Par cette décision, la cour de cassation vient préciser les conditions d’application du très commenté devoir de mise garde des établissement de crédit lors de l’octroi d’un prêt à un client non averti en la matière.
Dans cette affaire, un emprunteur poursuivi en paiement sur la base d’une ouverture de crédit devant le tribunal d’instance avait, de manière reconventionnelle, sollicité la condamnation du prêteur pour manquement à son obligation de mise en garde. Le tribunal rejetant cette dernière demande, un pourvoi est formé.
L’établissement de crédit se défend en invoquant la mauvaise foi de l’emprunteur qui aurait dissimulé l’existence de prêts en cours de remboursement lors de la mise en place de l’ouverture de crédit. La cour de cassation donne raison à cette argumentation en affirmant que la déloyauté de l’emprunteur (II) était exclusive de toute recherche de responsabilité du prêteur pour manquement à son devoir de mise en garde (I).
I Le devoir de mise en garde.
Récemment réaffirmé de manière solennelle par la chambre mixte de la cour de cassation lors de deux arrêts du 29 juin 2007, le devoir de mise en garde se différencie du devoir d’information et du devoir de conseil. En matière de crédit, le banquier est tenu d’un devoir d’information : il doit fournir à ses clients toutes les informations pertinentes permettant d’éclairer leur décision. Par contre, il ne peut y avoir un quelconque devoir de conseil à la charge du prêteur. En effet, un devoir de conseil imposerait au prêteur de se substituer à l’emprunteur dans l’appréciation de la rentabilité de son projet, ce qui serait directement contraire au principe de non immixtion dans les affaires de son client.
Il convient d’observer la condition liée au caractère non averti de l’emprunteur (A) avant d’étudier l’objet du devoir de mise en garde (B).
A) Un emprunteur non averti :
La condition d’application du devoir de mise en garde exigeant la présence d’un emprunteur non averti est celle qui appelle le plus d’observations.
Tout d’abord, la distinction emprunteur averti / non averti est distincte de celle plus traditionnelle consommateur / professionnel. Un professionnel peut donc être qualifié de non averti et inversement, un consommateur peut être considéré comme averti.
Le caractère averti ou non s’apprécie in concreto selon les connaissances de l’emprunteur sur l’étendue et les risques de son engagement : il n’existe pas de présomption en la matière.
Ensuite, la preuve du caractère averti incombe à l’établissement de crédit puisqu’elle lui permet de se soustraire à son devoir de mise en garde (Cour de cassation, chambre commerciale 11 décembre 2007).
La preuve se ferait donc sur la base du faisceau d’indices par exemple, un emprunteur sera considéré comme averti s’il travaille dans le milieu bancaire ou s’il à une parfaite connaissance du secteur d’activité concerné par l’opération envisagée.
Actuellement la notion d’emprunteur non averti reste floue et on ne peut qu’espérer de plus amples précisions de la part des juges du fond. La cour de cassation ne contrôlant que la motivation de la qualification retenue par les juges du fond (Cour de Cassation, chambre mixte 29 juin 2007).
B) L’objet du devoir de mise en garde :
Le banquier doit, le cas échéant, attirer l’attention de l’emprunteur sur les risques encourus du fait de l’importance du crédit sollicité c’est-à-dire sur le caractère conséquent de l’endettement actuel mais aussi futur.
Le devoir de mise en garde porte aussi sur le caractère aléatoire de l’opération financée ce qui implique une étude des risques existant au moment de la mise en place du prêt mais aussi une étude prospective des risques pouvant apparaître tout au long de l’existence du prêt. On voit bien les difficultés engendrées par un tel exercice.
L’appréciation à laquelle devront se livrer les Juges ne sera pas moins facile puisqu’ils devront se substituer au prêteur à l’époque du prêt pour qualifier un risque comme prévisible et nécessitant une mise en garde.
Quoiqu’il en soit, les aspects négatifs de l’opération doivent être mis en avant afin que le client puisse emprunter en toute connaissance de cause. Le client alerté sur le(s) risque(s) pouvant très bien décider de passer outre de même, le banquier reste libre de refuser le crédit à la vue des risques et ce, sans motiver sa décision.
C’est à l’établissement de crédit qu’il incombera de démontrer que le devoir de mise en garde a été satisfait, il pourra apporter cette preuve par tous moyens.
Néanmoins, on ne peut que conseiller aux banques de rédiger un document pour les crédits les plus « risqués » certifiant que l’attention de l’emprunteur a été attirée sur les aspects négatifs du crédit sollicité. La personnalisation de ce document à chaque opération de prêt semble requise par les juges.
Le devoir de mise en garde concerne donc les risques découlant du crédit, il s’applique uniquement en présence d’un emprunteur non averti mais, pourra être écarté lorsque l’emprunteur à agit avec déloyauté.
II L’obligation de loyauté
Tout d’abord, l’emploi du terme déloyauté par les juges de la cour de cassation étonne à première vue car en matière précontractuelle ou contractuelle, la notion de mauvaise foi est plus souvent usitée. Faut-il y voir une référence au droit Européens où la loyauté est une notion plus commune ? La notion de bonne foi étant spécifique à notre pays. En droit Français, la déloyauté semblait cantonnée à la procédure civile où elle sanctionne les comportement abusifs et manœuvres dilatoires au cours de l’instance.
A) L’importance des éléments fournis par l’emprunteur
La déloyauté peut être définie comme un manque de franchise, de droiture dans un débat afin de l’emporter subrepticement par ce moyen. Dans la décision commentée, c’est la dissimulation par l’emprunteur de l’existence de prêt en cours qui est mise en cause.
En pratique, les établissements de crédits demandent aux consommateurs qui sollicitent un prêt de compléter un « tableau d’endettement » reprenant les informations essentielles des prêts en cours de remboursement. Pour les professionnels, l’étude de la faisabilité d’un prêt est réalisée essentiellement sur la base des documents comptables.
Les éléments fournis par l’emprunteur constituent souvent l’unique moyen pour la banque d’apprécier la solvabilité d’une personne et d’envisager la possibilité d’accorder le crédit. En effet, il n’existe pas en France de fichier centralisé recensant l’ensemble des crédits consentis ; seuls les incidents dans leur remboursement peuvent faire l’objet d’une consultation auprès de la Banque de France.
Par conséquent, c’est toute l’étude du crédit qui est faussée du fait de la déloyauté de l’emprunteur qui dissimulerait des informations qu’il sait pertinentes ou qui fournirait de faux documents comptables. Il semble donc logique qu’en présence de tels comportements la responsabilité du prêteur pour manquement à son devoir de mise en garde ne puisse être recherchée.
B) La subsistance de vérifications normales
En précisant que la déloyauté de l’emprunteur ne pouvait être normalement décelée, la Cour de Cassation impose au prêteur de procéder à certaines vérifications des éléments fournis.
On peut raisonnablement penser qu’il s’agira par exemple de consulter le fichier des incidents de paiement, la base de donnée de l’établissement, observer des relevés de compte pour y déceler l’existence d’un prêt non indiqué par l’emprunteur…
Ainsi, le prêteur ne pourra se retrancher derrière l’affirmation du caractère erroné des informations fournies pour s’exonérer de son devoir de mise en garde, il devra démontrer en quoi les erreurs ou dissimulations n’étaient pas décelable au moment de l’octroi du prêt.
Une décision plus récente (Cour de cassation, chambre commerciale 11 décembre 2007) nous montre que les juges n’hésiteront pas à procéder à une véritable analyse économique des opérations financières litigieuses. Dans cette décision, les juges relèvent qu’une étude même sommaire de l’opération aurait permis à la banque de constater le risque d’endettement qui en résultait : elle devait donc mettre en garde les emprunteurs sur ce risque.
La volonté de responsabiliser les établissements de crédit, qui se manifeste à travers le devoir de mise en garde, n’est donc pas affectée par cette décision. La cour de cassation leur permet simplement une exonération dès lors que le comportement des emprunteurs n’était pas loyal et lorsque cette déloyauté ne pouvait être normalement décelé au moment de la mise en place du crédit.
M. CHATRIOT
Banque Populaire