Conscient des empreintes toujours plus importantes que les personnes laissent dans l’espace numérique, le législateur s’est intéressé à la question de la gestion des données après la mort de la personne. La mort physique se répercute aujourd’hui dans l’espace virtuel par la « mort numérique ».
En principe, après la mort de la personne, toutes ses données et ses comptes restent disponibles sur internet, équivalant alors à une situation d’immortalité numérique de fait. L’ouverture d’un compte de messagerie ou d’un compte sur un réseau social sur Internet confère à son titulaire des droits personnels. Il s’agit du droit au respect de la vie privée, qui comprend notamment le droit au secret des correspondances, et du droit à l’image. Ces données étant, par nature, strictement personnelles, les membres de la famille ou amis ne peuvent y avoir accès. Cette interprétation a été confirmée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 8 juin 2016. (CE – 10ème et 9ème chambres réunies, 8 juin 2016, n°386525, publié au recueil Lebon)
Le droit à la mort numérique permet à toute personne d’organiser, de son vivant, les conditions de conservation et de communication de ses données à caractère personnel après son décès. Pour des raisons successorales un droit d’accès et un droit de suppression des comptes du défunt sur les réseaux sociaux sont aussi prévus pour les héritiers.
L’origine du Droit.
Ce droit est prévu par la loi pour une république numérique n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.
Cette loi a bénéficié d’une procédure de consultation par internet (https://www.republique-numerique.fr). Chaque personne pouvait prendre connaissance du projet de loi et proposer des modifications. Les internautes ont ensuite voté pour les modifications les plus pertinentes afin qu’elles soient prises en compte par le législateur. Cette procédure visait à assurer la participation citoyenne dans le cadre de l’élaboration de la loi.
En seulement trois semaines, près de 21 000 participants ont publié 8 500 contributions. A l’issue de la consultation, le Gouvernement a retenu cinq nouveaux articles d’inspiration citoyenne dans son projet et a intégré près de 90 modifications du projet.
Promulgué en octobre 2016, l’article 63 de la loi définit les différentes modalités d’exercices du droit à la mort numérique.
Comment prévoir sa mort numérique ? Prévoir des directives.
La loi donne la possibilité à toute personne de définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès.
Ces directives sont soit générales, soit particulières :
Les directives générales concernent l’ensemble des données concernant la personne sur internet. Elles doivent être enregistrées par un tiers de confiance numérique, certifié par la CNIL. Le fait que la personne ait édicté des dispositions générales et les ait consignés auprès d’un tiers de confiance est consigné dans un registre unique.
Les directives particulières sont spécifiques à un certain type de traitement de données. Par exemple, un compte Facebook, ou twitter. Il faudra alors s’adresser directement aux responsables du traitement de données, et contacter directement Facebook pour gérer un compte Facebook. La loi prévoit dans ce cas, les directives particulières font l’objet du consentement spécifique de la personne concernée et ne peuvent résulter de la seule approbation par celle-ci des conditions générales d’utilisation.
Les responsables de traitement devront donc créer une procédure permettant de recueillir les directives particulières des personnes. Ils devront également communiquer les données du défunt à la personne que celui-ci aura désignée, le cas échéant. Enfin, ils devront informer l’utilisateur du sort de ces données et permettre à ce dernier de choisir de communiquer ou non ses données à un tiers qu’il aura préalablement désigné.
Faire appliquer les directives.
Il est possible à tout moment pour la personne de modifier ou révoquer les directives qu’elle aurait pris. Cette modification ou révocation, à tout moment, tient au fait que ces dispositions portent sur des droits personnels. Et donc, seule la personne concernée peut apporter ces modifications.
Il est aussi possible de désigner une personne chargée de l’exécution des directives. Celle-ci a alors qualité, lorsque le titulaire des comptes et des données est décédé, pour prendre connaissance des directives et demander leur mise en œuvre aux responsables de traitement concernés.
Si personne n’est désignée, la loi prévoit que ce sont les héritiers de la personne concernée qui pourront exercer après le décès, les droits du défunt. Ils pourront accéder aux traitements de données à caractère personnel qui concernent le défunt afin d’identifier et d’obtenir la communication des informations utiles à la liquidation et au partage de la succession.
Ils pourront aussi recevoir communication des biens numériques ou des données s’apparentant à des souvenirs de famille, transmissibles aux héritiers. On peut entendre par biens numériques, par exemple les différentes œuvres, livres ou musiques stockés sur internet appartenant au défunt. Les données s’apparentant à des souvenirs de familles seraient par exemples toutes les photos de famille stockées dans des albums en ligne.
Les héritiers pourront faire procéder à la clôture des comptes utilisateurs du défunt, s’opposer à la poursuite des traitements de données à caractère personnel le concernant ou faire procéder à leur mise à jour. Ils devront alors s’adresser au responsable du traitement des données afin de lui faire savoir que la personne est décédée, et qu’en tant que ses héritiers, ils entendent modifier ou supprimer les comptes.
La loi prévoit qu’en cas de désaccord entre les héritiers sur la manière dont doivent être traitées les données, le litige pourra être tranché devant le tribunal de grande instance compétent.
En pratique.
La CNIL a dressé la liste de différents réseaux sociaux ainsi que plateforme de mail et recensé les différentes procédures à suivre pour paramétrer la gestion des données au décès du propriétaire du compte.
https://www.cnil.fr/fr/mort-numerique-peut-demander-leffacement-des-informations-dune-personne-decedee-0
Pour un compte Facebook, à la suite d’un processus amorcé en 2009, date à laquelle un ingénieur de Facebook avait proposé la première fonctionnalité de « mémorial » après avoir été confronté au décès d’un proche, Ii est possible de paramétrer un contact légataire. C’est-à-dire la personne qui sera en charge du compte, ou la suppression du compte en accédant aux paramètres du compte / sécurité / contact légataire.
Google propose une fonctionnalité de « gestion de compte inactif » permettant à toute personne possédant un compte Google (Gmail, YouTube, etc) de définir un délai d’expiration à partir duquel le compte devra être considéré comme inactif. Il convient alors de concilier le droit à l’oubli numérique, lorsque la personne est vivante, et le droit à la mort numérique, au décès de la personne pour pouvoir maitriser le traitement des données personnelles.
Le droit à l’oubli numérique et le droit à la mort numérique démontre la volonté du législateur de permettre la maitrise des données privées par les personnes dans un monde ou le numérique est déjà établi. Cette prise de conscience et l’élaboration de ces outils juridiques laissent présager que le législateur sera amené dans les prochaines années à étendre l’arsenal juridique mis à la disposition des personnes afin de maitriser leur image numérique.
Article initialement paru sur http://a7avocats.fr/organiser-mort-numerique-quadvient-de-nos-donnees-apres-deces/