Eco-organisme et collectivités locales : je t’aime moi non plus.

Par Stéphan Denoyes, Avocat.

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A défaut de création légale d’un bloc de compétence juridictionnelle et de la définition d’un statut clair des éco-organismes, les tensions et contentieux entre collectivités locales (et leurs établissements publics de coopération intercommunale) et ces organismes de droit privé risquent de s’accroitre.

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Le début de l’année 2015 avait vu le landernau politique s’agiter autour de la question du ré-agrément, plus exactement du refus de ré-agrément, de l’éco-organisme European Recycling Platform (ERP). Le mélodrame qui s’en était suivi, avec l’adoption de l’article 19 nonies devenu 83 de la loi relative à la transition énergétique, puis, à mi-année, son invalidation par le Conseil constitutionnel, a masqué une autre problématique du paysage « éco-organismique » français : quel statut pour les éco-organismes et par là même pour les actes qu’ils sont amenés à prendre ou à conclure dans l’exercice de leurs missions ?

Alors que la plupart des agréments des éco-organismes arrivent à échéance et sont en cours de renouvellement, l’absence de statut clair pour ces organismes de droit privé intervenant dans un objectif d’intérêt général laisse à la jurisprudence le soin de préciser peu à peu leur régime, particulièrement concernant leurs relations avec les collectivités locales.
Le débat n’est pas nouveau et les éco-organismes eux-mêmes ne savent pas toujours à quelles juridictions se vouer.

Preuve en est par exemple d’Eco-emballage qui, avant de considérer aujourd’hui que les litiges nés des « Contrats Programmes Durées » (CPD) signés avec les personnes publiques relevaient du juge judiciaire, défendait la position strictement inverse aux motifs qu’il était agréé par l’État, qu’un cahier des charges lui était imposé, qu’il exerçait une activité de service public découlant de l’intérêt général et des contrôles exercés par l’administration.
En 2008, la même société Eco-Emballage, cette fois en conflit devant l’Autorité de la concurrence avec une autre société privée, soutenait toujours, pour écarter la compétence de l’Autorité de la concurrence, que les contrats conclus par l’éco-organisme et les collectivités locales étaient des contrats de droit public.

L’année 2016 marque le retour en force du débat sur le caractère public.
Répondant aux sollicitations du Président de l’AEME qui souhaitait que « la question du statut des contrats entre les éco-organismes et les collectivités locales, et notamment le fait de savoir s’il s’agit de contrats de droit public ou de droit privé » fasse « l’objet d’analyses complémentaires ultérieures », plusieurs juridictions de l’ordre judiciaire, Libourne et Nîmes, ont été invitées à se prononcer sur leur compétence pour statuer sur des litiges nés de l’exécution d’un contrat entre un éco-organisme et des établissements de coopération intercommunale.
Dans ces trois affaires, l’éco-organisme se prévalait des clauses contractuelles attribuant la compétence aux juridictions judiciaires pour se prononcer sur la contestation de titres exécutoires émis par lesdits syndicats intercommunaux. Ces derniers, de leurs côtés, contestaient la compétence du juge civil au motif que le contrat entre les parties serait administratif.

Les trois juridictions civiles ont fait droit aux demandes des personnes publiques et ont « liquidé leur compétence » par une application traditionnelle des cirières jurisprudentiels du contrat public.
Par jugement du 13 janvier 2016 le tribunal d’instance de Libourne a considéré que
« le contrat conclu entre les parties paraît avoir une nature administrative. Le contentieux relatif au titre exécutoire émis le 18 mars 2015 concerne une créance liée à l’application d’un contrat administratif, la société EcoDDS et le SMICVAL entretiennent des rapports de droit public, dans ces conditions le juge judiciaire ne paraît pas compétent pour connaître du litige et ce en dépit de la clause attributive de compétence figurant au contrat ».

Puis par ordonnance du 1er février 2016 le tribunal de grande instance de Libourne s’est à son tour déclaré incompétent pour trancher un litige relatif à l’exécution d’un contrat qu’il qualifie de contrat administratif : « le contrat conclu entre le SMICVAL et la société EcoDDS a une nature administrative et le litige relatif au titre exécutoire émis le 20 juillet 2015 est en lien avec l’application du contrat administratif sur lequel le juge judiciaire ne saurait se trouver compétent nonobstant la clause attributive de compétence figurant au contrat ».

