[Réflexion] En 2024, un bon avocat est un parfait romancier.

Par Loïc Tertrais, Avocat.

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Explorer : # inspiration # Écoute # stratégie # évolution

En 2024, le génie de l’avocat est dans son inspiration plus que dans l’information juridique qu’il dispense. Est-ce à dire qu’un bon avocat est un parfait romancier ?

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1974. Un client consulte Maître Jacques avocat. L’homme de loi le reçoit dans sa bibliothèque, costume sombre et cravate austère. Derrière lui se trouvent alignés des rangées interminables d’ouvrages reliés cuir, compilant textes de lois, études et commentaires de doctrine.

- Maître, voilà ma situation conflictuelle avec l’associé de ma société. Quels sont mes droits ?

2024. Un client consulte Maître Jack avocat. L’homme de loi, le reçoit dans sa bibliothèque, veste et chèche vif noué autour du col d’une chemise sans cravate. Derrière lui se trouve accroché un tableau figuratif bleu sur un grand mur blanc. Fixé au plafond, un projecteur de conf-call clignote en mode veille.

- Maître, l’Intelligence Artificielle est formelle : je suis dans mes droits comme cogérant de ma société. Vous êtes bien d’accord ? Qu’est-ce que j’en fais de ces règles dans la situation conflictuelle avec mon associé ?

Maître Jacques pouvait peut-être se contenter d’une posture de principe en rendez-vous : une écoute polie et quelques prises de note. Plus tard, dans le secret de son cabinet, il aurait un travail besogneux à accomplir : une lecture précise des études du jurisclasseur, une actualisation de la jurisprudence applicable. Das années d’expériences et d’argumentations développées dans le même type d’affaire feraient le reste. Le client recevra une consultation juridique écrite détaillée, dupliquée à la ronéo pour le dossier de l’avocat. Avec une conclusion simple : voilà le droit applicable à votre situation. Voulez-vous que je tente une démarche amiable ou partons-nous au procès tout de suite ?

Une attitude de guetteur.

Maître Jack doit rester particulièrement attentif tout au long du rendez-vous, adopter une attitude de guetteur. Il aura certes également à confirmer le client sur l’état du droit. Mais, ce n’est finalement pas cela son job. Maître Jack doit développer de nouvelles capacités d’écoute et d’imagination car son client ne l’interroge pas sur l’état de ses droits mais sur ce qu’il doit en faire. Les questions se bousculent dans la tête de Maître Jack : quelle est la vraie demande du client derrière le récit de ses difficultés ? Un désir de reconnaissance de son associé ? Et quant à son alter-ego, que recherche-t-il vraiment en marquant son territoire de cette façon ? Est-ce un conflit susceptible de se résoudre en médiation ? Doit-on partir irrémédiablement en procédure longue et aléatoire ? Quelle stratégie adopter ?

Maître Jacques était le roi de l’information. Maître Jack est le roi de l’inspiration. John Howe avait distingué les deux notions : « Il semble avisé de ne pas confondre information et inspiration. La première est le résultat d’une démarche studieuse, la seconde se déclenche sans même y penser. Chacune a son rôle à jouer mais ne doit pas chercher à jouer le rôle de l’autre. L’inspiration peut revêtir l’apparence d’une tour scintillante dans les nuages ; l’information constitue la roche solide de sa fondation » [1]

2024. Maître Jacques est mort. Vive Maître Jack !

Comme Maitre Jacques, Maître Jack a été en fac de droit. Il en a bouffé de l’information juridique. Heureusement, il ne connait plus un article du Code civil par cœur sinon sa mémoire aurait explosé d’équations judiciaires. Comme Maître Jacques, Maître Jack sait toujours mieux que le client où aller chercher la règle de droit applicable à la situation qui lui est exposée.

Mais le génie de Maître Jack est désormais ailleurs. Il se trouve dans la fécondité de son inspiration. Et cela se cultive. Car, l’inspiration si spontanée soit-elle, se nourrit de la richesse de la vie de celui qui la porte. En rentrant dans la salle de réunion, le client attentif aurait pu accrocher du regard quelques romans, une anthologie de poésie et des traités de philo rangés sur une tablette de verre. Il aurait pu s’apercevoir également qu’il consultait un homme aux idées vastes puisque la peinture bleue abstraite accrochée au mur était en réalité une marine qui transpire toute la passion de l’avocat pour la voile et les horizons marins.

Prédominance des littéraires.

Aujourd’hui, on consulte Maître Jack non pas d’abord pour l’information qu’il dispense, même s’il a passé une spécialisation en droit des sociétés. On consulte Maître Jack pour son écoute, sa finesse d’analyse, ses conseils avisés et sa lecture profonde de l’âme humaine. Bref pour son inspiration.

Jacques de Bourbon Busset aurait parfaitement adhéré à cette mutation de l’avocat lui qui écrivait que :

« Dans la vie pratique, où les relations humaines sont presque tout, l’esprit de finesse compte plus que l’esprit de géométrie. Ainsi, la prédominance des littéraires (…) n’est-elle pas aussi anachronique et absurde que le croient les scientifiques » [2].

De là à dire qu’en 2024, un bon avocat est un parfait romancier, il y a encore un pas audacieux à faire.

Loïc Tertrais, Avocat,
Barreau de Rennes
Cabinet AVOXA
https://www.avoxa.fr/avoxa/loic-tertrais/

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Notes de l'article:

[1John Howe - cité dans Sur les traces de Tolkien et de l’imaginaire médiéval.

[2Jacques de Bourbon Busset è La Nature est un Talisman.

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Discussion en cours :

  • par ROUSSEL Catherine , Le 27 mai 2024 à 11:23

    Je suis tout à fait d’accord avec vous. Internet, au sens global, avait déjà changé les choses mais l’IA va les révolutionner.
    Il appartient à l’avocat d’accompagner, sécuriser en écoutant, prenant le recul que le client n’a pas. Certes les connaissances juridiques restent nécessaires mais je pense que la profession oublie trop souvent l’aspect humain.
    J’ai récemment fait une petite vidéo sur le sujet de la reconnaissance car je lis souvent que les clients en manquent.
    A mon sens, la reconnaissance ne viendra pas de nos connaissances en droit : elles sont normales, c’est notre métier. On n’est pas reconnaissant envers son boulanger s’il fait bien le pain (si on est sympa, on le lui dira parfois pour lui faire plaisir quand même).
    Toutes les fois où on m’a manifesté de la reconnaissance, c’était pour mon accompagnement, le côté humain et la patience parfois (oui, certains reconnaissent en fin de parcours qu’ils ont peut être été un peu lourds...). Jamais parce que je connaissais le Code civil ou pénal.
    Cet aspect humain est notre valeur ajoutée : l’IA ne l’aura jamais (j’espère). Alors valorisons la au lieu de râler tout le temps ;-)

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