnol et il est accessible par Internet sur les sites : www.ohada.com ; www.institut-idef.org ; certes, à partir de l’Afrique, la consultation est souvent lente et coûteuse ; mais la situation devrait rapidement changer car de nouveaux câblages reliant l’Afrique au reste du monde sont annoncées pour 2010 et 2011 (Le Monde 22-8-09).

b. Appréhension intellectuelle

Le droit OHADA est un droit qui ne déroute pas. Il correspond à une tradition historique profonde qui le fait remonter au fond des âges des lois écrites (2). Tout juriste formé à un système juridique de droit écrit peut donc l’aborder aisément avec ses propres modes d’utilisation du droit. Dans un tel système, en effet, la norme à suivre doit être tirée de la loi. Or, pour la tirer d’une loi, quelle qu’elle soit, la méthode est identique : il faut mettre à jour le sens de la loi et rechercher son adéquation au cas à résoudre. De ce point de vue, découvrir la portée de la disposition d’un acte uniforme revient au même que de se livrer à cette démarche sur une disposition de n’importe quelle autre loi, chinoise notamment.

C’est un droit qui peut s’apprendre. Les textes ne pouvant pas être de longueur démesurée, ils sont généralement ramenés à l’essentiel et leur mémorisation en est facilitée. Se trouve ainsi satisfait le besoin primordial rencontré par le juriste qui a à rédiger un contrat, à donner un conseil pour guider une action ou à trancher un litige. Il lui faut au minimum connaître les règles les plus déterminantes. Cela explique que celles-ci soient aujourd’hui bien connues de tous les juristes qui interviennent en Afrique.

C’est un droit rédigé en termes accessibles. Le vocabulaire utilisé a déjà été éprouvé par son emploi dans d’autres législations.

Il n’est pas inflationniste dans ses dispositions qui restent mesurées (aujourd’hui, 2000 articles environ couvrent de larges secteurs du droit des affaires).

Il est adapté à la société qu’il régit et compte suffisamment de formules abstraites pour permettre son adaptation aux évolutions majeures.

Il peut être aidé dans son application lorsqu’apparaît une difficulté, ce qui est inéluctable car, pour être juste et efficace, le droit ne peut pas être vraiment simple. Les contestations relatives à la mise en œuvre des textes étant le lot commun de toutes les lois écrites, des solutions valables pour celles nées du droit OHADA peuvent être trouvées dans les applications jurisprudentielles venant d’autres législations qui ont avec lui une étroite parenté (3). Tel est le cas des législations inspirées de la culture civiliste, qui sont tant de langue française (belge, luxembourgeoise, suisse) que de langue espagnole (Espagne et Amérique latine) ou portugaise (Portugal et Brésil).

Les décisions de justice rendues dans ces pays peuvent jouer un rôle supplétif pour favoriser une application de l’OHADA efficiente ; toutes ces jurisprudences sont autant d’exemples d’expérimentation d’une règle qui se retrouve dans chacune d’elles dans des termes comparables. Non seulement ce vivier procure une économie de temps et d’argent dans la maturation de la solution mais, plus encore, il apporte un fonds commun source d’enrichissement. Car, si une disposition est identique dans deux ou trois législations nationales, la solution donnée peut soit être transposée telle quelle, soit être améliorée ou adaptée à une contingence locale. Elle a en toute hypothèse une valeur exemplaire à la disposition des juristes appliquant l’OHADA. Et de ce fait, le droit OHADA n’apparaît pas comme un droit abstrait, privé de tout enracinement juridique.

B. Application uniforme du droit OHADA

Comme il a déjà dit, le droit OHADA est le même dans seize pays. Ce qui signifie qu’il est le droit d’une aire économique et d’affaires concernant une population de 170 millions, dont le produit intérieur brut s’est accru de 4 à 5 % depuis les années 1980 jusqu’à la crise mondiale dite des « subprimes ». L’investisseur qui passe du Sénégal ou de Guinée au Gabon, du Mali en Guinée Bissau ou équatoriale, n’a donc pas à s’interroger sur le droit des affaires de chacun de ces pays.