Enfin, par un jugement du 12 avril 2016 opposant toujours la société EcoDDS à un syndicat mixte, le tribunal d’instance de Nîmes a décidé que «  la convention conclue entre la SAS EcoDDS et le syndicat mixte Sud Rhône Environnement constitue un contrat de droit administratif, de sorte que le contentieux relatif au titre exécutoire émis le 12/03/2015 par la société requérante concernant une créance liée non pas à une relation avec un usager du service public, mais à l’interprétation des conditions d’exécution d’un contrat administratif entre la société prestataire et l’organisme public cocontractant, ledit litige relève de la compétence matérielle du tribunal administratif de Nîmes (…) ».

Rappelons au passage que déjà en 2009, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise s’était implicitement reconnu compétent pour contrôler le bien fondé d’un titre exécutoire émis par une collectivité locale à l’encontre d’Eco-Emballage.
Récemment encore, le Conseil d’État a confirmé cette position sur les titres exécutoires en considérant que « lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d’émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge d’administratif d’une demande tendant à son recouvrement ».

Il convient également de souligner que dans ces trois litiges, les déchets visés étaient des produits dits « hors filières » REP, donc n’entrant pas dans le champs de l’agrément de l’éco-organisme mais relevant néanmoins du champ du service public des déchets ménagers et assimilés.
Dès lors, reprenant l’analyse jurisprudentielle classique de la qualification de contrat administratif, le juge civil se livre à une démarche pédagogique par l’analyse des critères organiques puis matériels du contrat administratif avant de décider que le litige ressort de la compétence du tribunal administratif, et évoque en filigrane les critères du service public dégagés par les arrêts NARCY et APREI.

La qualification de contrat administratif est en principe déterminée par la loi (travaux publics, domaines publics, partenariats, partenariats, marchés publics). A défaut, la jurisprudence a élaboré et fait évoluer au fil du temps divers critères permettant de qualifier un contrat d’administratif : des critères cumulatifs (dits organiques et matériels) et alternatifs au sein des critères matériels.
Ainsi, un contrat conclu entre une personne publique (critère organique) et une personne privée n’est un contrat administratif que s’il apparait comme un acte de gestion publique en raison, soit de son objet, soit de ses clauses, soit de son régime (critères matériels alternatifs).

I. Le critère organique ou la présence d’une personne publique.

En principe, un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée est un contrat administratif.
Rapporté aux parties en présence dans l’espèce, il ne fait aucun doute que le critère organique, c’est-à-dire la présence d’une personne publique, soit satisfait. Le SMICVAL, établissement public de coopération intercommunale, est bien une personne publique.

L’éco-organisme est de son côté une personne morale de droit privé, empruntant la forme d’une société commerciale dite à but non lucratif. Ces éléments sont régulièrement rappelés, par exemple par l’Autorité de la concurrence : « Les éco-organismes agissent selon les mécanismes du marché, tout en entant investis de missions d’intérêt général et dépourvus de but lucratif. Le caractère obligatoire de la réalisation des objectifs communautaires et nationaux, joue comme facteur de justification de l’action des éco-organismes. Par ailleurs, les éco-organismes qui sont des opérateurs économiques, investis de mission d’intérêt général, cherchent aussi à satisfaire des intérêts économiques qui leur sont propres » ; ou par des documents parlementaires : « Adhérer à un éco-organisme, organisme privé à but non lucratif, auquel ils versent une contribution financière en échange du transfert de l’obligation de traitement de leurs déchets ».
Même la Cour des Comptes précise que « les éco-organismes sont des personnes morales de droit privé, à but non lucratif, pouvant prendre des formes juridiques variées : sociétés par actions simplifiées, sociétés anonymes, associations ou groupement d’intérêt économique (GIE) ».

