Le droit du travail est devenu incompréhensible.
Les sources du droit du travail sont tellement nombreuses qu’il est difficile de le comprendre. En effet, il existe :
au niveau international, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui dispose de normes de plus en plus citées par les Tribunaux ;
au niveau européen, la CJUE rend des arrêts qui ne cessent de faire jurisprudence, que la France se doit de respecter et d’appliquer ;
au niveau national, la France compte 528 conventions collectives auxquelles nous pouvons ajouter les accords collectifs ou encore les accords nationaux interprofessionnels.
Cette inflation des textes avait-elle pour objectif de rendre l’intervention du juge plus rare ? Force est de constater que tel n’est pas le cas. Chaque année, 200 000 décisions sont rendues par les Conseils des prud’hommes, 40 000 arrêts par les Cours d’appel et plus de 7 000 décisions par la Cour de cassation. Et aujourd’hui, la Chambre sociale de cette dernière a le nombre le plus important de litiges à trancher.
Enfin, le Code de travail vient compléter cet imposant édifice juridique. Il pèse environ 1,5 kg contre 500 g en 1978. Sa « lourdeur » le rend inassimilable, en particulier par les PME et les TPE.
Peut-on dire aujourd’hui que nul n’est censé ignorer la loi lorsque nous avons une telle prolifération de textes, c’est la question que l’on peut se poser.
Pourquoi l’entreprise est-elle confrontée à un manque de sécurité juridique dans le droit du travail ?
La notion de sécurité juridique est floue. Elle ne figure ni dans la Constitution, ni dans les décisions du Conseil constitutionnel. Nous ne la retrouvons qu’à l’occasion d’interprétation, d’inspiration de la part du Conseil constitutionnel qui vient alors limiter les ardeurs du législateur. A ce titre, le Conseil d’État a rappelé que les citoyens doivent, sans que cela appelle de leur part des efforts insurmontables, pouvoir déterminer ce qu’ils ont le droit de faire et de ne pas faire. Ils ne doivent pas avoir à faire eux même preuve d’interprétation : les textes doivent être clairs et ne pas être soumis dans le temps à des variations trop importantes.
Bien qu’elle soit source de droit, la jurisprudence représente une problématique importante en matière de sécurité juridique en raison de sa rétroactivité.
Les justiciables se sont déterminés en fonction de ce qu’ils pensent être le droit au moment où ils contractent. Or, ils découvrent que les règles qui pouvaient être applicables à l’époque n’ont plus vocation à s’appliquer et sont devenues totalement contraires à la jurisprudence. Dans le domaine du droit du travail, ces revirements de jurisprudence sont foisons. Il existe également les « créations prétoriennes » à savoir des interprétations du droit qui se substituent à des « silences législatifs ». Par conséquent, les acteurs du droit du travail sont régulièrement inquiets au moment de rédiger ou rompre un contrat de part l’existence de ces situations d’incertitudes.
Voici quelques exemples illustrant ces situations :
La clause de non concurrence : la Cour de cassation est venue affirmer en 2002 que son insertion dans le contrat de travail nécessitait une contrepartie financière car elle représente une atteinte à la liberté de travail. Ainsi, l’absence de cette indemnisation dans le contrat entraine la nullité de la clause mais donne aussi la possibilité au salarié de percevoir des dommages et intérêts pour insertion d’une clause nulle.
Délai de prescription en matière de licenciement économique : l’article L.1235-7 du Code du travail prévoit un délai de prescription de 1 an pour saisir le Conseil des Prud’hommes. Bien que ce texte soit relativement clair, la Cour de cassation est venue affirmer, dans un arrêt du 15 juin 2010, que « le délai de douze mois prévu par le second alinéa de l’article L. 1235-7 du Code du travail n’est applicable qu’aux contestations susceptibles d’entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique. »
Les heures supplémentaires : sur cette question, la preuve repose à la fois sur le salarié et sur l’employeur. Mais une évolution jurisprudentielle en 2013 est venue affirmer qu’il appartient à l’employeur et à lui seul de rapporter la preuve du respect des limites quotidiennes/hebdomadaires du travail.
Dès 2004, le premier président de la Cour de cassation a constitué un groupe de travail pour trouver des solutions pour limiter les effets de la rétroactivité des jurisprudences et donc de l’insécurité juridique qui en résulte. Le groupe de travail a conclu ses recherches en affirmant qu’il est impossible de légiférer. Il appartient à la Cour de cassation de préciser si ses décisions peuvent s’appliquer rétroactivement ou non. Aujourd’hui, il n’existe aucun arrêt qui aurait précisé qu’il n’aurait à vocation à s’appliquer seulement que pour l’avenir...
Le droit du travail est constitué uniquement de droit positif et le couple salarié-employeur est donc censé connaître ce que vont décider les juges demain ou après-demain !