Il peut même compter sur une application unique dans toute la sphère. La Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) assure une uniformité de la jurisprudence (4). Certes, à ce jour, celle-ci n’est pas parfaitement réalisée. Mais elle l’est déjà au moins en partie et, avec le temps, elle ne pourra que s’améliorer. Le potentiel d’uniformisation est inscrit dans son fonctionnement.

D’une part, dans tout pays de la zone, les décisions de cette cour sont immédiatement applicables, sans aucune formalité de réception. D’autre part, la cour peut aussi favoriser l’émergence d’un droit unifié en rendant des avis ; cette attribution est susceptible d’une grande efficacité pourvu que ceux qui y ont intérêt la provoquent ; en effet, sa saisine est largement entendue : elle peut être sollicitée, non seulement par les juridictions nationales de premier degré et d’appel qui ont un litige embarrassant à résoudre, mais aussi par un Etat partie ou par le Conseil des ministres de l’OHADA ; or, cette dernière possibilité pourrait être d’une efficacité non négligeable : il suffirait, à cet effet, qu’à l’occasion de la préparation d’un investissement important par un apporteur étranger de capitaux, un doute s’élève entre les négociateurs sur le sens à donner à un ou plusieurs textes d’un quelconque acte uniforme, l’investisseur mette comme condition à son accord que l’Etat avec lequel il est en pourparlers use de son droit de saisir la cour pour obtenir une clarification sur le sens à retenir.

II- Le droit OHADA : un droit fiable

Les actes uniformes sont fiables parce qu’ils offrent un droit moderne ; ils posent des prescriptions dans les domaines où se manifestent les besoins actuels de la vie économique et retiennent des solutions qui permettent aux opérateurs d’agir en confiance.

A. Le droit OHADA : un droit fiable par son domaine

Les actes uniformes traitent des sujets qui font le cœur du droit des affaires dans toutes les législations. Les questions abordées correspondent aux besoins universels de la vie des affaires.

Quelles questions se posent un investisseur qui veut lancer une activité dans un pays étranger ? Suivons le cheminement de ses besoins et des réponses du droit OHADA.

Au commencement, s’il est en relation avec des acteurs locaux de l’économie sur lesquels il a besoin de se renseigner, il a la possibilité de consulter le registre du commerce et du crédit mobilier.

Dès qu’il a pris la décision de s’implanter, il lui faut, évidemment, une structure d’accueil de son activité ; le plus souvent, aujourd’hui, il choisit pour cela de constituer une société commerciale ; l’acte uniforme « Sociétés » lui offre une législation adaptée : il est pratiquement conforme au droit en vigueur dans tous les pays du monde ;

Dès qu’il recherchera une localisation, il lui faudra soit acquérir un immeuble, soit le louer ; s’il opte pour cette dernière solution, il trouvera dans l’acte uniforme « Droit commercial général » la loi sur le bail qui lui apportera, comme il en est dans beaucoup de législations, la sécurité d’un droit au renouvellement du bail, avec, en cas de refus injustifié, une indemnisation de son préjudice sous la forme d’une indemnité d’éviction.

Dès qu’il éprouvera la nécessité de recourir au crédit pour financer les dépenses d’installation de son activité, il lui faudra des financements qu’il n’obtiendra qu’en fournissant à son prêteur des garanties sécurisant le remboursement des emprunts ; l’investisseur aura alors la possibilité de puiser dans les diverses formules que l’acte uniforme « Sûretés » lui offre.
Quand viendra l’heure de se livrer à son activité, il disposera aussi, en cas de besoin, des modalités juridiques établies pour la vente des marchandises, leur distribution à l’aide d’intermédiaires du commerce et leur transport, à travers l’acte uniforme « Droit commercial général » et l’acte uniforme « Transports ».

Et comme les affaires sont malheureusement, un jour ou l’autre, génératrices de contestations et de manquements aux engagements pris, il pourra user, en cas de non-paiement, circonstance la plus à redouter dans la vie économique, de l’acte uniforme sur les « procédures de règlement simplifiées et voies d’exécution » ainsi que de la mécanique, en cas de cessation des paiements, de l’acte uniforme sur les procédures collectives, deux actes qui mettent à sa disposition des solutions conformes au droit des affaires généralement pratiqué dans le monde sur ce terrain.

