La réforme du code des douanes du Sénegal.

Par Alioune Dione, Docteur en droit et Jean Pannier, Avocat.

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Explorer : # réforme douanière # commerce international # sécurité # harmonisation juridique

Le Code des Douanes du Sénégal a connu, quasiment, un quart de siècle d’application sans, pratiquement, aucune modification majeure de ses dispositions.
Pourtant, l’environnement des activités économiques et du commerce international a profondément changé, notamment au plan institutionnel, juridique, sécuritaire et socio-économique.

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I- CONTEXTE ET JUSTIFICATION

Adoptée en 1987, la Loi n°87-47 du 28 décembre 1987 portant Code des Douanes du Sénégal avait plus de 25 ans.

Dans le cadre de son élaboration, selon le Directeur général des Douanes du Sénégal, M. Makhtar CISSE, le projet de Code des douanes a fait l’objet d’une gestation courageuse durant trois années achevée par une démarche inclusive associant toutes les parties prenantes - surtout avec les opérateurs du secteur privé mais également de la Justice et du barreau - au cours d’un séminaire scientifique qui s’est tenu à Dakar en juin 2013.

Ainsi faut-il souligner l’effet de nouveauté dudit projet. Après celui de 1932 et celui de 1974, le troisième et dernier Code des douanes datait du 28 décembre 1987.

La réflexion collective a été riche et pourrait faire école tant elle a permis de prendre en compte des aspirations du monde économique que l’administration n’a pas forcément une tendance naturelle à percevoir.

Le cas de la France a été parfaitement analysé dans une étude remarquable du centre d’études fiscales de l’université d’Aix-Marseille III déjà vieille de 10 ans. [1]

Une simple observation de la praxis douanière fondée sur ce corpus juridique amène à constater que dans plusieurs domaines, les dispositions du code des douanes n’étaient plus adaptées à l’évolution des missions de l’Administration des Douanes.
Aussi se posait la question de savoir s’il fallait modifier le code en vue de son adaptation à la nouvelle donne ou simplement l’abroger pour le remplacer par un nouveau corpus plus novateur.

La règle de droit, quels que soient, par ailleurs, sa finalité et son champ d’application, est toujours en retard par rapport aux phénomènes qu’elle est appelée à régir.
Dans le cas particulier des règles douanières, que de mutations postérieures à l’élaboration de ce code qui n’avaient pas été, pourtant, prises en compte !

Le Code des Douanes du Sénégal a connu, quasiment, un quart de siècle d’application sans, pratiquement, aucune modification majeure de ses dispositions.
Pourtant, l’environnement des activités économiques et du commerce international a profondément changé, notamment au plan institutionnel, juridique, sécuritaire et socio-économique.

Ainsi, au niveau institutionnel, on relèvera l’émergence de structures internationales, régionales ou nationales, intervenant spécifiquement en matière douanière ou touchant ponctuellement à la matière douanière. A ce titre, on peut énumérer, notamment, en ce qui concerne les organisations et institutions internationales :
- la mutation du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en OMC (Organisation mondiale du commerce) avec notamment le principe de - l’engagement unique ;
- les différentes organisations internationales en charge de la lutte contre la criminalité - transnationale organisée ;
- les instances internationales pour la protection de l’environnement.

Dans le même esprit on peut noter, au niveau régional, la création et surtout la prépondérance d’organisations communautaires, dans l’élaboration du droit positif des Etats. A cet effet, on peut citer notamment :
- l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine) ;
- la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) ;
- l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires) ;
les structures bilatérales et multilatérales.

Cette mutation institutionnelle a engendré conséquemment, au plan juridique, un développement et un renforcement de la productivité normative au niveau vertical (international et régional). Parallèlement, l’activité législative s’est considérablement accrue au niveau horizontal (national). Ainsi, d’importants règles et accords internationaux, sont ratifiés et transposés dans le droit interne, sans être pris en compte par le Code des Douanes ou, quelques fois, sont contradictoires avec certaines dispositions de ce code. Il est utile, dans ce cas, d’énumérer notamment :
- les Accords du GATT de 1994, notamment l’Accord pour la mise en œuvre sur l’évaluation ;
- la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers simplifiés, dite Convention de Kyoto révisée ;
- la Convention internationale d’assistance mutuelle administrative en matière douanière, dite Convention de Johannesburg (pas encore ratifié par le Sénégal) ;
- la Déclaration du Conseil de Coopération Douanière concernant la bonne gouvernance et l’éthique en matière douanière, dite Déclaration d’Arusha ;
- les différentes conventions en matière environnementale.

