Modèles : Un utilisateur averti en vaut deux.

Par Manuel Roche, CPI

2631 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # utilisateur averti # dessins et modèles # propriété industrielle # contrefaçon

En matière de dessins & modèles, la législation communautaire prévoit que "la protection conférée par le dessin ou modèle communautaire s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’utilisateur averti une impression visuelle globale différente" (1).

-

En d’autres termes, dans le cadre d’une action en contrefaçon, un dessin ou modèle communautaire sera protégé contre tout dessin ou modèle qui produira une impression visuelle globale identique (ou très proche) aux yeux de l’utilisateur averti (2)(3).

D’où l’importance de savoir qui est cet utilisateur averti, ou tout au moins comment le définir ou le caractériser.

Dans le silence des textes, le Tribunal de l’Union européenne avait eu récemment l’occasion de définir l’utilisateur averti comme "une personne ayant une certaine connaissance des dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, sans pour autant savoir quels aspects de ce produit sont dictés par une fonction technique" (4). Selon le Tribunal, cette personne pouvait être par exemple celle qui souhaitait utiliser le produit couvert par le modèle en cause et s’était donc renseignée sur le sujet préalablement à un achat. Le Tribunal en concluait donc que, pour définir l’utilisateur averti, il convenait de prendre en compte l’utilisation normale des produits concernés.

Dans cette même lignée jurisprudentielle, bien qu’antérieurement, le Tribunal avait pu affirmer que "l’utilisateur averti est doté d’une vigilance particulière et il dispose d’une certaine connaissance de l’état de l’art antérieur, c’est-à-dire du patrimoine des dessins ou modèles relatifs au produit en cause qui ont été divulgués à la date du dépôt du dessin ou modèle contesté" (5). Ainsi, s’agissant de modèles de pogs (jouets pour enfants), le Tribunal en concluait que "l’utilisateur averti pourrait être un enfant âgé de 5 à 10 ans environ ou un directeur du marketing d’une société fabriquant des produits dont la promotion est assurée en offrant des pogs". Et de laisser ainsi le professionnel face à une définition objectivement riche d’enseignements mais subjectivement très difficile à mettre en œuvre.

Et c’est précisément ce en quoi la décision ici rapportée de la Cour de justice de l’Union européenne (6), rendue dans la même affaire que celle ayant donné lieu à l’arrêt précité du Tribunal, présente un intérêt fondamental, malgré la surprise qu’elle peut provoquer.

La Cour vient en effet de donner une définition de l’utilisateur averti en s’appuyant sur deux notions parallèles, certes bien connues des professionnels mais parfaitement étrangères au droit des dessins & modèles. Reprenant la définition qui lui était soufflée par l’avocat général, la Cour a dit pour droit que "la notion d’utilisateur averti […] doit toutefois être comprise […] comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art [applicable en matière de brevets], expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré".

Ainsi caractérisé en quelque sorte comme un étalon médian ou moyen (on ne sait pas encore précisément) du droit de la propriété industrielle, la Cour a néanmoins tenu à préciser, à raison selon nous, quelle pouvait être la démarche intellectuelle qu’il faut attribuer à l’utilisateur averti dans le processus de comparaison de deux modèles. Elle nous enseigne que la nature même de l’utilisateur averti implique qu’il doive procéder à une comparaison directe des modèles en cause. Pour autant, la Cour prend le soin de préciser qu’il peut exister des situations ou circonstances spécifiques dans lesquelles une telle comparaison directe est infaisable ou inhabituelle et que, dans ces cas-là, il n’est pas erroné de fonder son raisonnement sur une comparaison indirecte des modèles en cause pour conclure à leur ressemblance ou dissemblance aux yeux de l’utilisateur averti.

Enfin, toujours en partant de sa définition de l’utilisateur averti, compris comme se situant entre, d’un côté, "le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé qui perçoit habituellement un dessin ou un modèle comme un tout et ne se livre pas à un examen de ses différents détails" et, à l’opposé, "l’expert ou l’homme de l’art capable d’observer dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les modèles ou dessins en conflit", la Cour indique que "le qualificatif "averti" suggère que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise".

Cette décision fournit donc aux professionnels du droit des dessins & modèles de précieux éléments et critères qui leur permettront, à n’en pas douter, de mieux cerner le personnage de l’utilisateur averti, parfois considéré jusqu’à présent comme quelque peu énigmatique.

On pourra toutefois regretter que la Cour n’ait pas profité de l’occasion qui lui était donnée pour tenter de livrer une définition autonome de l’utilisateur averti, totalement indépendante du droit des marques et du droit des brevets, ce qui eût été sans doute plus conforme au respect de l’objet spécifique du droit des dessins & modèles. Mais peut-être faut-il également voir dans cette décision un commencement d’évolution jurisprudentielle dans ce sens, gardant à l’esprit qu’il est souvent plus aisé de progresser à partir de bases connues.

NOTES :
(1) Article 10.1 du Règlement 6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (RDMC).
(2) Ce qui suppose bien entendu que le modèle soit considéré comme valable, c’est-à-dire qu’il réponde aux conditions de nouveauté et de caractère individuel. Or, la notion même de caractère individuel dépend de celle d’utilisateur averti puisque, selon l’article 6.1 du RDMC, "un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public".
(3) En droit français, il est fait référence à un "observateur averti" plutôt qu’à un utilisateur averti. Les auteurs s’accordent néanmoins pour convenir que la définition retenue pour l’un est également valable pour l’autre, ce d’autant plus que le droit français doit être interprété à la lumière de la directive 98/71 du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 1998 sur la protection juridique des dessins ou modèles, qui recourt également à la notion d’utilisateur averti et qui est à l’origine des dispositions françaises.
(4) TUE, 9 sept. 2011, T-11/08, Kwang Yang Motor Co., Ltd c/ OHMI.
(5) TUE, 18 mars 2010, T-9/07, Grupo Promer Mon Graphic SA c/ OHMI.
V. notre Lettre Eté 2010 : http://www.wagret.com/images/newsletter/wagret_ete2010.pdf
(6) CJUE, 20 oct. 2011, C-281/10 P, PepsiCo Inc. c/ Grupo Promer Mon Graphic SA et OHMI.

Manuel ROCHE
Conseil en propriété industrielle - Marques & Modèles
INSCRIPTA
http://www.inscripta.fr

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

31 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs