Non-respect des délais de carence d’un salarié en CDD de l’EDA en OPEX : requalification en CDI et licenciement sans cause.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # requalification de contrat # licenciement abusif # indemnités de grand déplacement # délai de carence

Par un accord cadre intitulé CAPES, le Ministère de la défense a confié à l’Économat des armées (EDA) la maîtrise d’œuvre de l’externalisation des prestations de soutien sur les théâtres pour lesquels l’état major des armées décide de recourir à ce mode d’action et notamment en Serbie, au Tchad et en Afghanistan.

(CA Paris 15.12.2016)

-

À compter du 1er juillet 2008 et jusqu’au 18 janvier 2014, Monsieur X a été employé par l’Économat des armées, en opérations extérieures (OPEX), dans le cadre de 14 contrats de travail à durée déterminée et un avenant de prolongation, en qualité de chef de casernement puis de conducteur de travaux infrastructure, en Serbie, au Tchad, et en Afghanistan.

Monsieur X a saisi le conseil de prud’hommes de Bobigny le 7 janvier 2014 aux fins notamment de requalification de ces contrats en contrat de travail à durée indéterminée, et d’allocation de diverses sommes.

Il a été débouté de toutes ses demandes le 26 janvier 2015 par le conseil de prud’hommes de Bobigny. Monsieur X a interjeté appel le 23 février 2015.

Par arrêt du 15 décembre 2016 de la cour d’appel de Paris, Monsieur X obtient 94.148 euros bruts comme suit :
- 5 000 euros à titre d’indemnité de requalification de contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
- 44 885,57 euros à titre de rappel d’indemnités de grand déplacement,
- 9 104,07 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
- 910,40 euros à titre de congés payés afférents,
- 7 249,53 euros à titre d’indemnité de licenciement,
- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2.000 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Le salarié a été débouté de sa demande de requalification d’IGD en salaire et de dommages intérêts pour harcèlement moral.

A/ Sur la demande de requalification des CDD en CDI

1) Sur la demande de requalification

1.1) Monsieur X soutient que pour chacun de ses contrats de travail à durée déterminée, il a été remplacé sur le même poste sans respect du délai de carence.

L’article L 1244-3 du Code du travail dispose, dans sa rédaction applicable au litige : « À l’expiration d’un contrat de travail à durée déterminée, il ne peut être recouru, pour pourvoir le poste du salarié dont le contrat a pris fin, ni à un contrat de travail à durée déterminée ni à un contrat de travail temporaire avant l’expiration d’un délai de carence calculé en fonction de la durée du contrat. Ce délai de carence est égal :
1° Au tiers de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat est de quatorze jours ou plus ;
2° À la moitié de la durée du contrat venu à expiration si la durée du contrat est inférieure à quatorze jours »
.

Les contrats de travail à durée déterminée n° 3 (chef de casernement au Tchad) et n° 4 (chef de casernement en Afghanistan) ne portant pas sur le même poste, il ne peut être fait grief à l’employeur de ne pas avoir respecté de délai de carence.

Il résulte du planning produit en pièce T 18, dont l’Économat des Armées ne démontre pas qu’il soit inexact, que se sont succédé en qualité de chef casernement sur le site de Novo Selo au Kosovo :
Monsieur X du 3 juillet au 3 novembre 2010 (contrat n° 8),
Monsieur J du 28 octobre 2010 au 28 février 2011 et Monsieur A du 23 février au 23 juin 2011.

De même, il résulte du planning produit en pièce T23, non démenti, que se sont succédé au poste de chef casernement à Warehouse (Afghanistan) : Monsieur X du 5 mars au 5 juin 2011 (contrat n° 10), Monsieur J du 29 mai au 29 août 2011 et Monsieur A du 22 août au 22 novembre 2011.

Il est certain par le tableau produit en pièce 32 que Monsieur X a été relevé au poste de chargé de travaux au Tchad occupé du 28 février au 26 mai 2013 (contrat n° 13) puis du 19 septembre 2013 au 18 janvier 2014 (contrat n° 14) par Monsieur G, arrivé le 23 mai 2013 puis par Monsieur W, arrivé le 14 janvier 2014. S’il est vrai que les relèves restent « à confirmer », aucune preuve n’est produite par l’Économat des Armées que ce tableau ait été modifié.

La succession de plusieurs contrats de travail à durée déterminée sur un même poste, sans respect du délai de carence est encore confirmée par la procédure de passation de consignes organisée par l’Économat des Armées, rappelée dans les notes de service des 8 juin 2010 et 4 juillet 2012, procédure de nature à expliquer les chevauchements de contrats constatés plus haut.

1.2) Selon l’article L 1245-1 du Code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions. Il convient en conséquence de requalifier en contrat de travail à durée indéterminée la relation de travail entre Monsieur X et l’Économat des Armées, à compter du 2 octobre 2008, date de début du contrat n° 2.

2) Sur les demandes en paiement résultant de la requalification

2.1) Sur le rappel de salaire relatif aux IGD du fait de violation par l’Économat des armées du principe d’égalité de traitement

Monsieur X demande l’allocation des indemnités de grand déplacement /IGD qu’il aurait dû percevoir s’il avait été en contrat de travail à durée indéterminée.

Il vise également à cet égard la violation du principe d’égalité de traitement entre les salariés en contrat de travail à durée déterminée et les salariés en contrat de travail à durée indéterminée.

En fonction du tableau figurant dans en pages 37 et suivantes de ses conclusions dont les données chiffrées ne sont pas contestées, et après application de la prescription, il sera fait droit à cette demande à hauteur de 44 885,57 euros.

2.2) Sur l’indemnité de requalification

Au vu des bulletins de paie des mois d’octobre à décembre 2013, tenant compte des heures supplémentaires effectuées durant ces trois mois, de la prime d’éloignement soumise à cotisations, mais excluant les indemnités de grand déplacement correspondant à des remboursements de frais que Monsieur X n’a pas eu à assumer, le salaire de référence doit être fixé à 3 034,69 euros.
Il est alloué à ce titre à Monsieur X, une indemnité de 5 000 euros.

B) Sur la demande de requalification de la rupture du contrat de travail du 15 janvier 2014 en licenciement sans cause réelle et sérieuse

L’employeur a cessé de fournir du travail et de verser un salaire Monsieur X à l’expiration du contrat à durée déterminée requalifié en contrat de travail à durée indéterminée.

Il a ainsi mis fin aux relations de travail au seul motif de l’arrivée du terme d’un contrat improprement qualifié par lui de contrat de travail à durée déterminée. Cette rupture à sa seule initiative s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salaire de référence étant chiffré à 3 034,69 euros, et le règlement du personnel civil de l’Économat des armées n’étant pas produit, il convient de condamner l’Économat des Armées à verser à Monsieur X les sommes suivantes :
- indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire) : 9 104,07 euros
- congés payés afférents : 910,40 euros
- indemnité de licenciement : (2/3 de salaire mensuel par année d’ancienneté, 3 ans et 7 mois d’ancienneté du 14 juin 2010 au 18 janvier 2014) : 7 249,53 euros.

Monsieur X, qui était âgé de 44 ans et qui travaillait régulièrement dans ce cadre depuis 5 ans et demi, a perdu son emploi quelques jours après avoir saisi le conseil de prud’hommes. Son préjudice sera indemnisé par l’allocation d’une somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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