Enfin, s’il faut en arriver aux litiges, l’investisseur pourra écarter la juridiction étatique en mettant en application l’acte uniforme sur l’« arbitrage » s’il éprouve de la suspicion pour le juge national, comme c’est le cas de la généralité des investisseurs étrangers. Tout juriste et tout opérateur économique participant au commerce international sait, en effet, que le recours à l’arbitrage est la règle. Le droit OHADA a pris en compte cette réalité.

Bien entendu, aussi réconfortants soient-ils les actes uniformes ne suffisent pas, tels qu’ils sont en l’état, à tous les besoins économiques ; font encore défaut, en particulier, un acte uniforme sur les contrats et un autre sur le droit du travail, pour lesquels des projets ont été élaborés mais dont l’adoption définitive se fait attendre.

B. Le droit OHADA : un droit fiable par la qualité de ses solutions

Le droit OHADA n’est pas un droit artificiel : c’est un droit enraciné dans les besoins de la vie des affaires tant par ses textes que par les applications qu’en font ses juges.

a. Le droit OHADA est un droit réaliste, qui s’est inspiré des solutions qui ont fait leurs preuves dans d’autres législations. Voici quelques exemples significatifs de règles tenues pour efficaces :

- en matière de recouvrement des paiements, il propose deux procédures reconnues pour leur rapidité d’exécution : l’injonction de payer, qui est l’objet d’un règlement de la Communauté européenne applicable de plein droit dans toute la Communauté (5), la saisie-attribution qui s’exécute par exploit d’huissier et l’exécution par provision du titre exécutoire ;

- en matière de transport, il prend son inspiration dans la convention internationale sur le transport de marchandises par route en application depuis 1956 et qui a donné lieu à une multitude de décisions de justice émanant de tous les pays européens, Royaume-Uni y compris ;

- en matière de procédures collectives, il tente, comme toutes les législations actuelles, le sauvetage de l’entreprise en difficultés par la voie du concordat convenue avec les créanciers ;

- en matière de registre du commerce et du crédit mobilier, il pourra à terme bénéficier d’une gestion informatisée qui rendra plus aisée la consultation des informations recueillies ;

- en matière contentieuse, il ouvre la voie, chaque fois que les lenteurs du système juridictionnel font courir un risque à une partie, à un recours devant le juge de l’urgence ;

- en matière de sûreté, il traite des garanties les plus rencontrées dans la pratique des affaires, telles que cautionnement, droit de rétention, gage et nantissement, hypothèques, mais aussi des plus récentes, comme les lettres de garantie.

A tant vouloir se conformer aux exigences des opérateurs du commerce international, le droit OHADA encourt le reproche, régulièrement entendu, de ne pas tenir compte des spécificités africaines ; il est vrai qu’il y en a sur les mœurs, les relations familiales, les pratiques religieuses ou spirituelles ; mais on en connaît peu ou pas pour traduire les relations d’affaires d’une économie moderne enserrée dans les mailles de la globalisation ; par ailleurs, son objectif directeur est de répondre aux préoccupations d’un investisseur étranger ; or, par hypothèse, celui-ci est immergé dans l’économie mondiale ; il lui faut donc retrouver les outils juridiques qui sont utilisés dans cette économie ; pour cela, il lui faut un droit comparable à ceux par lesquels fonctionnent cette économie-monde ou planétaire.

Mais le droit OHADA n’est pas seulement une collection de dispositions législatives théoriques. Il est vivant : tous les jours, dans chaque Etat partie, les juridictions sont sollicitées et se livrent à des applications des textes des actes uniformes. Jimmy Kodo vous le démontrera amplement en vous présentant la jurisprudence née de ces dispositions dont on peut, d’ores et déjà, apprécier la valeur à l’aide de quelques exemples.

b. Le droit OHADA reçoit des applications qui révèlent, en effet, que ses juges sont aptes à le saisir et à le faire vivre. Cette appréciation peut être illustrée par quelques solutions caractéristiques de la démarche des juges, glanées parmi les décisions présentées et annotées par Jimmy Kodo qui révèlent :

- une attitude hostile à l’arbitraire et encline au respect de l’état de droit (6) ;

- un raisonnement correct (7) ;

- un recours au fonds commun de la jurisprudence civiliste, notamment française (8) ;

- une marque d’indépendance des juges par rapport à l’Etat (9) ;

- une recherche de l’efficacité (10).

