Les dirigeants, s’ils sont parfaitement conscients des conséquences désastreuses que peuvent impliquer de tels agissements, n’en restent pas moins démunis lorsqu’ils constatent l’existence de propos diffamatoires portant atteinte à la réputation de leur entreprise.
Cette impuissance procédant notamment d’une totale méconnaissance des outils juridiques permettant de faire cesser le trouble et d’obtenir une réparation du préjudice subi, voici quelques réflexes à adopter si vous vous trouvez en présence d’une diffamation commise sur un forum de discussion en ligne.
1ère étape : Chercher un responsable
Si vous constatez la présence d’un message attentatoire à votre réputation sur un forum de discussion et que vous ne parvenez pas à identifier son auteur, il vous est possible d’engager la responsabilité civile ou pénale de l’exploitant du forum et/ou de l’hébergeur du site internet.
Pour ce faire, la première étape consiste à vérifier si le message est diffusé sur un forum modéré a priori ou non.
En effet, il résulte de la LCEN et de l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 que si le forum est modéré a priori, la responsabilité de l’exploitant du forum pourra être engagée sans qu’il soit besoin de procéder à une quelconque notification préalable.
A l’inverse, en l’absence de modération a priori du forum, il conviendra d’abord de signaler à l’administrateur du forum qu’une infraction a été commise puisque ce n’est qu’en l’absence de promptes diligences de sa part qu’il sera possible d’engager sa responsabilité.
En pratique, référez-vous aux Conditions Générales d’Utilisation du site (CGU) pour savoir si les exploitants procèdent ou non à une modération a priori des commentaires laissés par les internautes.
En cas de doute, la prudence impose de notifier à l’exploitant du forum l’existence du message au contenu litigieux.
S’il convient de respecter la procédure détaillée dans les Conditions Générales d’Utilisation du site pour signaler un abus, cette seule démarche peut être insuffisante pour engager la responsabilité du directeur de publication qui refuserait de retirer le contenu d’un message.
En effet, la loi fixe les modalités de notification des infractions à l’exploitant ou l’hébergeur, ces dernières dépendant du fondement de la responsabilité engagée (civile ou pénale).
2ème étape : Choisir la responsabilité à engager : civile ou pénale ?
Si l’action est engagée sur le fondement de la responsabilité civile, consultez l’article 6.I.5 de la LCEN (sur le site internet Légifrance par exemple) pour connaître précisément le contenu de la notification à rédiger.
Attention, il faut noter que cet article impose notamment à la victime de justifier, auprès de l’exploitant du forum, des éléments de droit permettant d’établir le caractère illicite du contenu mis en cause.
A cet égard, il convient de préciser que le Conseil constitutionnel a, dans une décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, émis une réserve d’interprétation sur la notion de « caractère illicite » en précisant que la responsabilité de l’hébergeur ne pouvait-être engagée que si le contenu présentait un caractère « manifestement illicite ».
Dans ces conditions, vous aurez compris qu’un simple signalement du contenu litigieux d’un message, et a fortiori un simple clic sur le bouton « signaler un abus », ne sauraient suffire à engager la responsabilité civile de l’exploitant du forum qui refuserait de retirer le commentaire : il faudra prouver en tout état de cause le caractère manifestement illicite du commentaire.
En résumé, il ressort donc de la LCEN et de la décision du Conseil constitutionnel précitée que, pour engager la responsabilité civile de l’exploitant du forum ou de l’hébergeur, il conviendra de respecter la procédure de notification prévue à l’article 6.I.5 de la LCEN en démontrant notamment les éléments de fait et de droit permettant d’établir que le contenu du message litigieux présente un caractère manifestement illicite.
Si l’action est engagée sur le fondement de la responsabilité pénale, en revanche, il faudra démontrer :
- - la présence d’un message sur le forum de discussion,
- - le fait que ce message soit constitutif d’une infraction de presse,
- - le fait que l’exploitant du forum ait eu connaissance du contenu du message avant sa mise en ligne (modération a priori) ou n’ait pas agi promptement pour procéder à son retrait.
Contrairement à la LCEN, l’article 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 applicable ici ne fixe aucune méthode de notification de l’infraction à l’exploitant et n’impose pas de justifier le caractère manifestement illicite du message par des éléments de fait et de droit.
En effet, s’agissant du régime des infractions de presse, il suffit de démontrer la « connaissance effective » par l’exploitant du contenu litigieux, une telle preuve pouvant être rapportée, semble-t-il, par tout moyen.
