« C’est donc la persistance d’un piratage massif qui demeure aujourd’hui le principal obstacle à l’essor de la distribution légale de films de programmes de télévision ou de musique en ligne et à la juste rémunération des créateurs et des industries culturelles » extrait du projet de loi
Après avoir été adopté tant par le Sénat que par l’Assemblée Nationale, le projet de loi du Ministère de la culture et de la communication « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet », dit projet de loi Hadopi, vient d’être rejeté par cette dernière après passage en commission mixte paritaire pour uniformisation de son écriture.
Objet d’un réel débat aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’hémicycle, les média en ont relayé les grandes lignes et notamment la mesure phare constituant à suspendre l’accès internet des utilisateurs délinquants. Mais savons-nous ce que contient réellement ce projet et quelles en seront les conséquences ?
La mission du projet se lit dans le titre choisi : diffuser et protéger. Le gouvernement législateur affiche en en-tête sa volonté « le présent projet de loi a pour ambition de faire cesser l’hémorragie des œuvres culturelles sur internet … A cet effet il crée un dispositif essentiellement pédagogique qui a vocation, en pratique à se substituer aux poursuites pénales actuellement encourues par les internautes qui portent atteinte aux droits des créateurs ». L’objectif est donc de lutter contre le piratage des oeuvres, mais pas contre l’internaute qui se verra informer au lieu d’être accablé.
Cette « ambition » est aussitôt restreinte par la portée du projet qui en matière d’œuvres ne recense que la musique, les films, œuvres et programmes audiovisuels « voire d’œuvres littéraires sur les nouveaux réseaux de communication ». L’offre culturelle d’internet est pourtant bien plus vaste. Sont oubliés les photographies, l’information, le graphisme, les logiciels …eux aussi victimes du piratage dénoncé.
Cette vision limitée des œuvres présentes sur le net révèle le versant purement économique de la loi. Seules les grandes industries de la musique, du film et peut-être de l’édition ont vocation à être protégées. Cela transparaît jusque dans le vocabulaire utilisé : point d’amateurs d’art, ni d’auteurs dans le texte mais des consommateurs, des distributeurs, des investisseurs, des producteurs, agissant sur une économie, un marché, se préoccupant de vente, d’emploi, de volume, de valeur, de coût, d’offre, mais pas de bénéfices cependant …ils sont pourtant perceptibles.
En fait de projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet », le projet favorise la diffusion et la protection de l’économie numérique. Les prémices de ce projet et la conclusion de l’accord « historique » du 23 novembre 2007 n’avaient-ils pas d’ailleurs été confiés au président-directeur général de la FNAC qui diffuse de la musique des films et des livres (pas de photographies).
Et cette économie, ces bénéfices sont menacés par le piratage qui empêche l’essor de la distribution légale « les ventes numériques dématérialisées de musique, de cinéma et de programmes audiovisuels … demeurent beaucoup plus faibles que dans les autres grands pays aux habitudes de consommation comparables : à peine plus de 7% de notre marché de la musique, alors qu ce taux à dépassé 20% aux Etats-Unis ». Ah ! ils ne connaissent pas le piratage aux Etats-Unis ? Ou alors serait-ce que l’offre est plus accessible ou plus diversifiée ?
Quoiqu’il en soit, à l’instar des accords du 23 novembre 2007, le projet Hadopi se veut une réponse pragmatique au problème réel du piratage (qui est de la contrefaçon). Cette réponse crée ou réécrit les articles L.331-12 à L.331-36 du Code de la propriété intellectuelle qui instaure une Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (l’Hadopi), la définie et en précise les pouvoirs.
I. L’Hadopi une AAI
La Loi n°2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information avait instauré une Autorité de régulation des mesures techniques (cf. art. L.331-17 du CPI). C’est sur son socle que se fonde l’Hadopi.
Un nouvel article L. 331-12 du Code de la propriété intellectuelle édictera : « La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet est une autorité administrative indépendante ».
Le nouvel article L. 331.13 précisera : « La Haute Autorité assure :
1° Une mission de protection des œuvres et des objets auxquels est attaché un droit d’auteur ou un droit voisin à l’égard des atteintes à ces droits commises sur les réseaux de communications électroniques utilisés pour la fourniture des services de communication au public en ligne ;
2° Une mission d’observation de l’offre légale et de l’utilisation illicite de ces œuvres et objets sur les réseaux de communication électronique utilisés pour la fourniture de services de communication au public en ligne ;
3° Une mission de régularisation dans le domaine des mesures techniques de protection et des œuvres et des objets protégés par le droit d’auteur ou par les droits voisins ».
