Par Sophia Binet, Avocat.
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  • 1re Parution: 9 janvier 2019

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Le sort du logement en location à l’égard du couple marié et divorcé.

Comment les couples mariés locataires du logement familial sont-ils protégés au cours de leur relation et en cas de séparation ?

Le logement familial est le lieu de résidence principal de la famille, c’est-à-dire le lieu où la famille habite effectivement. Lorsque le logement familial est assuré généralement au moyen d’un bail d’habitation, qui peut être un contrat alloué par un propriétaire privé ou par un bailleur social (Office HLM, etc.), les règles applicables diffèrent selon que le couple est marié, pacsé ou vit en concubinage.

1. Les locataires mariés : la protection du logement familial pendant le mariage.

Le mariage est le mode d’union qui protège le plus les locataires du logement familial.

Lorsque le couple est marié et vit dans un logement en location, l’article 1751 alinéa 1er du Code civil instaure en effet une co-titularité du bail si le bail est à usage exclusif d’habitation.

Cela signifie que si un seul des époux a signé le bail, l’autre sera automatiquement réputé co-titulaire du bail.

Le bailleur peut s’adresser à n’importe lequel des époux pour en obtenir le règlement ou le remboursement d’éventuels impayés des dettes de loyers qui sont des dettes ménagères au sens de l’article 220 du Code civil, et ce, autant que dure le mariage.

La co-titularité du bail s’impose quel que soit le régime matrimonial des époux et même si le contrat de bail a été conclu avant le mariage. Les époux sont réputés co-titulaires du bail autant que dure le mariage, c’est-à-dire que même s’ils sont séparés de fait ou en instance de divorce, ils continuent à être co-titulaires du bail.

2. En cas de décès de l’un des époux ?

Si l’un des époux décède, l’autre est en droit de rester dans les lieux et dispose d’un privilège, un droit exclusif sur le bail (Code civil, article 1751, alinéa 3).

Le droit au bail sera transféré au conjoint survivant, sans que ce dernier n’entre en concours avec les descendants de l’époux décédé.

L’époux survivant est prioritaire, par rapport aux autres héritiers du défunt, qui ne peuvent pas revendiquer le bénéfice du transfert du bail. Il peut toutefois renoncer à ce droit auprès du bailleur, à condition que cette renonciation soit expresse.

3. Que doit faire le propriétaire s’il souhaite donner congé à ses locataires mariés ?

Sous réserve de respecter certaines conditions de forme et de préavis, le propriétaire est en droit de donner congé à ses locataires mariés en veillant à prendre des précautions supplémentaires :

A qui adresser le congé ? Il doit l’adresser aux deux époux s’il a eu connaissance du mariage, même si le bail a été signé par un seul d’entre eux.

Les époux doivent informer leur bailleur de l’existence de leur mariage, soit au moment de la conclusion du bail, soit ultérieurement, si les époux se sont mariés en cours de contrat de bail.

Sous quelle forme ? Il est préférable que le propriétaire adresse une lettre distincte à chaque époux (Cass. 3ème civ., 10 mai 1989, n° 88-10.363 : JurisData n° 1989-701520).

La jurisprudence a en effet déjà considéré que le fait d’adresser le congé à « Monsieur ou Madame » n’était pas valable (Paris, 21 septembre 1992, n° 91-010589 : JurisData n° 1992-022424).

Quelle est la forme du congé si le propriétaire n’a pas connaissance du mariage ? L’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 relative aux baux d’habitation prévoit en effet que si le propriétaire n’a pas été informé du mariage et qu’il a donné congé au seul époux qu’il connaît, ce congé sera « opposable » à l’autre.

Le congé donné à l’un des locataires vaudra donc dans ce cas à l’égard des deux époux.

Si le propriétaire donne congé à un seul des deux époux alors qu’il avait connaissance du mariage ? Ce congé ne sera pas opposable à l’autre, c’est-à-dire qu’il ne vaudra pas à l’égard de l’époux à qui le congé n’a pas été adressé.