Cette situation de rupture entre les normes internationales et le Code des Douanes est également perceptible dans la relation entre les dispositions y contenues et celles communautaires. A cet effet, le Règlement N°09/2001/CM/UEMOA du 20 novembre 2001, portant Code des Douanes de l’UEMOA, présente des différences importantes avec le Code du Sénégal. Cette désarticulation est d’autant plus inconfortable qu’elle va à l’encontre du principe de la hiérarchie des normes.

Toujours, dans cet esprit, on note la même incompatibilité ou sinon la non-prise en compte par le code de certaines lois nationales postérieures. Il en est, notamment, ainsi de la loi du 22 août 1994 sur les prix, la concurrence et le contentieux économique, du code des drogues, des différents règlements relatifs à la libéralisation de l’économie et des différentes mesures de sauvegarde, des dispositions relatives à la société de l’information.

Au plan sécuritaire, les attentats de 2001 ont profondément contribué à modifier le dispositif traditionnel de protection et de surveillance et ont fini de faire la preuve que les moyens de transport, qui étaient déjà abusivement utilisés pour la circulation frauduleuse d’armes de tout genre, pouvaient eux-mêmes devenir, par la détermination de personnes malintentionnées, des armes de destruction massive. Dès lors, il devenait nécessaire, pour assurer une meilleure protection du territoire douanier, de renforcer les dispositifs du code en matière de contrôle et de surveillance des flux financiers et des transactions commerciales, tout en veillant à circonscrire les abus. Ainsi, les agents pourront-ils avoir les moyens juridiques de garantir une meilleure sécurisation de la chaîne logistique internationale.

Dans ce même cadre, les quantités importantes de produits stupéfiants et autres substances illicites saisies dans la région Ouest africaine renseignent à suffisance, sur la tendance de cette zone à devenir une plateforme dans le trafic international de stupéfiants. Face à cette recrudescence du trafic de stupéfiants, il importe de renforcer les dispositifs juridiques existants afin de lutter plus efficacement contre ce fléau. En effet, les techniques de dissimulation de la drogue ont beaucoup évolué dans le temps. Les trafiquants usent de beaucoup de subterfuges allant souvent jusqu’à utiliser des voyageurs ayant absorbé les substances illicites pour échapper à toute forme de contrôle (bien connus sous le nom de mules colombiennes) [2].
Ainsi, malgré la présence permanente des services douaniers aux frontières, il est souvent difficile de déceler de telles pratiques illicites. D’autant plus que le Code des Douanes actuel ne semble pas être adapté sur ce point. Dès lors, pour endiguer ce fléau, il est nécessaire de réaménager les dispositions douanières afin de permettre au Service des douanes de pouvoir agir efficacement tout en veillant à préserver les droits de l’homme. Cela passe par le renforcement des pouvoirs des agents des douanes et l’introduction de nouvelles techniques comme les livraisons surveillées devant s’exercer sous le contrôle du juge.

Au plan socio-économique, la ratification, le 21 mars 2006 de la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers dite Convention de Kyoto révisée oblige l’Etat du Sénégal à créer les conditions de développement, d’épanouissement des acteurs du commerce international à travers des procédures et des régimes économiques unifiés et harmonisés.
Mais, à la pratique, il convient d’ajouter que les dispositions du Code des Douanes en la matière ne sont pas encore compatibles avec les objectifs définis par ces instruments juridiques internationaux. Cela se traduit par une lourdeur des procédures, un manque de compétitivité des entreprises et enfin par un environnement économique qui n’est pas propice à l’investissement. Il urge, dès lors, de mettre en œuvre les mesures idoines afin d’adapter les dispositions internes en matière de régime économique à celles internationales et communautaires. Cela doit déboucher à terme à une meilleure intégration de notre pays dans le commerce mondial et surtout à une prise en compte efficiente et spécifiques des besoins des entreprises à travers des régimes économiques personnalisés. Par ailleurs, l’accent doit être mis sur la facilitation et le partenariat dans la relation entre la Douane et les entreprises.

II- OBJECTIFS

De manière générale, la réforme du code des douanes vise la création et la promotion d’un instrument juridique adapté aux multiples défis de l’heure et aux mutations touchant notamment, les procédures de dédouanement, le partenariat avec le secteur privé, la lutte contre la fraude et les trafics illicites, la dématérialisation de transactions commerciales.

Elle vise également à instituer une relation équilibrée entre liberté et sécurité des citoyens et des entreprises à travers une modernisation des règles du contentieux douanier, et la préservation des intérêts du Trésor public.
De façon spécifique, l’un des buts - et non des moindres - de la réforme est d’aboutir à un code en phase avec les lois nationales, communautaires et internationales.