Ces solutions qui appellent l’approbation ne doivent pas conduire à penser que toutes les décisions échappent aux critiques ; Jimmy Kodo vous donnera des exemples de ce que l’on pourrait qualifier de « mal jugé ». Mais elles attestent, à tout le moins, que les appréciations négatives ne sauraient être systématiques et que, si tout n’est pas idéal au royaume de l’OHADA, il existe des prémices qui permettent d’espérer une justice à la recherche de sa propre amélioration.

A notre avis, il résulte du contenu des actes uniformes, de leur accessibilité et de leurs applications, certaines du moins, que l’opérateur économique étranger, pour l’essentiel, ne saurait se dire dépaysé ; il sera en présence d’un ordre juridique comparable à celui qu’il a déjà l’habitude de rencontrer dans les pays occidentaux ; il pourra s’en rendre compte en comparant les décisions rendues par les juridictions de l’OHADA et celles des autres pays, tant de culture civiliste que de common law, que Jimmy Kodo va vous présenter (11).

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Notes :

(1) G. Cuniberti, Grands systèmes de droit contemporain, LGDJ, 2007, n° 422 à 442.

(2) C’est dans la Haute Antiquité, bien avant Jésus-Christ, le code d’Hammourabi en Mésopotamie, les hiéroglyphes égyptiens de l’époque pharaonique, puis le « décalogue », et, se rapprochant de nous, en en 618 et en 450 avant J-C, d’une part, en Chine les codes de la dynastie impériale (G. Cuniberti, précité) et, d’autre part la loi des 12 Tables dans la Rome antique ; ensuite, c’est après Jésus-Christ, le code Justinien au VIème siècle, rassemblant le droit romain qui inspira, à partir du XIIIéme siècle la législation occidentale, et, peu après, le Coran, livre « incréé » mais qui devient à son tour, par le récit qu’en fait le prophète, une loi écrite d’où le droit doit sortir.

(3) Voir le code annoté IDEF de l’OHADA et les exemples de jurisprudence comparée.

(4) Sur le rôle de la CCJA, voir B. Bayo Bibi, Le rôle de la Cour commune de justice et d’arbitrage dans la sécurisation de l’espace OHADA, thèse, 2009, Université de Caen, France.

(5) Règlement CE 1896/2006 du 12 décembre 2006.

(6) Par exemple, jugé :
- n’est pas certaine la somme correspondant au reliquat d’une créance partiellement soldée : en effet, si une créance initiale matérialisée par quatre traites et un chèque revenus impayés à échéance, était certaine, liquide et exigible, il n’en est pas de même du reliquat de cette somme lorsque le débiteur a effectué un remboursement partiel. Par conséquent, si la créancière ne précise, ni dans la requête aux fins d’injonction de payer, ni dans les différentes écritures versées aux débats, les modalités de paiement de la différence entre la créance initiale et le reliquat dont elle réclame le paiement, et ne produit pas les justificatifs dudit reliquat, sa créance n’est pas certaine pour le montant du reliquat. C’est donc en violation de l’article 1 et 13 de l’AUPSRVE que la cour d’appel a confirmé l’injonction de payer pour le reliquat et son arrêt encourt la cassation (CCJA, N° 062/2005, 22-12-2005 : Sté COM-CI c/ SCI-LES ROSIERS, recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 95. – Le Juris-Ohada, n°2/2006, p. 40, www.ohada.com, Ohadata J-06-47) ;
- n’est ni certaine, liquide et exigible la créance relative à des dommages-intérêts réclamés à titre d’indemnité réparatrice de la rupture d’un lien contractuel (CA Abidjan, ch. civ. & com., n° 644, 11-6-2004 : A. A. G. c/ STE KPMG et un autre, www.ohada.com, Ohadata J-05-338). Obs. Jimmy Kodo : Il convient de préciser que dans le cas d’espèce, il s’agissait d’une demande de dommages intérêts suite à la rétractation d’une offre de location d’un bail commercial préalablement acceptée par courrier, ce qui équivaut, selon la cour, à une rupture du lien contractuel donnant droit à l’indemnité réparatrice. En l’absence d’acceptation de cette demande et de liquidation des dommages intérêts par un tribunal, il n’y avait pas de créance susceptible de faire l’objet d’une injonction de payer, les conditions requises par l’article 1 de l’AUPSRVE n’étant pas remplies. Mais en cas de condamnation définitive, les dommages intérêts liquidés par un tribunal remplissent à notre sens les conditions de l’article 1 de l’AUPSRVE, ce qui n’était pas le cas dans l’espèce.