Qu’ils soient financiers, opérationnels ou mixtes, les éco-organismes sont amenés à contracter avec des collectivités territoriales et autres structures de coopération intercommunale. Lorsque l’éco-organisme est financeur, il n’intervient que pour apporter des financements aux collectivités qui restent chargées, en application de l’article L. 2224-13 du CGCT, de la collecte et de l’élimination des déchets des ménages. Dans ce cadre, personnes publiques et les opérateurs continuent de passer des contrats entre eux sans intervention de l’éco-organisme.
Lorsque que l’éco-organisme est opérationnel, il prend directement en charge la gestion de la collecte et du traitement des déchets auprès des points de collecte, parmi lesquels les collectivités territoriales et leurs établissements publics. D’autres éco-organismes sont dit mixtes car ils empruntent aux deux catégories précédentes.

II. Le critère matériel.

Dans ce domaine, le juge ne cherche pas à interpréter la commune intention des parties de se placer sous tel ou tel régime, mais étudie le contenu du contrat pour en tirer la nature administrative ou non et par voie de conséquence la compétence du juge appelé à en connaître.
Aussi, pour ce qui est du critère matériel, le juge appréhende successivement la question l’objet du contrat (A) puis celle de la présence de clause exorbitante du droit commun (B) et enfin la notion de régime exorbitant (C).

A. Concernant la question de l’objet du contrat

Un contrat passé par une personne publique sera administratif si par son objet il présente un lien avec une mission de service public. Or, la consistance de la notion de service public étant difficile à délimiter, il est revenu à la jurisprudence de déterminer l’administrativité des contrats.

Ainsi ont été jugés administratifs des contrats :

  • qui font participer le cocontractant à l’exercice d’une mission de service public tandis que la personne publique continue à assurer la mission, et à condition toutefois que la participation soit suffisamment directe ou ;
  • qui associent le cocontractant de l’administration à l’exécution d’un service public comme par exemple un contrat portant sur des obligations de stockage de beurre et associant le cocontractant au service public du ravitaillement ou ;
  • confiant l’exécution du service public au cocontractant de l’administration comme par exemple la coordination entre deux personnes publiques ou ;
  • qui constituent « une modalité d’exécution du service public » ou bien « a pour objet l’exécution même du service public » de l’administration.

Les textes et la jurisprudence elle-même paraissent parfois hésiter sur les qualifications comme en témoigne une ordonnance du tribunal administratif de Paris, qui considère, sans même se fonder sur les critères classiques d’identification du service public « qu’il résulte de ce qui précède que les éco-organismes précités (à savoir ceux des D3E) ne peuvent pas être regardés comme étant directement investis d’une mission de service public ».

Au passage, et avant d’entrer plus dans le détail il convient de remarquer que cette ordonnance amenuise clairement la définition du service public, dégagée au fil des ans selon laquelle le service public est une activité assurée directement ou indirectement par une personne publique en vue de la satisfaction d’un intérêt public. Il semble toutefois qu’il s’agisse d’une décision isolée.

En effet si le droit commun des déchets met à la charge du producteur du déchet ou de son dernier détenteur la responsabilité juridique et la charge financière de son élimination selon le principe pollueur payeur, les collectivités locales et leurs établissements de coopération intercommunales ont, en application de la loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l’élimination des déchets et à la récupération des matériaux et du décret n° 92-377 du 1er avril 1992 pris pour son application l’obligation d’assurer la collecte et le traitement des déchets ménagers et assimilés.

La collecte et le traitement des déchets des ménages et assimilés est donc un service public local. Il s’agit même d’un service public obligatoire, qui peut être réalisé en régie, en concession ou en affermage, et dans ces deux derniers cas au moyen d’une redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) si l’exploitant se rémunère directement sur l’usager au moyen d’une redevance. Si le service est exploité en régie, alors la commune peut passer des contrats avec des prestataires de service pour une exploitation privée. Dans le cadre d’une filière REP, le financement et l’organisation peuvent relever en tout ou partie d’un éco-organisme, lequel va participer financièrement et/ou opérationnellement à la prise en charge de la collecte et du traitement des déchets visés par la « REP ».

Les décisions libournaises se positionnent dans le droit fil des hautes juridictions. La solution pourrait en être différente pour les éco-organismes qui prennent en charge des déchets ne relevant pas de ce service public mais d’une démarche d’intérêt général. Toutefois, il ne s’agit pas ici d’entrer dans l’analyse et la validation jurisprudentielle de la nature de service public au regard des critères posés par les jurisprudences Narcy et Aprei, puisque de par la loi, la gestion des déchets ménagers et assimilés est une mission de service public.

