Cette définition se révèle être un facteur de confusion (I) alors même que la médiation revêt une réalité à la fois conceptuelle et pratique précise (II).
I. Une définition légale facteur de confusion.
La définition de la médiation donnée par le législateur a au moins l’avantage de l’œcuménisme. Elle permet en effet de prendre en compte l’ensemble des processus – le terme utilisé par le législateur impliquant la mise en œuvre d’une méthode précise – par lesquels des parties en conflit vont tenter de trouver un accord amiable, avec l’assistance d’un tiers, dans un contexte conventionnel comme judiciaire.
A cet égard, le positionnement de ce tiers dans la recherche et la définition éventuelle de l’accord final, autant que les spécificités des processus à l’œuvre, demeurent non précisés, c’est-à-dire ouverts à la plus grande diversité d’approches.
Et c’est bien là que réside le problème.
Car une définition, pour être utile, doit avant tout être opératoire. C’est-à-dire :
- D’une part, permettre de discriminer précisément entre ce qui relève de son champ d’application – et doit alors entrer sous la dénomination à laquelle elle renvoie – et ce qui n’en relève pas, quand bien mêmes des similarités existeraient.
- D’autre part, permettre a minima de distinguer entre des dénominations différentes.
Or, la définition légale de la médiation, dont le champ d’application s’avère trop vaste (A) et qui répond à deux dénominations pourtant distinctes (B), ne satisfait aucune de ces exigences.
A. Une définition au champ d’application trop vaste.
En matière de médiation, le besoin d’une clarification législative n’a jamais été aussi prégnant. Le terme est en effet aujourd’hui couramment employé pour désigner des pratiques qui n’ont que peu de choses en commun les unes avec les autres en termes de concept comme de contexte, si ce n’est le principe du recours à un tiers pour « aider » à solutionner à l’amiable un conflit lato sensu.
Or, de ce point de vue, la définition légale n’arrange rien. En effet, force est de constater que peuvent indifféremment entrer dans la catégorie des médiations au sens de la loi, des pratiques aux approches aussi diverses – pour ne pas dire antinomiques – que celles du coaching, de la psychothérapie ou de la négociation raisonnée Harvard, en passant par tout et malheureusement parfois n’importe quoi.
Autant d’approches susceptibles par ailleurs d’impliquer un positionnement très variable du médiateur tant vis-à-vis des parties que dans le travail de définition de l’éventuelle solution au litige.
Dans ces conditions, peut-on encore véritablement parler d’un processus unique que l’on serait en droit de nommer « médiation » ?
Rien n’est moins sûr.
Mais le problème est plus vaste encore. Le législateur a en effet conféré une définition identique à une procédure à la dénomination distincte.
B. Une définition identique attachée à deux dénominations distinctes.
On peut noter que médiation et conciliation – deux dénominations différentes donc – reçoivent en droit français une définition identique.
En effet, l’article 1530 du Code de procédure civile (issu de l’article 2 du décret 2012-66 du 20 janvier 2012) définit la médiation et la conciliation conventionnelles comme « tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ». Cet article se contente de reprendre en substance la définition donnée en l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995, à laquelle il renvoie par ailleurs explicitement.
De sorte que l’on ne peut distinguer aujourd’hui médiation et conciliation qu’au regard de leurs contextes et acteurs spécifiques. C’est-à-dire pas sur le fond. Dès lors, on peut se demander si l’usage de deux dénominations est encore justifié...
De quoi renforcer quoi qu’il en soit une confusion générale déjà profonde, tout en appuyant l’argument de bien des magistrats, relatif à l’inutilité d’un processus de médiation censé – au moins sous son volet judiciaire – faire double emploi avec une procédure – la conciliation – dont ils ont déjà vocation à faire pleinement usage.
Trop englobante, une définition vire au « fourre-tout », et par là, perd tout intérêt.
A vouloir que tout soit médiation, la médiation n’est plus rien.
L’absence tant d’un statut légal de médiateur que d’un diplôme d’État (autre que le DEMF s’entend) contribue également à la confusion actuelle, on en conviendra.
L’enjeu est pourtant fondamental. Il en va du développement de la médiation en France comme mode alternatif de règlement des différends (MARD) à part entière. En pratique en effet, ce défaut de précision du législateur, parce qu’il entretient un flou relatif, et dès lors un manque de « visibilité » de la médiation, risque fort d’en freiner le développement en pérennisant un défaut de confiance des justiciables comme des magistrats et des avocats.
Cette situation n’a pourtant rien d’une fatalité. La médiation recouvre en effet une réalité à la fois conceptuelle et pratique précise et distincte, dont il serait bon de tenir compte dans la définition même de ce MARD.
II. Une réalité conceptuelle et pratique spécifique.
Chronologiquement, le médiateur suit une démarche qui se décompose en deux temps (A). Cette démarche implique un travail sur l’architecture du conflit (B).