(7) Par exemple, jugé :
- à propos du titre exécutoire par provision : il résulte de l’art. 32 de l’AUPSRVE qu’un titre exécutoire par provision peut donner lieu à une exécution forcée au seul choix du créancier poursuivant qui accepte le risque d’une condamnation à la réparation intégrale du préjudice causé au débiteur provisoirement condamné si la décision n’est pas ultérieurement confirmée en appel. Lorsqu’une exécution forcée a été entamée sur la base d’un jugement assorti de l’exécution provisoire, mais que cette exécution ne concernait pas l’adjudication d’immeuble, c’est en violation de l’art. 32 de l’AUPSRVE que la cour d’appel a confirmé le jugement ayant suspendu partiellement l’exécution forcée entreprise alors même que la régularité de la saisie-attribution pratiquée n’a pas été mise en cause, et son arrêt encourt la cassation. Sur évocation, l’ordonnance de suspension doit être infirmée et l’exécution poursuivie (CCJA, 2ème ch., n° 8, 9-3-2006 : Ayants droit de K.O.K. c/ la SIDAM et la CARPA, Le Juris-Ohada, n° 3/2006, p. 28 ; www.ohada.com, Ohadata J-07-15) ;
- à propos du certificat de non opposition non définitif : un certificat de non opposition délivré postérieurement à l’opposition faite contre une décision rendue par défaut ne peut valablement fonder l’exécution forcée de ladite décision, le titre en cause n’étant pas devenu définitif puisqu’il est contesté par l’opposition (CA Abidjan, ch. civ. & com., N°192, 3-2-2004 : M. M. A. c/ M. Z. A., www.ohada.com, Ohadata J-05-337). Obs. Jimmy kodo :Cette décision indique que le certificat de non opposition délivré après une opposition contre la décision ne rend pas la décision définitive, le jugement sur opposition à intervenir étant lui-même éventuellement susceptible d’appel. Dès lors ledit jugement qui n’est pas à l’abri de voies de recours ne peut constituer un titre exécutoire.
- à propos du concours entre des saisies et d’une procédure collective : le principe de l’attribution immédiate des sommes au créancier premier saisissant est mis en échec par les dispositions organisant les procédures collectives (CA Dakar, N° 222, 12-4-2001 : Abdoulaye DRAME ès qualité liquidateur de la Nationale d’Assurance c/ CBAO S.A, M. N. et 24 autres, www.ohada.com, Ohadata J-06-59).

Il est de principe général depuis le droit romain que le premier titulaire d’un droit prime ceux qui ont acquis ce même droit après lui (« prior tempore, potior jus). Par ailleurs, les règles des procédures collectives dont le but est de parvenir à un traitement aussi égal que possible des créanciers est incompatible, par principe même, au paiement du premier réclamant, paiement dit en culture juridique civiliste « paiement au prix de la course » ou, autrement dit, paiement du premier poursuivant, sous-entendu qui a gagné la course.