III- SYNTHESE DES INNOVATIONS DU CODE

La loi n° 2014-10 du 28 février 2014 portant nouveau code des douanes du Sénégal comporte plusieurs innovations majeures. A cet égard, on remarquera les évolutions suivantes :
- les dispositions pertinentes des Conventions et Accords internationaux et des textes communautaires et nationaux entrant dans le champ d’intervention de l’Administration des douanes ont été transposées ;
- la définition des termes et concepts de base du droit douanier tel que le commissionnaire en douane agréé, l’intéressement à la fraude, l’aéroport douanier, le plateau continental etc.
- certaines habilitations telles que les livraisons surveillées, l’infiltration et les coûts d’achat ont été autorisées et encadrées pour personnel des Douanes ;
- la prise en compte des nouvelles technologies : droit de communication sur les acteurs de l’économie numérique, saisie de document sur support informatique ;
- la contrefaçon a été érigée en délit douanier aux fins d’une meilleure protection des droits de propriété industrielle ;
- la lutte contre la piraterie surtout celles des œuvres musicales est mieux affirmée en vue d’une meilleure protection des doits de propriété intellectuelle ;
- les procédures automatisées de dédouanement sont élargies et mieux encadrées en vue de leur extension sur l’ensemble du territoire national ;
- certains aspects du contentieux ont subi des aménagements permettant de mieux respecter les droits des citoyens tout en préservant les intérêts du Trésor ;
- l’atténuation de la responsabilité du déclarant car lorsque le signataire prouve que la déclaration a été établie en conformité des instructions données par le commettant, ce dernier est passible des mêmes peines que le signataire de la déclaration. Dans ce cas, les peines d’emprisonnement, prévues ne lui sont applicables qu’en cas de faute personnelle.
- Exonération de la responsabilité des dirigeants de sociétés de commissionnaire en douane car Les peines d’emprisonnement édictées par le présent code ne sont applicables à leurs dirigeants qu’en cas de faute personnelle.
- Introduction de la saisie en matière de données informatisées.
- Prévision des PV électroniques et de leurs signatures électroniques.
- Prévision de la retenue sur les personnes - équivalent de la garde à vue - et renvoi pour l’encadrer aux équivalences dans les dispositions du code de procédure pénale.
- Elimination de la référence aux prescriptions dans la transaction après jugement et référence au fait que au-delà de 10 ans on ne peut plus transiger après jugement).
- Ajout de la notion d’adhérents à la fraude qui sont des complices en matière douanière.
- Limitation conformément à l’article 18 de l’Acte uniforme sur les suretés en précisant sauf clause contraire, les cautions sont tenues, au même titre que les principaux obligés, de payer les droits et taxes, pénalités pécuniaires et autres sommes dues par les redevables dans la limite de la somme maximale garantie qu’elles ont cautionnés.
- Doublement de l’amende prévue pour les contraventions de 1ère classe.
- Doublement de l’amende prévue pour les contraventions de 3ère classe
- Doublement de l’amende prévue d’importation ou d’exportation sans déclaration comme délit de 1ère classe
- Incrimination comme délit de 5ème classe de toute personne qui, ayant fait l’objet d’un retrait de l’agrément ou d’un retrait de l’autorisation de dédouaner ou toute personne qui prête sciemment son concours en vue de soustraire aux effets du retrait d’agrément ou du retrait de l’autorisation de dédouaner.
- Introduction, comme délit de 1ère classe, des faits de contrebande, d’importation ou d’exportation portant sur des marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté du Ministre chargé des Finances, soit lorsqu’ils sont commis en bande organisée.
- Incrimination du non-respect des engagements souscrits dans le cadre des procédures simplifiées
- Incrimination et sanction des infractions relatives aux systèmes informatiques douaniers.

La réforme qui était jusqu’ici une vieille doléance longtemps exprimée par les opérateurs économique est devenue une réalité. Elle est en passe de le devenir aussi dans d’autres pays de l’UEMOA comme la Côte d’Ivoire.

Alioune DIONE
Docteur en droit
Directeur des Systèmes informatiques douaniers du Sénégal

Jean PANNIER
jean.pannier chez gmail.com
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris

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Notes de l'article:

[1Elisabeth NATAREL Construction communautaire et mutations du droit national. Préface de Claude J.BERR. Presses universitaires d’Aix-Marseille.

[2Jean PANNIER et Philippe DEHAPIOT Les pouvoirs d’investigation des agents des douanes : le droit de visite des personnes en matière de stupéfiants. Gaz. Pal. 1992.1 doctr. 558

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