A. Le médiateur : une démarche en deux temps.
La médiation est une procédure par laquelle un tiers compétent et formé, le médiateur, expert en communication et gestion de conflits, indépendant et impartial, va mettre en œuvre un processus structuré tout à fait spécifique, nommé "modèle de médiation". Il existe aujourd’hui deux modèles majeurs de médiation : le modèle HARVARD et le modèle FIUTAK.
Un modèle de médiation décrit un processus balisé, progressif, logique, ayant vocation à permettre aux parties de quitter une situation d’origine dans laquelle tout dialogue est interrompu (compromettant toute négociation directe) pour atteindre une situation où la communication est restaurée, et dès lors devient possible la négociation des parties en vue d’un accord.
Sa mise en œuvre va donc permettre de conduire des parties en conflit :
- Dans un premier temps à parvenir à communiquer à nouveau (le médiateur est tout d’abord facilitateur de communication) ;
- Ensuite à négocier ensemble en vue de trouver par elles-mêmes un éventuel accord dont elles définiront le contenu, sans aucune interférence ou incitation de la part du médiateur. Pour ce faire, ce dernier va alors communiquer aux parties les méthodes de négociation raisonnée Harvard et superviser leurs négociations (le médiateur devient facilitateur de négociation).
De cela, il suit que la médiation se caractérise par deux éléments fondamentaux :
- Le recours à une méthodologie spécifique de gestion de conflit, décrite par un modèle de médiation ;
- La non intervention du médiateur dans le processus de recherche et de définition de l’éventuel accord final.
Cette seconde caractéristique est par ailleurs ce qui distingue la médiation de la conciliation, laquelle implique un véritable travail d’orientation et de conseil de la part du conciliateur.
Quant au mouvement qui permet au médiateur de conduire les parties d’abord à communiquer, puis à négocier, il est rendu possible par un travail sur « l’architecture du conflit ».
B. La médiation : un travail sur l’architecture du conflit
Un modèle de médiation implique d’identifier et de travailler sur ce que l’on peut appeler « l’architecture du conflit », c’est-à-dire l’ensemble des éléments complexes et hiérarchisés qui, au-delà des exigences/demandes formelles de chacun, sous-tendent, structurent et nourrissent le conflit de façon souvent occulte.
Cette structure du conflit – cette architecture – le médiateur doit d’abord la définir. L’identifier donc.
Par suite, il va la travailler.
C’est à dire :
- Tout d’abord et progressivement, conduire chacun de ses éléments à être verbalisé, entendu, analysé en profondeur… et compris par les parties.
Le but étant pour le médiateur de remonter à la source fondamentale de ce conflit, à ce qui en est la cause ultime : besoins lésés (sphère subjective et affective) et/ou intérêts à satisfaire (sphère objective et pragmatique).
- Ensuite, permettre aux parties d’envisager comment satisfaire, selon le cas, les besoins lésés ou les intérêts objectifs en cause.
Là où demandes/exigences formelles sont inconciliables par nature (d’où le conflit...), les besoins et/ou intérêts sous-jacents ne le sont pas nécessairement. Ce qui rend possible, en travaillant exclusivement à ces niveaux, une véritable démarche de recherche d’un accord pérenne.
Conclusion :
On voit bien que ce qui permet très simplement – et schématiquement – de distinguer médiation conciliation ou encore arbitrage, autant de modes alternatifs de règlement de différends qui font appel à un tiers, c’est fondamentalement le positionnement de ce tiers (médiateur ; conciliateur ; arbitre) dans l’élaboration de la solution.
Dans le cadre de l’arbitrage, il tranche le litige et impose sa solution aux parties.
Dans le cadre de la conciliation, s’il n’impose rien, il oriente en revanche la solution par un certain nombre de conseils.
En matière de médiation enfin, ce tiers n’intervient tout simplement pas dans la recherche et la définition de la solution.
De sorte que la définition légale de la médiation gagnerait beaucoup à intégrer sinon la nature exacte du processus mis en œuvre – tel que décrit par un modèle de médiation – à tout le moins ce positionnement tout à fait spécifique du médiateur.
Discussion en cours :
La médiation, une pratique liée à des représentations des causes des conflits, de la personne, des manières d’intervenir et des compétences nécessaires pour aider
Pour bien comprendre en quoi consiste la médiation, j’invite l’auteur de cet article à observer les courants idéologiques qui traversent l’ambition du règlement des différends. Dans l’étude qu’il peut entreprendre, il pourra reprendre le cheminement de sa pensée et nul doute qu’il y gagnera en clarté.
Il existe deux grandes orientations de la médiation :
1 / pour se conformer, avec trois courants : le courant confessionnel, le courant juridique, le courant psychologique ; l’auteur est à cheval sur l’ensemble de ces courants avec d’autant plus de conviction qu’il va jusqu’à proposer de soumettre la médiation à une tutelle culturelle (la médiation familiale y est déjà avec tous les échecs liés)
2 / la médiation pour promouvoir le libre arbitre, centrée sur la libre décision. J’ai initié cette démarche méthodologique, rationnelle, et j’ai nommé "processus structuré" ce qui était nommé "procédure..."
