Avant tout, peut se poser la question inverse, c’est-à-dire pourquoi un label souhaiterait conserver les créations d’un auteur décédé ?
Prenons l’exemple d’un artiste ayant signé en contrat d’enregistrement exclusif.
Dans ce type de contrat, l’artiste s’engage à enregistrer uniquement pour le label, qui, en contrepartie de son investissement, devient producteur phonographique au sens de l’article L213-1 du Code de la propriété intellectuelle et détient les droits patrimoniaux sur les masters.
Ainsi, conserver les masters d’un artiste représente pour un label un enjeu stratégique et économique majeur, car ces enregistrements constituent un actif durable, générateur de revenus sur le long terme.
En détenant les masters, le label contrôle l’exploitation commerciale des œuvres, perçoit des royalties issues du streaming, des ventes physiques, des contrats de synchronisation (cinéma, publicité, télévision), ainsi que des rééditions ou remix futurs.
Cette maîtrise permet également de négocier favorablement avec des partenaires ou d’investir dans la valorisation du catalogue.
En conclusion, les cessionnaires ont de sérieuses raisons financières de craindre l’arrêt de l’exploitation des œuvres d’un artiste décédé.
Toutefois, le Code de la propriété intellectuelle permet quand même à l’artiste de se repentir.
Le droit de retrait et de repentir.
L’article L121-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose que
« Nonobstant la cession de son droit d’exploitation, l’auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d’un droit de repentir ou de retrait vis-à-vis du cessionnaire ».
Ce droit permet à un auteur - même après avoir cédé ses droits patrimoniaux - de mettre fin à l’exploitation de son œuvre, s’il estime que celle-ci ne correspond plus à ses convictions, à sa volonté ou à son image.
Ce droit s’inscrit dans le droit moral, inaliénable, perpétuel et opposable à tous. Il protège l’auteur dans son rapport personnel à son œuvre. Mais ce droit est encadré : l’auteur est tenu d’indemniser les cessionnaires (producteurs, éditeurs…) en cas de retrait, afin de compenser le préjudice financier subi du fait de la fin de l’exploitation.
Qui peut exercer le droit moral après le décès de l’artiste ?
Après la mort de l’auteur, son droit moral survit. Il peut être exercé par ses héritiers ou par une personne désignée par testament. Ce droit moral comprend notamment le respect de la volonté de l’auteur quant à la divulgation, l’intégrité ou le retrait de son œuvre [1].
Toutefois, pour qu’un retrait posthume soit valable, il faut établir la volonté présumée de l’auteur. En l’absence de clause, testament ou directive claire, la question se pose de savoir si la simple initiative des proches suffit à interrompre l’exploitation d’une œuvre.
Cependant sur la question de la pertinence du motif du retrait, la jurisprudence s’est déjà positionnée et rappel que le droit de retrait ne peut être invoqué que pour défendre un scrupule d’auteur dont la pertinence n’est pas susceptible de contrôle, mais dont il appartient à la juridiction saisie de contrôler l’existence [2].
Le droit de retrait… à condition d’indemniser.
Le droit de retrait n’est pas gratuit. Le code impose à l’auteur ou à ses ayants droit d’indemniser les titulaires de droits pour le manque à gagner ou les investissements engagés. L’article L121-4 du CPI est clair :
« l’auteur est tenu de prévenir le préjudice causé par l’exercice de ce droit ».
En d’autres termes, on peut imaginer que plus l’œuvre a été exploitée, plus le coût de son retrait serait élevé. C’est un garde-fou, rendant l’exercice de ce droit rare en pratique, surtout dans des industries où les investissements sont lourds.
Se pose la question de la méthode de calcul utilisée, la notion de perte chance d’un album à titre posthume peut aussi entrer en jeu au regard des ventes réalisées de ce type de projet.
On garde en mémoire les chiffres du premier album posthume de Pop Smoke Shoot for the Stars Aim for the Moon.
Dès la première semaine, il s’est vendu à 251 000 unités équivalentes d’albums aux États-Unis, incluant 268 millions de streams à la demande. L’album a également atteint la première place du Billboard 200, faisant de Pop Smoke le premier artiste hip-hop à obtenir un album posthume numéro un avec son premier album studio [3].
Prévoir le retrait : une clause à anticiper ?
Désormais, il peut être judicieux pour l’artiste, lors de la conclusion d’un contrat d’édition ou de production, de prévoir une clause de retrait posthume. Celle-ci pourrait organiser, après le décès, les conditions de l’arrêt de l’exploitation de son œuvre, conformément à ses souhaits. Cette clause permettrait d’éviter toute ambiguïté sur la volonté de l’artiste et faciliterait l’exercice du droit moral par ses proches.
Il est donc indispensable de trouver un équilibre contractuel qui sécurise les deux parties, sans jamais nier la personnalité de l’auteur.
Pour conclure, certaines circonstances viennent nous rappeler que l’œuvre artistique ne se réduit pas à un actif économique. Elle porte une dimension personnelle, intime, parfois sensible, qui transcende les logiques de rentabilité.
Le droit moral, et en particulier le droit de retrait et de repentir, incarne cette spécificité du droit d’auteur français. Mais ce droit, bien que puissant, nécessite une anticipation claire, faute de quoi les proches peuvent se retrouver dans une impasse juridique, entre volonté morale et contraintes contractuelles.