L’Hadopi englobe donc la structure et la mission de l’ancienne Autorité de régularisation des mesures techniques. L’ancien article L. 331-17 deviendra L. 331-37 et L.331-42.
Forme juridique
La Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection du droit sur internet se voit attribuer le statut d’Autorité Administrative Indépendante : notion pratique puisque non définie. Sa structure, sa mission, ses pouvoirs dépendent du texte qui la créée.
Ce sont des instances collégiales (pour l’indépendance) qui prennent directement certaines décisions, qui, sauf recours, sont exécutoires. Cette caractéristique distingue ainsi les AAI de « conseils » ou « comité consultatifs » chargés de rendre des avis. D’autre part, les AAI disposent de pouvoirs de coercition.
Le législateur a doté l’Hadopi d’un pouvoir de sanction. Le nouvel article L.331-25 qualifie ainsi les mesures de suspension de l’accès internet ou d’injonction qu’elle peut prendre à l’encontre d’un abonné, lequel sera ensuite « fiché ».
La suspension s’apparente à une peine, au sens pénal du terme. D’ailleurs un amendement n’a-t-il pas proposé de substituer une amende à cette mesure ?
Il ne faut pas oublier que l’Hadopi réprime in fine le piratage, qui est constitutif de contrefaçon donc un délit.
La possibilité pour les AAI de disposer d’un pouvoir de sanction a été admis par le Conseil constitutionnel dans deux décisions successives intéressant le CSA et la COB à (Cons. const., 17 janv. 1989, déc. n° 88-248 DC et 28 juill. 1989, déc. n° 89-260 DC).
Le Conseil a cependant posé comme exigences que d’une part cette faculté ne soit concédée aux AAI que dans la limite nécessaire à l’accomplissement de leur mission et, d’autre part, que « la sanction susceptible d’être infligée est exclusive de toute privation de liberté ».
En outre, des garanties de procédure et de fond encadrent ce pouvoir, lui conférant ainsi une certaine allure juridictionnelle :
· Sur le plan procédural, la mise en place de garantie quant au respect des droits de la défense – qui implique à la fois l’information de l’intéressé aux différents stades de l’instruction de son dossier et la faculté pour lui de répondre utilement aux griefs articulés à son encontre – et bien sûr à l’existence d’un recours juridictionnel contre les sanctions éventuellement infligées.
· Sur le fond, l’application des grands principes qui gouvernent la répression pénale, pour l’essentiel : le principe de légalité des incriminations et des peines encourues ainsi que le principe de proportionnalité tendant à assurer une certaine adéquation entre la gravité des fautes commises et la sévérité des sanctions prononcées.
L’Hadopi appartient donc à l’ordre répressif…administratif.
Forme organique
Le nouvel article L. 331-14 précisera que l’Hadopi sera constituée d’un collège et d’une commission de protection des droits. Les missions seront exercées par le collège, la commission de protection exerce le pouvoir de sanction et mettra en œuvre le nouvel arsenal de « riposte graduée ».
Le collège devrait être composé de 9 membre nommés par décret pour 6 ans dont les qualités sont actuellement en débat à l’Assemblée nationale.
Aux termes d’un nouvel article L.331-15 du Code de la propriété intellectuelle tel que résultant du projet de loi, ce sont :
· un conseiller d’Etat désigné par le vice-président du Conseil d’Etat ;
· un conseiller à la Cour de cassation désigné par le premier président de la Cour de cassation ;
· un conseiller maître à la Cour de comptes désigné par le premier président de la Cour des comptes ;
· un membre désigné par le président de l’Académie des technologies, en raison de ses compétences en matière de technologies de l’information ;
· un membre du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique désigné par le président du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique
· quatre personnalités qualifiées, désignées sur proposition conjointe des ministres chargés des communication électroniques, de la consommation et de la culture.
Suite à l’adoption d’un amendement, le président sera nommé par le gouvernement parmi les trois première personnalités. Le gouvernement choisira donc quatre membres de l’Hadopi et son président.
Un amendement parlementaire voulait voir inclure dans cette liste des représentants des utilisateurs et de la Cnil. Il a été rejeté.
La commission de protection des droits est composée de trois membres, dont le président, nommés par décret pour six ans :
· un conseiller d’Etat désigné par le vice-président du Conseil d’Etat ;
· un conseiller à la Cour de cassation désigné par le premier président de la Cour de cassation ;
· un conseiller maître à la Cour de comptes désigné par le premier président de la Cour des comptes.