Ainsi, le TGI de Libourne indique que la convention passée avec l’Eco-Organisme ayant « pour objectif de lui confier le traitement spécifique des « déchets diffus spécifiques ménagers » (DDS ménagers) selon des modalités précisément fixées au contrat et suivant un strict cahier des charges annexé à l’arrêté d’agrément ministériel spécifique à l’activité de la société EcoDDS. Il s’en déduit que le SMICVAL a transféré une partie de sa compétence en matière de gestion des déchets ménagés et assimilés et que par son activité, la société EcoDDS participe à l’exécution d’une des modalités de la mission de service public de gestion des déchets. » en accord avec l’article L.2214-13 du Code général des collectivités territoriales.

De son côté le TI de Libourne indique que « l’objet principal de son activité consiste selon son cahier des charges dans la prévention, la collecte séparée, l’enlèvement, le traitement, la valorisation des déchets diffus spécifiques ménagers issus des produits pour lesquels elle a un agrément, son activité vient donc en appui du service public de gestion des déchets ménagers dans une démarche d’intérêt général. Elle participe donc à l’exécution d’une des modalités de la mission de service public de gestion des déchets ».
Quant au TI de Nîmes, il n’aborde pas expressément la question du service public se contentant d’indiquer que « ladite convention n’a été conclue que dans un but d’intérêt général de gestion des déchets ménagers visant à assurer la collecte et le traitement des déchets ménagers collectés selon des conditions et procédures précises édictées par un cahier des charges déterminé par un arrêté ministériel qui encadre la collecte des déchets ménagers ainsi que leur remise et leur traitement ».

Par extrapolation le service public n’est pas mentionné mais il respire par mention de « la collecte et le traitement des déchets ménagers » lesquels appartiennent au service public des déchets.
A ce stade donc le contrat est bien un contrat administratif car les critères organiques et matériels sont bien réunis.

B. Concernant la présence de clause exorbitante

La satisfaction du critère organique, la présence de la personne publique et de l’un des critères matériels, l’objet du contrat, aurait du conduire les juges à clore leur raisonnement, même s’il est acquis d’une part que la référence aux clauses exorbitantes ne peut pas constituer un motif surabondant et d’autre part ces deux critères alternatifs doivent être placés à égalité pour la détermination de la nature administrative du contrat.
Pourtant les trois décisions précitées (Libourne et Nîmes) évoquent toutes la présence de clauses exorbitantes du droit commun, et notamment celle la résiliation unilatérale sans indemnités au profit de la personne publique.

Il convient de s’arrêter un instant sur cette notion de clause exorbitante du droit commun, et notamment sur cette clause particulière de résiliation unilatérale.
La jurisprudence concordante du Conseil d’État, de la Cour de cassation et du Tribunal des Conflits définit traditionnellement la clause exorbitante comme la clause portant sur des droits et obligations « étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d’être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales ».
Il s’agit donc des stipulations qui sont impossibles ou illicites dans un contrat de droit privé ou encore qui n’y sont pas usuelles ou habituelles.

Toutefois, comme le remarquait B. Dacostat « la logique consistant à définir le contrat administratif sous l’angle de sa seule « distance » par rapport au droit commun est tributaire de l’évolution de ce droit commun lui-même... À cette aune, ce qui était exorbitant peut ne plus l’être ».
Les mœurs d’un jour ne durent pas toujours.

Le Tribunal des Conflits a parfaitement pris acte du fait que l’insertion de telles clauses était régulière dans les conventions privées, ce qui l’a conduit à juger par exemple, à propos de la résiliation unilatérale, qu’elles ne doivent pas, en tant que telle et de façon générale, être considérées comme des clauses exorbitantes.
Il a également considéré, au sujet d’une « convention d’occupation temporaire » portant sur un immeuble appartenant au domaine privé d’une personne publique que malgré la clause permettant au propriétaire de reprendre la jouissance de l’immeuble à tout moment et pour tout motif, sans indemnité, sous réserve d’un préavis d’un mois, et malgré la clause obligeant le preneur à renoncer à tout recours contre la communauté urbaine pour quelque cause que ce soit n’était pas des clauses exorbitantes du droit commun conférant au contrat un caractère administratif.

