Divorce et juge : un couple inséparable.

Par Michèle Bauer, Avocat.

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Explorer : # divorce # juge # droits des époux # notaire

Le divorce amiable sans juge, ce serpent de mer revient sans cesse, il n’y pas si longtemps il était question de confier le divorce au greffier.

Je me souviens que peu après ma prestation de serment, il avait été question de confier le divorce aux notaires.

L’amendement du 30 avril 2016 qui a été adoptée en commission des lois (débattu le 17 mai) propose encore une fois la disparition du juge et un simple enregistrement et une taxation par le notaire de la convention de divorce rédigées par deux avocats.

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Le gouvernement souhaite séparer le divorce du juge pour des raisons officielles que l’on peut trouver légitimes à première vue : l’apaisement et la simplicité.

Passer devant un juge qui homologue une convention de divorce n’est pas source de conflit et je ne comprends pas en quoi passer devant le notaire enregistreur et taxateur sera une source d’apaisement.

Pour ce qui est de la simplicité, il faudra repasser, le divorce amiable tel que proposé est toujours un acte, une convention de divorce rédigée et signée par les époux et les avocats. Le juge est remplacé par un notaire qui enregistre et taxe à hauteur de 50 euros (pour l’instant mais ne doutons pas que cette taxe augmentera).
Les époux devront s’adresser à deux avocats alors qu’aujourd’hui ils peuvent s’adresser à un seul.

Qu’est-ce qui a été simplifié ?

En réalité, au prétexte que les divorces sont socialement banalisés, il est proposé d’affaiblir les droits des époux en les privant du juge.

Un divorce par consentement mutuel est un divorce amiable mais ce n’est pas parce qu’il est amiable qu’il ne cache pas des rapports de force. Il arrive parfois qu’un époux domine l’autre et souhaite lui imposer ses décisions relatives aux enfants, au sort du bien commun ou au montant de la prestation compensatoire.

Dans ces rapports compliqués, le juge reste le seul et l’unique garant de la protection des intérêts des parties les plus faibles :

  • l’époux qui n’a pas choisi le divorce (car même lorsqu’un divorce est à l’amiable, il arrive souvent que le choix de divorcer est celui d’un seul époux),
  • l’enfant qui n’a pas le choix.

L’avocat joue un rôle important et essentiel dans les procédures de divorce amiable, le gouvernement en a eu conscience puisqu’il n’a pas supprimé les avocats de ce divorce sans juge. Nous conseillons les parties, les écoutons puis seul ou avec un confrère nous menons les parties vers un équilibre.
Cependant, nous ne sommes jamais à l’abri d’un faux consentement mutuel, seul le juge pourra le déceler. Notre rôle est renforcé, conforté par la présence du juge.

C’est bien parce que les époux savent qu’un juge contrôlera, vérifiera leur accord que les refus d’homologation ne sont pas aussi importants. Nous bénéficions d’une clef pour débloquer les situations, cette clef c’est le juge, levier de nos négociations.
Notre travail pour arriver au meilleur accord possible est facilité car nous pouvons dire à un époux qui souhaite renoncer à certains de ses droits que le juge n’acceptera pas d’homologuer et ce seul risque de refus d’homologation suffit parfois à le faire changer d’avis.

De plus, les époux sont rassurés par la présence du juge, par la présence d’un tiers avec un regard neutre et bienveillant.

L’amendement prévoit des gardes fous et prétend que ces derniers pourront être les garants d’un accord équilibré.
Un des gardes fous est l’enfant : il est précisé que ce dernier pourra demander son audition après avoir été informé par ses parents de la procédure de divorce. Comment peut-on imaginer un seul instant confier cette lourde responsabilité à un mineur ?

Dans les séparations, les enfants sont déjà dans un conflit de loyauté permanent, est-ce bien raisonnable de leur permettre de faire échouer le divorce amiable de leurs parents ?

En pratique, cette disposition est inapplicable, l’enfant doit être informé par ses parents… si les parents ne souhaitent pas l’informer, ils ne l’informeront pas.

Autre garde fous : la rétractation des époux, le délai de 15 jours qui leur est donné pour réfléchir, ils recevront une lettre recommandée de leur avocat, un peu comme lorsque l’on achète un bien, après signature de l’acte sous seing privé, ce dernier est adressé en recommandé et l’acheteur bénéficie de 15 jours pour se rétracter.

Le sort des époux est traité comme le sort d’un bien alors que ce sont des personnes qui sont concernées par un divorce, le divorce règle des rapports humains souvent douloureux.

Cet amendement souhaite séparer le juge et le divorce à défaut de donner les moyens à la justice. Si un budget décent était accordé à la justice, les délais pour divorcer à l’amiable seraient moins longs car les juges seraient plus nombreux.
Au lieu de s’attaquer au vrai problème, le gouvernement préfère la déjudiciarisation et se désintéresser des justiciables, du service public de la justice que les futurs divorcés financent avec leurs impôts.

Le divorce et le juge sont pourtant inséparables comme l’est la démocratie et la justice.

Michèle BAUER

Avocate à la Cour

Généraliste, titulaire d\’un certificat de spécialisation en droit du travail

Blog : http://michelebaueravocatbordeaux.fr

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  • par Benoît Van de Moortel , Le 10 mai 2016 à 18:04

    Votre article me semble parfait. L’amendement du gouvernement, dont chacun pourrait prendre utilement entière connaissance sur le site de l’Assemblée Nationale, mérite en effet davantage l’analyse pertinente et sage à laquelle vous procédez que les réactions émotionnelles ou les appétits mercantiles qu’il suscite par ailleurs.

    On a beau lire le texte législatif proposé et l’exposé sommaire qui le suit, on cherche en vain le rapport entre le contenu du premier et les objectifs affirmés par le second.

    « La volonté constante de simplification et de pacification des relations entre les époux divorçant » ? Or, quoi de plus simple et de plus pacifique que l’actuel divorce par consentement avec le concours d’un avocat (ou deux s’il subsiste quelques points de divergence à négocier) et le contrôle du juge ? En quoi le juge serait-il, en soi, source de complication et de conflit ?

    « Le coût de ce divorce se veut maitrisé » ? En quoi l’obligation de recourir à deux avocats quand un seul peut suffire actuellement (l’amendement ne concerne que les cas les plus simples et a priori les plus consensuels), et celle de payer « environ 50 € » (pour le moment) à un notaire pour qu’il « constate » le divorce et donne force exécutoire à l’acte d’avocat quand le juge, pour 0 €, fait la même chose mais après s’être assuré du consentement des époux, de l’équilibre de leurs droits et de la sauvegarde des intérêts des enfants, sont-elles de nature à réduire le coût du divorce pour les intéressés ?

    Comment peut-on prétendre maîtriser le coût du divorce en le livrant, sans contrôle juridictionnel, à un marché et à une surenchère publicitaire dont la consultation d’Internet nous donne déjà une idée ? Certes, des juges consciencieux ont déjà été amenés à refuser d’homologuer des conventions de divorce au motif que les époux n’avaient pas rencontré leur « avocat-divorce-pas-cher » avant l’audience. Alors évidemment, si on supprime le juge … Tout cela est quand même un peu cynique.

    « La justice est à bout de souffle », déclarait le ministre quelques jours avant son amendement. Cela peut justifier bien des réformes, mais de là à les présenter comme des progrès ...

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