La confusion n’est pas nouvelle, elle provient de l’histoire du mot médiation. Ce mot se clarifie dans un nouvel usage. Avant, et le législateur vient à s’adapter avec un peu de retard, comme d’habitude (la relation lois / moeurs), le mot "médiateur" avait le même sens que celui de "tiers", d’où les confusions de l’auteur qui n’est pas le premier à se prendre les pieds dans le tapis sémantique.
Le point de vue idéologique de l’auteur
La modélisation présentée par Serge Losappio fait partie de la mise en conformité. L’appel qu’il lance à la règlementation de la profession de médiateur témoigne de sa difficulté à sortir de son propre modèle juridique. La médiation n’est pas le droit, pas plus que le médiateur ne doit être juriste. Placer la profession de médiateur dans un contexte règlementé, c’est sonner le glas de cette profession en mouvement, bien trop récente et en quête de processus. Affirmer que la médiation est déjà clairement définie, c’est s’arrêter à sa propre satisfaction. La médiation, en tant que processus, est nouvelle. Il y a encore des choses à inventer et ce n’est certainement pas à en y allant d’un discours autoritaire qu’on avancera. Il n’existait rien encore il y a vingt ans, sur cette pratique. C’était juste un mot, une intention, comme en politique. Placer la médiation sous une tutelle de l’Etat est un non sens. Suivre l’invitation de l’auteur conduit au même résultat de la médiation familiale dont l’échec, avec ses modèles d’enseignement, fait de 1/3 de compétences (un 1/3 droit, 1/3 psycho-sociaux 1/3 communication) est celui d’une profession fondée sur l’illusion d’une compétence entière ;-)
Cela dit, comme il apparaît très difficile pour beaucoup de médiateurs de se positionner en dehors des modèles classiques auxquels l’auteur se réfère, j’ai initié la "médiation professionnelle" et le tableau officiel des médiateurs professionnels, indépendants, neutres et impartiaux, garants d’une totale confidentialité, est désormais disponible.
Les erreurs de l’auteur
Les erreurs de Serge Losappio sont nombreuses. Je relève parmi celles-ci qu’il se trompe sur ce qu’est la médiation en affirmant : "La médiation est une procédure". C’est une habitude de juriste que de définir la médiation de cette manière, pas une définition de médiateur. Je suis déjà intervenu lors de la rédaction de la directive européenne sur ce point et obtenu le changement de terme. Non, la médiation n’est pas une procédure. Une procédure, ce n’est certainement pas cela ; c’est une manière de procéder étape par étape, incontournable, hiérarchisée, à la façon d’une conception architecturale. Une procédure conduit à une possibilité d’appel et de cassation, pas la médiation. La médiation est un "processus structuré" - un processus, soit une manière de conduire qui permet de démêler.
L’auteur revendique la comparaison du conflit avec la notion d’architecture. Or, la comparaison du conflit avec cette représentation est inadaptée, parce que les imbrications d’un conflit ne suivent pas la logique du montage architectural. Le principe de l’architecture est l’harmonie et l’équilibre, ce qui n’est pas le cas du conflit. Le conflit, c’est le bordel, pas une architecture. Le conflit va bien avec une destructuration de la pensée et chercher à y trouver une logique ne saurait aller avec un montage / démontage sous la forme architecturale.
L’auteur se trompe encore lorsqu’il affirme que la médiation consiste dans la "gestion de conflits". La "gestion" est une pratique d’entretien, voire de développement, c’est un non sens dans la démarche de médiation. Le fait que l’expression "gestion des conflits" soit aussi courante que le lever du soleil, n’en fait pas plus une vérité que celle du "coucher du soleil". La médiation en matière judiciaire, est un processus qui vise la résolution des différends ; s’en tenir à une démarche gestionnaire ne change rien à ce qui existe déjà... en effet, avec le système des procédures. En médiation professionnelle (en tout cas) on ne gère pas : on accompagne la résolution.
Autre point : c’est un point de vue limitatif que de considérer qu’"En matière de médiation enfin, ce tiers n’intervient tout simplement pas dans la recherche et la définition de la solution." Parce que les médiateurs professionnels interviennent précisément sur ces points.
En conclusion
Vouloir engager la médiation sur un diplôme d’Etat, c’est faire monter l’amateurisme au niveau d’une reconnaissance institutionnelle. C’est assurément engager la médiation dans la même voie d’échec que celle de la conciliation. Vouloir faire consacrer un modèle de médiation, c’est s’engager sur une pensée unique, ce qui va dans le sens contraire de la médiation qui a besoin de ses différents courants de pensée, parce que la pensée humaine est précisément plurielle. Et une profession de médiateur doit être garante de ces approches diversifiées autant que de l’altérité.
Aux médiateurs d’assurer, en toute concurrence, l’autodiscipline de leur profession.
Pas de précipitation, on a le temps d’être sur Terre ;-) Laissons progresser la médiation. En tout cas, c’est ce que les trois institutions de la médiation professionnelle (EPMN, CPMN et ViaMediation, contribuent à faire.