Ainsi, une telle clause pourra, selon les cas, être jugée exorbitante ou non, et le juge doit se livrer à une appréciation in concreto.
C’est d’ailleurs ce que soulignait le Commissaire du Gouvernement à propos de l’arrêt Commune du Lamentin « les clauses qui autorisent la résiliation unilatérale des contrats ne sont pas par elles-mêmes et d’une façon générale considérées comme étrangères au droit privé ».

Enfin en 2014 le Tribunal des Conflits, suivant en cela le mouvement amorcé en 2008 avec l’arrêt Verrières, a eu l’occasion de moderniser la définition de ces clauses en jugeant que constitue désormais une telle clause celle « qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, implique, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».
En l’espèce, la juridiction des conflits relève que si l’association exerce une activité d’intérêt général, elle ne peut être regardée, eu égard notamment à l’absence de tout contrôle de la commune et de toute définition par celle-ci d’obligations particulières, comme chargée d’une mission de service public par la commune.
Ainsi, à défaut d’une telle finalité d’intérêt général, une clause même dotant la personne publique de pouvoirs unilatéraux ne saurait être qualifiée d’exorbitante, comme c’est le cas des clauses de résiliation unilatérale des conventions d’occupation précaire du domaine privé.
Le Tribunal des Conflit abandonne donc sa définition traditionnelle et définit la clause exorbitante comme celle qui implique, dans l’intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

Toutefois cet arrêt ne répondait pas à la nature juridique des clauses qui reconnaitraient des prérogatives ou obligations au profit du cocontractant. En effet, l’emploi du mot « notamment » pouvait laisser penser que des clauses bénéficiant au cocontractant privé de l’administration pouvaient être jugées administrative.
Dans leur rapport avec les collectivités locales, une telle précision s’avère nécessaire, tant les personnes publiques, représentée par Amorce par exemple, fustigent certaines prérogatives de ces organismes privés comme les « suspensions unilatérales des collectes des déchets dangereux en déchetterie », ou la « modification rétroactive des financements de la filière de recyclable des meubles (…) ».
Or, le 17 février 2016, la Cour de cassation faisant une première application de cette nouvelle définition de la clause exorbitante a considéré que la clause litigieuse, qui ne conférait un avantage qu’à la personne privée, ne pouvait être regardée comme une clause exorbitante.

Si le tribunal d’instance de Libourne pour sa part considère la clause de résiliation unilatérale ipso facto comme exorbitante, le tribunal de Nîmes semble appliquer cette nouvelle définition en jugeant « que cette disposition fortement inégalitaire au profit de la personne publique en ce qu’elle l’autorise à mettre fin de façon discrétionnaire au contrat apparaît dictée par l’accomplissement d’une mission d’intérêt général autorisant la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique et constitue un élément de nature à conférer à la convention conclue entre les parties un caractère administratif qui relève d’un régime exorbitant du droit commun des contrats ».
Il est intéressant de noter que le TGI de Libourne se réfère expressément à la jurisprudence précitée « Stein » de 1950 sans tenir compte des évolutions qui ont eu lieu depuis.

De plus ce n’est pas tellement la résiliation unilatérale qui est en cause, laquelle existe dans les contrats de droit privé, et l’administration disposant de ce pouvoir même sans texte ; la jurisprudence ayant considéré « ces mêmes principes ne s’opposent pas à ce que des stipulations contractuelles écartent, comme en l’espèce, tout droit à indemnisation en cas de résiliation du contrat par la personne publique ».
C’est plutôt le fait que ces clauses s’exercent dans l’intérêt général. Or l’éco-organisme est lui-même chargé d’une mission d’intérêt général, à tout le moins agit dans une mission d’intérêt général. A ce titre l’éco-organisme peut-il être doté de prérogatives de puissance publique ? ou faut-il y voir l’élaboration d’une hiérarchie dans l’intérêt général ?

C. Le régime exorbitant

Pourtant à y regarder de plus près, la motivation des décisions de Libourne laisse planer un certain doute sur la certitude du raisonnement mené.
En effet, dans leurs décisions, les juridictions civiles ont déposé sur le plateau administratif de la balance le poids d’éléments extérieurs au contrat, comme si elles voulaient justifier absolument la nature administrative des rapports entre les cocontractants.

Ainsi à côté de la clause de résiliation unilatérale sans droit à indemnité, elles considèrent pêle-mêle que :

  • le fait que la convention doit être transmise aux ministères de tutelle conformément au cahier des charges annexé à l’arrêté d’agrément d’ECODDS ;
  • les missions sont assurées dans les conditions et procédures précises édictées dans le cahier des charges ;
  • la nécessité d‘un agrément d’ECODDS avant toute contractualisation ;
  • l’activité est contrôlée par l’administration ;
    participent à l’exorbitance des clauses.

La décision de Nîmes va plus loin car elle considère que cette clause exorbitante « apparaît dictée par l’accomplissement d’une mission d’intérêt général autorisant la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique et constitue un élément de nature à conférer à la convention conclue entre les parties un caractère administratif qui relève d’un régime exorbitant du droit commun des contrats ».
Ainsi si ces trois décisions tranchent dans le même sens, elles ne semblent plus savoir à quelle exorbitance se vouer : clause ou régime ?

En effet, à côté de la clause exorbitante du droit commun, le juge judiciaire considère que de nombreux indices révèlent un régime exorbitant du droit commun, lequel en principe ne se confond pas avec la notion de clause.
Si la clause est un élément interne au contrat, le régime exorbitant recouvre pour sa part ce qui est hors du contrat, qui s’impose à lui et constitue dès lors un régime exorbitant. C’est pour ainsi dire l’ambiance « publique » du contrat.

Sans doute les hésitations des juridictions sont-elles dues à la terminologie usitée dans l’arrêt AXA de 2014 qui précise que les clauses dont il était question relèvent d’un régime exorbitant, en tenant compte des contrôles, plus exactement de l’absence de contrôle opéré par la personne publique contractante.
Il a d’ailleurs déjà été jugé que des clauses qui conféraient un pouvoir de contrôle et de direction à l’administration sur son cocontractant était des clauses exorbitantes.
De même les hésitations de la Haute juridiction administrative au sujet des clauses faisant référence à des cahiers des charges qui peut en déduire la nature administrative du contrat litigieux ou l’inverse, n’est pas pour simplifier la décision.

Dans le même ordre d’idée, toujours au sujet des cahiers de charges, le Tribunal des Conflits a jugé qu’un contrat pouvait renvoyer « à un cahier des charges qui lui-même comprend une clause exorbitante du droit commun » et que dès lors «  constitue notamment une telle clause le fait de prévoir au profit de la personne publique contractante un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat en l’absence de tout manquement du titulaire de ce dernier à ses obligations contractuelles ».

En matière de contrôle, le juge aurait même pu ici aller plus loin, en mentionnant la présence d’un censeur d’État, l’invention des provisions pour charges futures (exorbitantes du droit commun comptable), ou encore la nécessité de respecter à la demande de l’autorité de la concurrence des règles les plus strictes d’appel d’offres privés (transparence des marchés, traitements égalitaires des candidats…), l’instauration de contrôle à mi-agrément, le contrôle de la Cour des comptes, ou encore l’existence de lignes directrices des relations entre les éco-organismes et les opérateurs de la gestion des déchets, etc. Le juge aurait aussi pu constater que les cahiers des charges des éco-organismes encadrent de plus en plus leur activité et sont passés de quelques pages à plusieurs dizaines.

A première vue l’ambiance existe donc. Mais en l’espèce et à la différence de l’affaire AXA dont semble s’inspirer la décision, la personne qui contrôle le cocontractant est l’État, pas la personne publique contractante. Le contrôle ne s’exerce donc ni par la personne publique contractante ni à son profit mais au profit d’un tiers au contrat.
Tous ces éléments restent extérieurs au contrat entre la personne publique dont il s’agit, le syndicat intercommunal et son cocontractant, l’éco-organisme.

