Dirigeant-caution : un individu, deux qualités : les conséquences de la distinction sur le cautionnement.

Par Dimitri Seddiki.

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Explorer : # cautionnement # liquidation judiciaire # dirigeant d'entreprise

Le « gérant-caution » n’existe pas : un individu peut être, selon l’acte qu’il effectue, tour à tour caution ou gérant mais en aucun cas il ne saurait être considéré qu’il a revêtu simultanément les deux casquettes.

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Commentaire de : Cassation, Commerciale, 24 juin 2014, n°13-21074, Publié au bulletin

En l’espèce une banque a consenti un prêt financier à une société. Par acte séparé la gérante s’était portée caution de l’obligation de remboursement. Quelques semaines après la mise à disposition des fonds, les conditions du prêt avaient été modifiées, sa durée rallongée et le taux d’intérêts majoré.

Pour condamner la caution a payer la dette – la société débitrice principale ayant été liquidée – une Cour d’appel va s’appuyer sur deux fondements. D’une part les juges du fond ont retenu que la caution avait une parfaite connaissance des modifications apportées au prêt postérieurement à son engagement en ce que, en sa qualité de gérante de la société débitrice, elle les avaient elle-même négociées. D’autre part, le fait que la société débitrice principale – dont la caution était la représentante légale – ait indiqué dans ses conclusions de première instance ne pas contester le montant de la créance constituerait un aveu judiciaire.

La question était alors de savoir si – tant la participation de la demanderesse au pourvoi à la renégociation du contrat de prêt en qualité de gérante que les déclarations faites en première instance en cette même qualité – pouvaient lui être opposées en sa seconde qualité, celle de caution.
Pour répondre par la négative et casser l’arrêt, la Chambre commerciale va opérer une distinction stricte entre les actes accomplis par la demanderesse en tant que dirigeante et ceux réalisés en qualité de caution du prêt.

Un contexte classique : une caution au prise avec les conséquences de son engagement.

La liquidation judiciaire, situation à haut risque tant pour le créancier que la caution.

Par nature l’engagement de caution n’est jamais agréable pour celui à qui il est réclamé le paiement de la dette d’autrui. Évidence incontestable, Thalès ne s’embarrassait ainsi pas de démonstration au moment d’affirmer « Ne te porte jamais caution. » L’arrêt ici commenté permet de rappeler qu’il sera illusoire de compter sur le droit des entreprises en difficulté pour faire mentir le philosophe grec.

En effet la caution actionnée aura d’abord la surprise de se voir déchue du terme de son obligation du simple fait de la procédure de liquidation judiciaire. Ensuite, la déclaration de créance faite par le créancier au passif de la liquidation judiciaire emportant les effets d’une demande en justice, la caution verra disparaître – en même temps qu’une part plus ou moins importante de son patrimoine – le bénéfice de discussion qu’elle aurait éventuellement pu opposer.
Enfin, et surtout, bien que leur droit aux poursuites individuelles survive à la clôture de la procédure pour insuffisance d’actif, celui-ci se révélera bien théorique en cas de dissolution de la société débitrice principale.

D’un autre coté, la situation du créancier sera loin d’être idéale. Le problème majeur résidera cette fois dans le constat des très faibles taux de recouvrement de créances pouvant être espérés. Le bénéfice d’un cautionnement constituera alors une véritable échappatoire face à une procédure collective dans la majorité des cas complètement impécunieuses.
Dans ces conditions, tout l’enjeu du pourvoi en cassation se résumait à savoir qui de la caution ou du créancier devait être entraîné par la société débitrice principale dans sa chute.

Le pragmatisme de la Cour d’appel au secours du créancier.

Pour la Cour d’appel, c’est le créancier qui en l’espèce méritait le plus de s’extirper du bourbier de la liquidation judiciaire de la société débitrice principale.
D’ailleurs, la banque prêteuse pouvait légitimement s’avancer devant la Cour de cassation avec confiance puisque les juges du fond lui avait donnée raison non pas par un seul, mais par deux fondements.

A tout le moins, il sera difficile de reprocher à la Cour d’appel de ne pas avoir fait preuve d’un pragmatisme certain, tant son raisonnement apparaît particulièrement limpide. En premier lieu, la demanderesse au pourvoi à renégocié elle-même les termes du prêt accordé à sa société : il est alors évident que celle-ci a continuellement gardé à l’esprit que – en sa qualité de caution – elle serait éventuellement appelée à répondre des engagements ainsi modifiés. En second lieu, la demanderesse, alors représentante de la société débitrice principale, a admis, dans ses conclusions de première instance, « ne pas contester le montant de la créance » réclamée par la banque et tenant compte de la modification des modalités de la dette de remboursement.