(8) Par exemple, jugé :
- inapplicabilité de la théorie de la gare principale à défaut de succursale : lorsque la société débitrice poursuivie en paiement a son siège social à Douala (Cameroun), la théorie de la gare principale et de la simulation invoquées par la créancière pour retenir la compétence du juge tchadien ne sont applicables que si la société tchadienne est la succursale ou l’agence de la société immatriculée au Cameroun ; en l’absence de ce lien juridique, la juridiction territorialement compétente est celle de Douala (Cameroun) (CA N’Djaména, N° 281/2000, 5-5-2000 : SDV Cameroun et SDV Tchad c/ STAR NATIONALE, Rev. Juridique Tchadienne, N°1, mai-juilet 2001, P. 21 ; www.ohada.com, Ohadata J-06-58) ;
- condamnation du créancier à payer des dommages intérêts pour procédure abusive : l’art. 75 de l’acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif, ordonne la suspension des poursuites individuelles contre un débiteur déclaré en redressement judiciaire. Le créancier qui a initié deux procédures d’injonction de payer à l’encontre de son débiteur en redressement judiciaire doit être condamné à supporter les dépens et payer à ce dernier des dommages intérêts, même s’il s’est désisté de son action lors de l’audience d’opposition (TGI Ouagadougou, n°415/2005, 29-9-2005 : KORGO Issaka c/ Banque Internationale du Burkina (BIB), www.ohada.com, Ohadata J-07-112) ;
- indignité ou déloyauté procédurale : le fait pour le créancier d’énumérer dans l’acte de dénonciation toutes les juridictions de la ville ne constitue pas la désignation de la juridiction voulue par l’article 160 de l’AUPSRVE, mais procède plutôt d’un désir d’embrouiller l’adversaire et l’induire en erreur (CA Littoral, n°120/ REF, 18-9-2000 : CDC c/ Sté Fresh Food Cameroon, www.ohada.com, Ohadata J-07-72).

(9) Par exemple jugé :
- à propos de la responsabilité de l’Etat : l’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et autres titres exécutoires, le refus ou la carence entraîne sa responsabilité qui ouvre droit à réparation. Cependant la responsabilité de l’Etat résultant de l’article 29 de l’AUPSRVE ne constitue pas une responsabilité de substitution mais plutôt une responsabilité résultant de sa propre faute dans l’exercice de sa mission de service public. Par conséquent, si malgré le refus de l’Etat de prêter main forte, le créancier ne se trouve pas dans une situation de péril totale pour recouvrer sa créance, car pouvant toujours la mettre en exécution, la réparation de son dommage doit être réduite à un montant raisonnable (TRHC Dakar, 14-7-2004 : TRANSAIR c/ Sté EEXIMCOR AFRIQUE, Revue internationale de droit africain EDJA, n° 65 juillet-septembre 2005, p. 79 ; www.ohada.com, Ohadata J-06-02) ;
- atténuation de l’immunité d’exécution par la compensation : l’article 30 de l’AUPSRVE pose, en son alinéa 1er, le principe général de l’immunité d’exécution des personnes morales de droit public, et en atténue les conséquences en son alinéa 2, à travers le procédé de la compensation des dettes. Ladite compensation, qui s’applique aux personnes morales de droit public et aux entreprises publiques, ne peut s’analyser que comme un tempérament au principe de l’immunité d’exécution qui leur bénéficie en vertu de l’alinéa 1er dudit texte. C’est donc à juste titre qu’une cour d’appel a jugé que « l’article 30 al. 1 de l’AUPSRVE pose le principe d’immunité d’exécution, et que les entreprises publiques, catégorie dans laquelle est classée la société défenderesse au pourvoi, figurent dans l’énumération des sociétés contre lesquelles s’applique la compensation… », et le moyen basé sur la violation de dispositions nationales contraires doit être rejeté (CCJA, N° 043/2005, 7-7-2005 : Aziablévi YOVO et autres c/ Sté TOGO TELECOM, recueil de Jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 25.- Le Juris-Ohada n° 1/2006, p. 8. Voir obs. Filiga Michel SAWADOGO in Ohadata D-07-16 ; www.ohada.com, Ohadata J-06-32). Obs. Jimmy Kodo : En l’occurrence, la violation de l’article 2 de la loi togolaise n° 90/26 du 4-12-1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques était invoquée par les demandeurs au pourvoi. Cet article dispose que « les règles du droit privé, notamment celles du droit civil, du droit du travail et du droit commercial, y compris les règles relatives aux contrats et à la faillite, sont applicables aux entreprises publiques, dans la mesure où il n’y est pas dérogé par la présente loi. Les entreprises publiques sont soumises aux règles du plan comptable national. La réglementation générale sur la comptabilité publique ne leur est pas applicable ». Le rejet de l’application de cette disposition nationale par la CCJA s’explique par le fait qu’en soustrayant les entreprises publiques du régime de droit public pour les soumettre au droit privé, elle les prive de l’immunité d’exécution dont elles bénéficient désormais sous l’empire de l’art. 30 de l’AUPSRVE. Il est justifié par la portée abrogatoire de l’AUPSRVE prévue par l’art. 10 du Traité OHADA et l’art. 336 de l’AUPSRVE. On peut y voir une illustration de l’application des effets d’une loi plus douce (l’immunité d’exécution en l’occurrence), aux entreprises publiques et assimilées.