C’est donc désormais bien plus la notion d’intérêt général qui est devenue prioritaire : « la réalisation prioritaire de l’intérêt général révélée par la clause exorbitante ne peut produire son plein effet qu’à la condition que le contrat, dans son ensemble, soit soumis au droit public », et donc à un régime exorbitant. Ce qui ne sera pas sans difficulté puisque cette notion centrale du droit administratif reste imprécise.
En effet si l’intérêt général est une condition essentielle du service public, il ne se confond pas systématiquement avec lui. Au demeurant, alors que les éco-organismes ont coutume d’écrire qu’ils remplissent une mission d’intérêt général, leurs cahiers des charges mentionnent plus volontiers une simple « démarche d’intérêt général ».
L’arrêt précité du Conseil d’État dit « Candia » est assez éloquent sur cette ambivalence puis à le lire littéralement « la contribution financière versée à l’organisme agréé mentionné à l’article 4 du décret du 1er avril 1992, si elle se rattache à l’exercice d’une mission d’intérêt général qui consiste à organiser sur le territoire national la collecte sélective, le tri, le recyclage et la valorisation énergétique des emballages ménagers ».
Autrement dit, alors que selon l’article L.2224-13 et L.2224-14 du Code général des collectivités territoriales le service public des déchets relèvent des compétences des personnes publiques locales, sur leur territoire, la mission de l’éco-organisme de l’organiser au plan national serait une mission d’intérêt général. De là à y voir une hiérarchie entre une mission de service public local contre mission d’intérêt général nationale.

III. Un doute peut-il encore subsister sur la nature du contrat ?

Il convient tout d’abord de remarquer que les trois décisions ne concernent que des contrats ayant pour objet expressément le service public des déchets ménagers et assimilés.
Mais qu’en est-il par exemple des contrats dont l’objet serait étranger à ce service public ? Faudrait-il au cas par cas procéder à l’analyse des critères dégagés par la jurisprudence pour savoir si la mission est de service public ou non ? Et si elle l’est s’agit-il d’un service public administratif ou industriel et commercial ? ou s’agit-il d’une simple démarche d’intérêt général ?

Qu’en est-il également des contrats qui cette fois feraient participer des personnes publiques à une mission d’intérêt général, comme par exemple assurer la simple mise à disposition d’un point de collecte de déchets non ménagers n’entrant pas dans les compétences de ces personnes publiques ?
Qu’en est-il de la nature des contrats-types qui sont imposés aux opérateurs de collecte (certes choisis par appel d’offres privés), lesquels pourraient parfaitement apparaître comme des mesures d’organisation du service public et dès lors relever aussi de la compétence administrative alors même qu’il s’agit de deux personnes privées contractantes ?

La réponse sur la nature du service public est aussi d’importance, notamment pour l’assujettissement ou non à l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, laquelle indique que les pouvoirs adjudicateurs sont « 2° Les personnes morales de droit privé qui ont été créées pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial, dont b) Soit la gestion est soumise à un contrôle par un pouvoir adjudicateur ».
Dès lors, pourrait-il y avoir des éco-organismes soumis à cette ordonnance tandis que d’autres y échapperaient ?
Qu’en est-il également la nature des contrats de financement apportés aux collectivités locales ou aux établissements publics de coopération intercommunale par les éco-organismes financeurs ou mixtes ? et quid selon que ces personnes publiques financent les services sur le budget général, par la TEOM ou la REOM ?

Que dire encore de la nature du financement par des entreprises privées du service public ? En effet, les communes et structures intercommunales compétentes peuvent librement opter pour l’un des trois types de financement prévus par la loi, à savoir :

  • soit le budget général de la collectivité ;
  • soit la taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) ;
  • soit, enfin, la redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) prévue à l’article L.2333-76 du Code général des collectivités territoriales.

En effet, la TEOM ne peut financer l’enlèvement des déchets dits « assimilés » aux déchets ménagers, déchets pour lesquels, l’instauration d’une redevance spéciale est alors obligatoire en sus de la TEOM .
Or, matière de traitement des déchets le mode de financement est décisif, comme l’a précisé par avis le Conseil d’État qui a créé un bloc de compétence au profit du juge judiciaire en matière de services publics communaux financés par une redevance : « lorsqu’une commune décide de financer son service d’enlèvement des ordures ménagères par la redevance […], ce service municipal, qu’il soit géré en régie ou par voie de concession, doit être regardé comme ayant un caractère industriel et commercial ».