Dans ces circonstances, il semble qu’un simple mail ou même la preuve de la notification par clic sur le site du forum puisse suffire à démontrer la connaissance effective du contenu litigieux du message même si, en pratique, il nous paraît plus prudent de procéder à une mise en demeure.
3ème étape : Respecter certaines règles élémentaires, cher Watson
A toutes fins utiles il convient de rappeler quelques règles importantes à respecter en la matière.
a) Sur la qualification d’infraction de presse
Il vous appartiendra de bien vérifier que les éléments constitutifs des infractions de presse sont réunis chaque fois que vous entreprendrez d’engager la responsabilité pénale du directeur de publication d’un forum de discussion.
A ce titre, nous vous indiquons que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation et l’injure de la manière suivante :
Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation,
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.
b) Sur la prescription des infractions de presse
Le délai de prescription applicable en matière d’infraction de presse commise sur internet est de trois mois à compter de la publication des propos incriminés étant précisé que :
Le point de départ de la prescription est la mise en ligne des propos incriminés et non leur retrait de la toile.
Une modification du texte en ligne ne fait pas redémarrer le délai de prescription
Trois types d’actes judiciaires peuvent interrompre la prescription de 3 mois non encore acquise : les actes d’instruction, les actes de poursuites et les réquisitions aux fins d’enquête articulant et qualifiant les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée.
c) Sur l’exercice d’un droit de réponse
Vous pouvez également exercer un droit de réponse en respectant les prescriptions de l’article 6.IV de la LCEN qui précise les contours de cette faculté, dont dispose toute personne, physique ou morale, nommée ou désignée dans un média.
Il est important de souligner que l’exercice de ce droit de réponse est gratuit, n’a pas à être justifié, ne suppose pas une atteinte ou que les propos soient négatifs et ne vous prive pas du droit de demander judiciairement la suppression du contenu litigieux ou son indemnisation.
Le décret n°2007-1527 du 24 octobre 2007 relatif au droit de réponse applicable aux services de communication au public en ligne a toutefois aménagé de façon substantielle le régime du droit de réponse puisqu’il précise que cette procédure ne peut être engagée lorsque, du fait de la nature du service de communication au public en ligne, l’utilisateur a été en mesure de formuler directement ses observations.
Il semble donc que l’exercice d’un droit de réponse au sens de l’article 6 IV de la LCEN soit exclu s’agissant des propos tenus sur les forums de discussion non modérés.
En tout état de cause, la demande de droit de réponse formulée devra respecter les prescriptions de l’article 2 du décret précité, à savoir contenir les références du message, ses conditions d’accès sur le service de communication au public en ligne et, s’il est mentionné, le nom de son auteur, préciser s’il s’agit d’un écrit, de sons ou d’images, contenir la mention des passages contestés et la teneur de la réponse sollicitée.
4ème étape : Adopter les bons réflexes grâce au kit de survie
Dans l’éventualité de la publication de messages de nature à vous porter préjudice, nous vous suggérons la méthodologie suivante :
Vérifiez la date de publication ou de mise en ligne (moins de 3 mois) ;
Vérifiez dans les CGU si le site fait l’objet d’une modération a priori ou non ;
Vérifiez s’il faut demander un droit de réponse ou si le site vous permet de formuler directement des observations ;
Faites dresser par un huissier un constat sur internet afin de pouvoir valablement justifier de la diffusion des propos illicites ;
Vérifiez si les propos sont constitutifs d’une infraction de presse ou non :
o Dans l’affirmative, une notification simple au directeur de publication suffira à démontrer sa connaissance objective du message litigieux, même si en pratique, une mise en demeure nous paraît plus efficace ;
o Dans la négative, il conviendra de respecter la procédure de notification prévue par la LCEN en rapportant les éléments de fait et de droit permettant d’établir que le contenu du message litigieux présente un caractère manifestement illicite ;
Si après un délai court, le directeur de publication n’a pas procédé au retrait du message, il sera possible d’engager sa responsabilité civile ou pénale devant les juridictions compétentes.
Vous voilà paré !
Bon courage dans vos démarches.
Discussions en cours :
Merci de ce "kit de survie", sans me rendre spécialiste il me permet de répondre utilement à mes clients pour leur permettre de réagir.
Article particulièrement intéressant. Merci.
Excellent article. Pratique et concis
Voilà un article particulièrement précis et détaillé. Un grand merci chère consoeur pour ces informations.