(10) Par exemple, jugé :
Biens concernés par la continuation des poursuites de saisie : les demandes relatives à la propriété ne font pas obstacle à la saisie, mais suspendent la procédure de saisie-vente pour les biens saisis qui en sont l’objet. La continuation des poursuites doit être ordonnée pour les biens faisant l’objet d’une demande de distraction lorsque lesdits biens ne sont pas la propriété du tiers-saisi (CCJA, N° 052/2005, 15-12-2005 : B. K. Edith c/ K. K. Jonas, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 6, juin-décembre 2005, p. 72.- Le Juris-Ohada, n° 2/2006, p. 2 ; www.ohada.com, Ohadata J-06-42). Obs. Jimmy Kodo : La saisie d’objets a eu lieu dans les locaux de la débitrice. Cependant une autre personne se prétendant propriétaire de certains des objets saisis, et revendiquant de ce fait la qualité de tiers-saisie demanda la distraction. La distraction est refusée par la CCJA au motif que les objets ont été saisis dans des locaux appartenant à la débitrice, à laquelle lesdits objets sont présumés appartenir. Et à défaut de preuve de que ces objets appartiennent au prétendu tiers, l’action en distraction doit être rejetée et la continuation des poursuites ordonnée.

(11) L’IDEF saisit cette occasion pour faire part de son intérêt à recevoir des décisions de justice chinoises qu’il ferait figurer en illustration de son code annoté, comme il le fait pour toutes les jurisprudences dont il peut avoir connaissance.

Ressources bibliographiques :

Penant, Editions Juris Africa, 10, rue Mesnil, Paris ;
Revue Juridique et Politique des Etats francophones, Editions Juris Africa, 10, rue Mesnil, Paris ;

Liste des actes uniformes et leurs abréviations :

ACTE UNIFORME ADOPTE LE 17 AVRIL 1997 RELATIF AU DROIT COMMERCIAL GENERAL - 289 articles (JO Ohada N°1 du 1er octobre 1997, p.1) : AUDCG

ACTE UNIFORME ADOPTE LE 17 AVRIL 1997, RELATIF AU DROIT DES SOCIETES COMMERCIALES ET DU GROUPEMENT D’INTERET ECONOMIQUE - 920 articles (JO Ohada n° 2 du 1er octobre 1997) : AUSCGIE

ACTE UNIFORME ADOPTE LE 17 AVRIL 1997, PORTANT ORGANISATION DES SÛRETÉS - 151 articles ( JO Ohada n°3 du 1er Octobre 1997) : AUSûretés

ACTE UNIFORME, ADOPTE LE 10 AVRIL 1998, PORTANT ORGANISATION DES PROCÉDURES SIMPLIFIÉES DE RECOUVREMENT ET DES VOIES D’EXÉCUTION - 338 articles (JO Ohada n° 06 DU 1 Juillet 1998) : AUPSRVE

ACTE UNIFORME, ADOPTE LE 10 AVRIL 1998, PORTANT ORGANISATION DES PROCEDURES COLLECTIVES D’APUREMENT DU PASSIF - 258 articles (JO Ohada n° 7 du 1er Juillet 1998) : AUPCCAP

ACTE UNIFORME RELATIF AU DROIT DE L’ARBITRAGE ADOPTE LE 11 MARS 1999 - 36 articles (JO Ohada N° 08 du 15 mai 1999, p.2) : AU Arbitrage

ACTE UNIFORME RELATIF AUX CONTRATS DE TRANSPORT DE MARCHANDISES PAR ROUTE - 31 articles : AU Transports.

Barthélemy Mercadal, Agrégé des facultés de droit, Vice président de l’Institut International de Droit d’Expression et d’Inspiration Françaises (IDEF, www.institut-idef.org), Président du comité de rédaction du Code IDEF annoté de l’OHADA.

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