De plus, par un arrêt du 11 juillet 2011, le Conseil d’État a considéré que si la contribution versée par ses « adhérents » à l’éco-organisme, en l’espèce Eco-emballage, n’avait pas un caractère fiscal, elle était toutefois constitutive d’une redevance pour services rendus. De son côté, la cour d’appel de Paris a jugé que ses contributions versées à Eco-Emballage par les producteurs de déchets, consenties dans le cadre de relations contractuelles de droit privé ont « pour objet le financement du service public d’élimination des déchets d’emballages ménagers qui constitue un service public à caractère industriel et commercial ». L’objet du contrat est donc bien en lien avec le service public. Mais la collectivité locale a-t-elle mis en place un TEOM dont on sait qu’elle confère le caractère de service public administratif ? Une TEOM accompagnée d’une redevance spéciale ou une REOM dont il est acquis que la redevance confère le caractère de service public industriel et commercial ?
Ainsi, quel est dès lors la nature de la participation financière, due soutien apporté par des éco-organismes à un service public industriel et commercial ?

Dans le même ordre d’idée, si plusieurs réponses ministérielles ont admis l’éligibilité au titre du mécénat des dons consentis à des collectivités territoriales par des particuliers, l’administration fiscale a également précisée que « (...) les dons effectués par une entreprise à une collectivité publique, telle que l’Etat ou une collectivité territoriale, peuvent ouvrir droit à la réduction d’impôt prévue à l’article 238 bis à condition que les dons soient affectés à une activité d’intérêt général présentant un des caractères mentionnés à ce même article ».

Toutefois le projet auquel le don sera affecté doit impérativement remplir les conditions d’éligibilité au mécénat :

  • le don doit être affecté à un projet exercé dans l’un des domaines mentionnés aux articles 200 et 238 bis du Code général des impôts (CGI) ;
  • le projet doit être réalisé en France ou dans un des champs autorisés à l’international ;
  • le projet ne doit pas bénéficier uniquement à un cercle restreint de personnes ;
  • le projet doit avoir un caractère non lucratif ; dans le cadre de cette analyse la gestion désintéressée des activités menées par une collectivité publique est présumée : « (...) l’examen de la gestion désintéressée n’a pas à être effectué dans le cadre d’activités exercées par une collectivité publique ».

Dans ce cadre un éco-organisme pourrait-il prétendre que les soutiens financiers versés aux collectivités locales répondent à ces critères ?

Les conclusions des juridictions du premier degré dans ces affaires sonnent comme une invitation des juges au législateur.
En effet, le tribunal d’instance de Libourne ne semble pas bien sur de son propre raisonnement : « Le contrat paraît avoir une nature administrative (…) », « Le juge judiciaire ne paraît pas compétent ».
Celui de Nîmes va dans le même sens lorsqu’il considère que la clause exorbitante
« apparaît dictée par l’accomplissement d’une mission d’intérêt général ».

Doit-on y voir l’application de la théorie de l’apparence qui permet de se fonder sur l’apparence d’une situation pour lui faire produire des effets juridiques qui ne lui sont pas normalement attachés puisqu’en réalité, au delà de l‘apparence, elle ne remplit pas les conditions nécessaires à cette fin.
Quoiqu’il en soit ces décisions des juridictions judiciaires ont le mérite de rappeler toute la particularité des mécanismes juridiques de mise en œuvre de la responsabilité élargie des producteurs en droit français.

La ministre de l’Environnement elle-même n’écrivait-elle pas dans le récent rapport de la Cour des comptes consacré aux éco-organismes qu’il s’agissait d’un « dispositif, qui associe d’une manière originale les leviers d’actions privés au service du service public de gestion des déchets ».
Ainsi, une ventilation des compétences entre les deux ordres de juridiction, selon que le litige porte sur une mission de service public ou non, selon que le contrat soit entre partenaires privés (y compris une personne publique intervenant hors champs de la sphère publique) ou non, selon l’appréciation de la notion d’intérêt général, selon le type de déchets… apparaît assez complexe tant pour les éco-organismes que pour leurs partenaires, lesquels pourraient être tentés de multiplier les contentieux afin de savoir à quelle juridiction se vouer.

Il semble donc urgent que les pouvoirs publics se positionnent sur cette question, par la création d’un bloc de compétence juridictionnel qui permettrait d’apaiser les tensions entre ces différentes acteurs, pour leur permettre de se consacrer les uns au service public, les autres à l’intérêt général.

Stéphan DENOYES
Avocat associé
stephan chez denoyes-avocat.fr

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