La prédominance des magistrats, la sous représentation des artistes, et la non représentation des amateurs/utilisateurs/ consommateurs renforce le caractère juridictionnel de l’Hadopi.
Les nouveaux articles seront, d’ailleurs, intégrés dans une nouvelle section 3 intitulée « procédure et sanction », lui-même appartenant à un titre III « procédures et sanctions » du livre III. L’Hadopi est un organe de sanction.
II. La pédagogie selon l’Hadopi
Le Ministre l’écrit, statistique à l’appui : « 70% des internautes cesseraient de télécharger à réception d’un premier message d’avertissement et 90% à réception du second » - en Grande-Bretagne. La volonté affichée est donc la pédagogie au moyen d’une « riposte graduée » au acte de contrefaçon, au piratage.
Le projet de loi veut créer un nouvel article L.336 –3 complétant un chapitre V (Livre III, titre III) consacré à la « prévention du téléchargement illicite ». Cette nouvelle disposition imposera une nouvelle obligation de surveillance :
« Le titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne à l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier et II lorsqu’elle est requise.
Le fait, pour la personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne, de manquer à l’obligation définie au premier alinéa peut donner lieu à sanction, dans les conditions définies par l’article L.331-25.
La responsabilité du titulaire de l’accès ne pourra être retenue dans les cas suivants :
1° si le titulaire de l’accès a mis en œuvre les moyens de sécurisation définis en application de l’article L.331-30 ;
2° si l’atteinte visée au premier alinéa est le fait d’une personne qui a frauduleusement utilisé l’accès au service de communication au public en ligne, à moins que cette personne ne soit placée sous l’autorité ou la surveillance du titulaire de l’accès ;
3° en cas de force majeure ».
Première remarque ce n’est pas la contrefaçon / téléchargement illégal que la commission sanctionnera mais la détention de l’accès ayant permis ce téléchargement. Le défaut de surveillance n’aura pas à être démontré il sera induit de l’acte délictuel qui reste de la contrefaçon.
L’auteur de la contrefaçon pourra donc toujours être poursuivi pour ses actions.
Où est donc la pédagogie lorsqu’elle ne s’exerce pas directement sur l’auteur du délit ?
Par ailleurs lorsque le titulaire de l’abonnement est également l’auteur de la contrefaçon, l’article L.336-3 et par voie de conséquence l’article L.331-25 n’ont pas lieu à s’appliquer, puisqu’il n’y a pas de défaut de surveillance mais bien réalisation du délit de contrefaçon. Le contrefacteur/ pirate sera donc soustrait à l’autorité et aux sanctions de l’Hadopi !
En tout état de cause, s’il devait en être décidé autrement, il y aura ce qu’il convient pénalement de qualifier un concours de qualifications, c’est-à-dire que le même fait matériel peut donner lieu à plusieurs qualifications pénales (donc plusieurs chefs de poursuite). Or un même fait, autrement qualifié, ne peut donner lieu à une double déclaration de culpabilité. La qualification la plus haute est en général retenue. En l’espèce se sera la contrefaçon, donc une fois encore le contrefacteur ne dépend pas de l’Hadopi.
S’il devait avoir y avoir choix de la qualification de défaut de surveillance, alors le contrefacteur ne pourrait plus être poursuivi pour contrefaçon. Y perdrait-il ?
Les sanctions
L’Hadopi dispose de trois mesures successives à l’encontre du titulaire de l’abonnement ayant servi au téléchargement illégal :
1° les recommandations : messages d’avertissement (nouvel art. L.331-24),
la première est envoyée par courrier électronique pour informer l’intéressé de l’illégalité de son comportement ;
en cas de renouvellement, dans un délai de six mois à compter de l’envoi de cette première recommandation, une seconde est envoyée par courrier électronique doublé d’une lettre remise contre signature « ou tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d’envoi de cette recommandation et celle de sa réception par l’abonné »
2° en cas de renouvellement dans l’année suivant la réception de cette seconde recommandation, la suspension de l’accès au service pour une durée de deux mois (suite à amendement parlementaire) à un an assortie de l’impossibilité pour l’abonné de souscrire un autre contrat d’accès à internet
ou l’injonction de prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement constaté et à rendre compte à l’Hadopi. Dans ce second cas l’Hadopi peut décider d’une insertion dans des publications ou journaux. (nouvel art. L.331-25)
Visiblement la première de ces mesures est destinées aux particuliers et aux familles, la seconde aux entreprises pour lesquelles « la suspension de l’accès à internet pourrait revêtir des conséquences disproportionnées ».
Les débats autour de la possibilité de suspendre l’abonnement ont été vifs. Les fournisseurs d’accès internet dénoncent son coût (qui se répercutera sur le consommateur). Le Parlement européen a lui, adopté un rapport qui condamne cette mesure considérant qu’elle viole le « droit d’accès à l’éducation des personnes » (pour consulter les débats sur ce rapport cliquer ici).
Cette mesure vient pourtant d’être adoptée (mais le députés ont voté, à l’unanimité et contre l’avis du gouvernement, que l’internaute ne paiera pas d’abonnement durant la suspension). Elle fera peut-être l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel.
Le nouvel article L. 331-26 permettra à l’Hadopi de vous proposer la transaction suivante :
suspension de l’accès internet durant un à trois mois (à vous de juger. Eu égard au coût et au délai d’un recours, ce « plaider coupable » pourrait en satisfaire plus d’un)
obligation de prendre des mesures de nature à éviter le renouvellement du manquement.
Il existe aussi des moyens d’exonérations énoncés à l’article L.336-3 parmi lesquels le propre piratage de votre réseau… ce sera à l’abonné de le prouver.
La procédure
Les recommandations ne pourront faire l’objet d’aucun recours. Il serait donc exclu que l’Hadopi puisse commettre une erreur ou se tromper.
Les secondes mesures ne pourront être prises qu’après une procédure contradictoire, le titulaire de l’abonnement sera inviter à présenter ses observations. Elles pourront faire l’objet d’un recours devant les juridictions judiciaires.
A titre d’exemple, le décret n°2007-510 du 4 avril 2007 relatif à l’Autorité de régulation des mesures techniques avait porté les recours à l’encontre d’une décision de l’Autorité devant la Cour d’appel de Paris. Ce recours devait être exercé dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision.
Un tel recours pourrait être envisagé pour l’Hadopi (qui englobe désormais l’Autorité des mesures techniques), ce qui l’assimilerait à un juge de première instance.
Le délai sera cependant moindre puisqu’en cas de suspension de l’abonnement le fournisseur internet devra mettre en œuvre cette mesure dans les quinze jours.
Par ailleurs, il est précisé que « un décret en Conseil d’Etat fixe les conditions dans lesquelles les sanctions peuvent faire l’objet d’un sursis à exécution ». En cas de recours la suspension de la peine ne va donc pas de soi, ce qui supprime une grande partie de l’intérêt de ce recours puisque, en raison des délais de procédure, la peine pourra être entièrement achevée avant que l’affaire ne soit jugée.
La prescription des faits est de six mois à compter de leur réalisation.
Enfin, il est important de souligner que l’Hadopi ne pourra être saisie aux termes du nouvel article L. 331-22 que par des agents assermentés qui sont désignés par :
les organismes de défense professionnel régulièrement constitués ;
les bénéficiaires valablement investi à titre exclusif, conformément aux dispositions du livre II, d’un droit exclusif d’exploitation appartenant à un producteur de phonogramme ou de vidéogrammes ;
les sociétés de perception et de répartition des droits ;
le centre national de la cinématographie.
Les bénéficiaires du point deux sont manifestement les cessionnaires des droits d’exploitations patrimoniaux et uniquement de droits sur les œuvres musicales ou audiovisuelles.
L’Hadopi s’arroge donc un droit que le juge se refuse : celui de statuer en fonction du mérite de l’œuvre. La musique, l’audiovisuelle sont distinguées au regard de leur valeur économique. La photographie non !
Surtout l’auteur lui-même n’a pas qualité à agir devant l’Hadopi !
Défend-on alors par ce projet de loi vraiment leurs droits ?
L’aspect économique du problème, la protection d’une industrie, semble bien avoir dicté les actes du législateur, plus que les enjeux culturels.
Le piratage pose un problème, soit. Il soulève également bien des débats.
Au lieu de conforter une système, une économie de la culture qui a démontré ses limites, qui a été parfois le censeur, qui a restreint l’accessibilité de la culture et a étouffé nombres d’arts, et d’artistes, ne serait-ce pas l’occasion de réfléchir à d’autres modalités de promotion des arts, de leur émergence, de leur accessibilité et même de leur diffusion…
C’est un chemin moins aisé assurément, mais « le travail constant est la loi de l’art comme celle de la vie » (Balzac : La cousine Bette)
Céline Fretel
Avocat au Barreau de Paris