L’organisation et le fonctionnement de la SAS relèvent des statuts, c’est-à-dire de la volonté commune des associés. Pour représenter la société à l’égard des tiers, la loi impose que l’organe de gestion comprenne un président (C. com., art. 227-6).
Dès lors, la question de savoir de quelle manière une SAS pouvait être représentée pour effectuer tous actes juridiques revêt un enjeu pratique important.
Par deux arrêts rendus en date du 19 novembre 2010 (pourvois n° 10-10095 et n° 10-30215), la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte (2ème Chambre civile, Chambre commerciale, financière et économique et Chambre sociale), est venue nous éclaircir sur les conditions dans lesquelles une SAS peut déléguer à des représentants le pouvoir de licencier. C’est la première fois que la Cour de cassation statue sur ce point.
En effet, depuis un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 25 juin 2008 (n° 08/1978), réaffirmée le 24 septembre 2009 (n° 08/2615, Vinzend c/ SA Distribution Casino France), un débat s’est rapidement développé en ce qui concerne le régime à appliquer aux délégations de pouvoirs au sein des SAS.
La position adoptée par la Cour d’appel de Versailles repose sur une lecture de l’article L. 227-6 du Code de commerce qui dispose que « La société par actions simplifiée est représentée à l’égard des tiers par son président désigné dans les conditions prévues dans les statuts. Le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l’objet social (…) Les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article ».
Dès lors, elle s’est interrogée sur le fait de savoir si une délégation de pouvoirs effectuée dans une SAS devait répondre à un formalisme particulier pour être opposable aux tiers.
Dans l’arrêt du 24 septembre 2009, un directeur de magasin était le signataire d’une lettre de licenciement. La Cour a constaté la nullité de ce licenciement aux motifs que ce dernier ne disposait pas d’un pouvoir de licencier et qu’aucune délégation en ce sens ne pouvait être établie.
Elle a confirmé le principe selon lequel des pouvoirs « ne pouvaient être délégués à des directeurs généraux ou directeurs généraux délégués qu’à la double condition que cette délégation soit prévue par les statuts et déclarée au RCS avec mention sur l’extrait Kbis ».
Autrement dit, les juges du fond assujettissent la validité et l’opposabilité d’une délégation de pouvoirs dans le cadre d’une SAS à des conditions de forme que sont une inscription de la délégation de pouvoirs dans les statuts et une déclaration au RCS avec mention sur l’extrait Kbis.
Cette décision a connu immédiatement de vives critiques dans la mesure où elle contrevenait aux fondements mêmes de la SAS, à savoir une structure souple facilitant son fonctionnement. Une telle procédure devenait alors impraticable au vu du nombre de délégations de pouvoirs consenties par certaines SAS. Celles-ci favorisent une décentralisation du pouvoir de représentation indispensable pour leur bon fonctionnement alors que la représentation par les seuls organes sociaux serait jugée insuffisante pour la société.
Pensant alors qu’il s’agissait d’une position isolée et d’une maladresse de la Cour d’appel de Versailles, celle-ci a néanmoins été confirmée à plusieurs reprises par la Cour d’appel de Paris, notamment par deux arrêts en date du 3 décembre 2009 (CA Paris, 3 déc. 2009, 2ème Ch., n° 09/5422, Pellerin c/ SAS ED) et du 10 décembre 2009 (CA Paris, 10 déc. 2009, 2ème Ch., n° 09/04775, Mme L. R. c/ SAS Lehwood Montparnasse).
Ces deux arrêts concernaient également l’absence de qualité et de pouvoir des signataires de lettres de licenciement. La Cour d’appel de Paris a repris la double condition posée par la Cour d’appel de Versailles, à savoir que la délégation de pouvoirs devait être prévue par les statuts de la SAS et être déclarée au RCS avec mention au Kbis pour être valable et opposable aux tiers au sens de l’article 227-6 du Code de commerce, particulièrement aux salariés.
En l’espèce, la Cour a considéré que l’acte de licenciement ne pouvait procéder que du président de la SAS ou des directeurs généraux et directeurs généraux délégués si les statuts autorisaient ces derniers à exercer les pouvoirs du président.
Dans l’attente d’une décision de la Cour de cassation, il était alors recommandé aux sociétés de se conformer à la position des juges du fond en procédant au dépôt de la délégation au RCS pour garantir la validité et l’opposabilité des actes accomplis dans le cadre de cette délégation.
La Cour de cassation est venue soulager ces sociétés en censurant les arrêts rendus par les juges du fond. Elle a estimé que les dispositions de l’article 227-6 du Code de commerce n’interdisent pas au président ou au directeur général de déléguer le pouvoir d’effectuer des actes déterminés, notamment celui d’engager ou de licencier un salarié de l’entreprise.
Par conséquent, une délégation de pouvoirs dans une SAS demeure valable et opposable aux tiers quand bien même elle ne serait pas inscrite au RCS avec mention au Kbis. Elle ne saurait donc être soumise à un formalisme particulier. La Cour de cassation avait d’ailleurs considéré auparavant qu’aucun texte n’imposait qu’une délégation de pouvoirs soit écrite (Cass. soc., 18 nov. 2003, n° 01-43608).
Ce principe est désormais applicable à la SAS puisqu’elle précise « qu’aucune disposition n’exige que la délégation de pouvoir licencier soit donnée par écrit ; qu’elle peut être tacite et découler des fonctions du salarié qui conduit la procédure de licenciement » (Cass. Ch. mixte, 19 nov. 2010, n° 10-10095, op. cit.).
La Cour de cassation va encore plus loin en précisant que la délégation peut être ratifiée a posteriori et peut résulter des fonctions même du salarié qui conduit la procédure de licenciement (directeur des ressources humaines).
Par ces deux arrêts du 19 novembre 2010, la Cour de cassation entend mettre un terme à la confusion faite par les juges du fond entre le pouvoir général de représentation à l’égard des tiers et la délégation de pouvoirs. Si le premier est bien soumis aux dispositions de l’article 227-6 du Code de commerce, la seconde permet uniquement aux représentants d’une société de déléguer une partie de leurs pouvoirs afin d’assurer et de faciliter le fonctionnement interne de l’entreprise.
En définitive, si ces deux arrêts rendus sont justifiés par des raisons économiques, financières et sociales assimilées à la SAS, ils demeurent néanmoins critiquables d’un point de vue juridique. On comprend donc que les enjeux suscités par la SAS ont été un élément déterminant pour l’issue de cette controverse jurisprudentielle et doctrinale.
Reste à savoir si les juges du fond vont se conformer et se plier à la position arrêtée par la Haute juridiction pour clore le débat.
Boudjémâa GARECHE