Cela signifie que dans ce cas, l’époux à qui le congé n’a pas été adressé pourra continuer à habiter les lieux.

4. Que devient le logement familial en location en cas de procédure de divorce ou de séparation de corps ?

Si l’un des époux quitte le logement sans payer le loyer ?

Lorsqu’un des époux quitte le logement, l’autre n’a pas à assumer seul les dettes de loyer vis-à-vis du propriétaire : les époux restent ensemble redevables du paiement des loyers tant que le divorce n’est pas effectif (c’est-à-dire lorsque les époux sont séparés de fait ou en instance de divorce, Cass. 3e civ., 2 févr. 2000 : Juris-Data n° 000233).

Si l’un des époux donne seul congé (préavis) au propriétaire ?

L’époux qui a seul donné congé reste quand même redevable du paiement du loyer et des charges, le congé est dit « inopposable » à l’autre qui reste dans les lieux (Cass. 3ème civ., 27 avr. 1976, n°74-13.925, JurisData n° 1976-098176).

L’époux qui n’a pas donné congé peut donc continuer à résider dans les lieux puisqu’il est lui-même titulaire du bail.

Mais le propriétaire est en droit de demander à l’un quelconque des époux le paiement des loyers, même à celui qui a donné congé.

Quand l’époux ayant quitté le logement cesse donc le paiement des loyers ?

Cette obligation de payer le loyer prend fin lorsque l’autre époux a lui-même donné congé au propriétaire si le couple reste marié OU lorsque le divorce est retranscrit en marge des actes d’état civil en cas de séparation effective.

Le logement peut-il être attribué officiellement à l’un des deux époux en cas de divorce ou de séparation ?

Oui, lorsque les époux sont en procédure de divorce ou de séparation de corps, l’un d’eux peut demander à rester dans les lieux et être seul titulaire du bail.

Chaque époux a en effet la possibilité de demander l’attribution préférentielle du droit au bail du logement familial, conformément à l’article 1751, alinéa 2 du Code civil.

En d’autres termes, le Juge statue sur l’occupation du logement, à titre gratuit ou onéreux. La jouissance, sauf disposition contraire du juge, est gratuite jusqu’à l’ordonnance de non-conciliation. Elle ne peut être fixée à titre gratuit au bénéfice de l’un des époux qu’au titre du devoir de secours.

Si la jouissance est prononcée à titre gratuit, cette disposition prend fin au jour du prononcé du divorce puisque le devoir de secours disparait.

Si l’ordonnance de non-conciliation ne précise pas la nature de la jouissance elle est en principe onéreuse, c’est-à-dire qu’elle donnera à l’issue de la liquidation du régime matrimonial à la perception par l’indivision d’une indemnité d’occupation.

Cette demande doit être portée devant le Juge aux Affaires Familiales saisi de l’action en divorce ou en séparation de corps.

L’alinéa 2 de l’article 1751 du Code civil précise que l’attribution préférentielle de ce droit au bail sera accordée « en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause ».

Pour accorder le droit au bail à l’un des époux, le Juge prendra donc en compte un certain nombre d’éléments tels que :
- les ressources de chacun des époux,
- le mode de garde des enfants,
- l’état de santé des époux,
- ou encore, par exemple, le fait que l’un d’eux exerce sa profession dans le logement familial.

Et du côté du propriétaire ?

La décision du Juge n’est pas opposable au bailleur.

L’époux qui ne disposera pas de la jouissance du logement restera tout de même tenu de régler le loyer et les charges si le conjoint occupant est défaillant et cela jusqu’à la transcription du jugement de divorce sur les actes d’état civil.

Sophia BINET
Avocat au Barreau de PARIS
19, Boulevard de Sébastopol
75001 PARIS
Tél : +33 (0) 1.85.09.90.15
Fax : +33 (0) 1.85.09.90.16
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