Et les juges du fond de tirer les deux conséquences juridiques de leurs constatations. D’abord, puisque devant être regardée comme bien plus qu’avertie, la demanderesse à implicitement mais nécessairement accepté les modifications de son engagement de caution. Ensuite l’aveu judiciaire faisant, selon l’article 1356 du Code civil, « pleine foi contre celui qui l’a fait  », les déclarations faites par la demanderesse en première instance lui sont pleinement opposables, peu important la qualité dont souhaite aujourd’hui se prévaloir la défenderesse. En d’autres termes, la demanderesse tenterait de contester en cassation une dette qu’elle avait pourtant purement et simplement reconnue.

Cette double justification avancée par la Cour d’appel sera censurée par la Cour de cassation qui, pour cela, n’aura elle besoin que d’un seul fondement : le primat de la fiction juridique sur la réalité factuelle.

La protection – quelque peu artificielle mais nécessaire – du dirigeant-caution

Le dirigeant et la caution, juridiquement deux personnes distinctes.

Au pragmatisme de la Cour d’appel, la Cour de cassation a préféré le jeu de la distinction des différentes qualités revêtues tour à tour par la demanderesse au pourvoi.

Ainsi, lorsque celle-ci a signé l’acte entérinant la renégociation des termes du contrat de prêt, elle agissait uniquement dans ses fonctions de gérante. Or, l’article 2292 du Code civil dispose que le cautionnement ne se présume, doit être exprès, et ne peut être étendu au-delà des limites dans lesquelles il a été contracté. En conséquence, il aurait été nécessaire, pour que l’augmentation de l’obligation de remboursement soit opposable à la caution, que la gérante-caution appose une seconde signature, mais cette fois en qualité de caution et non plus de gérante, la simple connaissance des nouvelles stipulations, acquises dans le cadre de la fonction de gérante, ne suffisant pas.

Le même raisonnement fonde le rejet de l’argument reposant sur la reconnaissance de la dette en première instance : l’aveu judiciaire du représentant légal d’un débiteur quant à l’absence de contestation du montant de la créance ne caractérise pas un aveu qu’il en garantit personnellement le paiement en qualité de caution.

Cette décision, qui a priori pourrait n’avoir d’intérêt que de rappeler l’exigence du caractère certain de l’acceptation par la caution de l’aggravation de l’étendue de son engagement, souligne toutefois comment la jurisprudence a dépassé la lettre du Code civil qui semble simplement supposer – via l’article 2288 – que le cautionnement valable implique que la caution et le débiteur principal soient deux personnes distinctes. Or, avec cette décision du 24 juin 2014, la Cour de cassation va plus loin : elle autorise de se contenter de pouvoir distinguer – non pas deux personnes – mais simplement deux qualités à la charge du même individu.

Une décision dans la continuité d’une jurisprudence protectrice du dirigeant-créancier.

En pratique les raisonnements subtiles compliquent souvent les choses. Ainsi les créanciers devront désormais s’attendre à se voir reprocher de ne pas justifier que l’acte dont ils se prévalent à été accompli par la caution ou le gérant. Pour éviter cet écueil et pouvoir opposer leurs arguments à l’un comme à l’autre, ils seront condamnés à doubler les formalismes.

Le dirigeant, par nature est celui qui engage la société, qui l’expose au risque. Réciproquement, par l’objet de son engagement, la caution est une personne craintive, désireuse que la société limite ses risques de défaillance. De ce postulat, et du constat que les petites et moyennes entreprises ne peuvent bien souvent compter que sur le cautionnement de leur gérant-associé pour espérer obtenir du crédit, découle un risque évident de blocage lorsque le dirigeant-caution, craignant pour son patrimoine personnel, n’ose plus remplir son rôle d’impulsion de l’entreprise.

Ce problème a bien été pris en compte par la loi et la jurisprudence. Ainsi il n’est pas anodin que l’extension de l’obligation d’une mention manuscrite pour que le cautionnement soit valable ainsi que l’exigence d’un engagement proportionné aux biens et revenus de la caution soient issues d’un texte destiné précisément à favoriser « l’initiative économique » : la loi Dutreil du 1er août 2003.

Dimitri Seddiki

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